Censure

La ‘‘plainte’’ du FNDC à la CPI a-t-elle des chances de prospérer ?

Une « plainte » contre le président Alpha Condé, et quelques membres du Gouvernement devant la CPI pour « crime contre l’humanité » aurait été portée par les membres du FNDC, suite aux incidents en lien avec le scrutin du 22 Mars 2020.

Leurs avocats, viennent de saisir l’institution judiciaire basée à la Haye, d’une plainte contre le président Alpha Condé et plusieurs dignitaires de son régime. Il s’agit de l’actuel premier ministre, Dr Ibrahima Kassory Fofana ; du ministre d’Etat, ministre de la Défense, Dr Mohamed Diané ; du ministre de la Sécurité, Damantang Albert Camara ; du ministre de l’Administration du territoire, Bouréma Condé et du député Amadou Damaro Camara, président de l’Assemblée nationale.

Ils sont accusés de « graves violations de droits de l’homme » (tueries, enlèvements, séquestrations, détentions arbitraires, menaces contre des journalistes…), en marge de la contestation organisée par le FNDC, contre la tenue du double scrutin du 22 mars dernier.

Avant de se prononcer sur le présent sujet, tout d’abord il est important de savoir c’est quoi la Cour pénale internationale ? Quelle est sa compétence ? Qui peut la saisir et pour quel motif ?

La Cour pénale internationale (CPI) est une juridiction internationale permanente, qui a été créée en vue d’ouvrir des enquêtes, de poursuivre et de juger des personnes accusées d’avoir commis les crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale.

La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale tel que mentionnée plus haut, en vertu de l’article 5 de son Statut, elle exerce sa compétence à l’égard des crimes suivants :

a) Le crime de génocide ;

b) Les crimes contre l’humanité ; 

c) Les crimes de guerre ;

d) Le crime d’agression.

Notre réflexion portera sur le point B intitulé CRIME CONTRE L’HUMANITE.

L’article 7 du statut définit le crime contre l’humanité comme des actes, « lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque à savoir, meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou transfert forcé de population, emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, torture, viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ».

Le droit pénal guinéen reprend également la même définition en son article 194.

CARACTERISTIQUES ET QUALIFICATION D’ACTE DE CRIME CONTRE L’HUMANITE

Comme l’article 7 relève du droit pénal international, ses dispositions, conformément à l’article 22, doivent être interprétées strictement. Compte tenu du fait que les crimes contre l’humanité tels qu’ils y sont définis, sont parmi les crimes les plus graves qui concernent l’ensemble de la communauté internationale ; ils engagent la responsabilité pénale individuelle et supposent une conduite inadmissible au regard du droit international général applicable tel qu’il est reconnu par les principaux systèmes juridiques du monde.

Les griefs portés par les membres du FNDC contre des membres du gouvernement sont-ils véritablement constitutifs de crime contre l’humanité ? Pour répondre à cette interrogation, il est important de prendre en compte certains éléments qui rentrent dans la qualification d’acte relevant d’un crime contre l’humanité.

Analyse de l’acte d’accusation du FNDC contre les autorités suscitées   

« Ils sont accusés de graves violations de droits de l’homme (tueries, enlèvements, séquestrations, détentions arbitraires, menaces contre des journalistes…), en marge de la contestation organisée par le FNDC, contre la tenue du double scrutin du 22 mars dernier ».

Il faut dire que les deux derniers éléments de chaque crime contre l’humanité décrivent le contexte dans lequel les actes doivent avoir été commis. Ces éléments clarifient le degré de participation et de connaissance requis de l’attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile ou des détails précis du plan ou de la politique de l’État guinéen à organiser de tels actes.

Par « attaque lancée contre une population civile »,on entend dans l’élément de contexte, le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes susvisés à l’encontre d’une population civile quelle qu’elle soit, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque.

Par « politique ayant pour but une telle attaque », il faut que l’État ou les autorités mis (es) en cause favorise(nt) ou encourage(nt) activement une telle attaque contre la population civile.

Pour une illustration, nous analyserons deux actes comme exemple :

Exemple 1 : MEURTRE

Eléments de crime

1. Les auteurs ont tué une ou plusieurs personne(s).

2. Le comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

3. Les autorités savaient que ce comportement était savamment planifié et faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou entendait qu’il en fasse partie.

Exemple 2 : EMPRISONNEMENT OU AUTRES FORMES DE PRIVATION GRAVE DE LIBERTE PHYSIQUE

Eléments de crime

1. Les auteurs ont emprisonné une ou plusieurs personnes ou autrement soumis ladite ou lesdites personnes à une privation grave de leur liberté physique.

2. La gravité du comportement était telle qu’il constituait une violation de règles fondamentales du droit international.

3. Les auteurs avaient connaissance des circonstances de fait établissant la gravité de leur comportement.

4. Le comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

5. Les auteurs savaient que ce comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou entendaient qu’il en fasse partie.

On est en droit de se poser la question : les évènements en lien avec le scrutin du 22 Mars faisaient–ils partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ? Autrement dit peuvent-ils être qualifiés de crime contre l’humanité ?  Les personnes tuées à l’occasion l’ont été dans quel contexte ?

Or depuis environs près de 2 ans, les membres du FNDC ont organisé des manifestations à caractère violent, en violation délibérée des lois de la République, plusieurs dégâts matériels ont été notés, des actes de violences organisées avant, pendant et après le référendum constitutionnel du 22 Mars 2020 par le FNDC ont abouti à des interpellations par la police, suite à des incendies volontaires de véhicules souvent par endroits à travers la ville de Conakry, d’incendies de citernes, port illégal d’armes à feu, déversement d’huile de vidange sur la chaussée, des cas de morts d’hommes souvent dans des conditions délicates.

Les membres du FNDC ont créé la psychose à Conakry et dans plusieurs villes avant le scrutin, à Pita, Dalaba et Labé des incendies volontaires ont été notés, des bâtiments publics et prisons ont été cassés, des bureaux de vote ont été incendiés par les membres du FNDC, la veille du scrutin, des intimidations de populations souhaitant voter ont été notées, la résidence du préfet de Lelouma a été incendiée et beaucoup d’autres bureaux de vote n’ont pas fonctionné. La plupart des interpellations ont eu lieu dans le cadre des opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre public.

Il est important tout de même de rappeler que la Cour pénale internationale se prononce sur les crimes jugés plus graves, touchant ainsi la conscience de la communauté internationale dans son ensemble et créant une indignation collective.

Par ailleurs, le signalement introduit par les avocats du FNDC est constitué de simples informations à l’attention du bureau du procureur qui ne peut pas être considéré comme une plainte.

La CPI fonctionne à travers des règles bien claires, sa saisine est de la compétence des Etats membres, du Conseil de sécurité en vertu du chapitre 7 de la charte de l’ONU et sur initiative du procureur (art 15 du statut). Dans la pratique, le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ; à ce titre, vérifie le sérieux des renseignements reçus, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d’États, d’organes de l’ONU, d’ONG crédibles, ou d’autres sources dignes de foi qu’il juge appropriées, et recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour. 

S’il conclut qu’il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, il présente à la Chambre préliminaire une demande d’autorisation en ce sens, accompagnée de tout élément justificatif recueilli.

Si, après l’examen préliminaire, le Procureur conclut que les renseignements qui lui ont été soumis ne constituent pas une base raisonnable pour l’ouverture d’une enquête, il en avise ceux qui les lui ont fournis notamment leur (s) avocat (s).

En résumé, les évènements en lien avec le scrutin référendaire en Guinée ne peuvent pas être qualifiés de crimes relevant de la compétence de la CPI eu égard au contexte dans lequel ils se sont déroulés et, même si par hasard ces évènements étaient qualifiés de crimes contre l’humanité, la loi pénale guinéenne réprime ces infractions en son article 195 Al 9.

Les dégâts enregistrés avant, pendant et après le scrutin relèvent des infractions de droit commun définies et punies par le Code pénal guinéen dont les autorités ont la responsabilité d’ouvrir des enquêtes, situer les responsabilités et punir les coupables conformément à la loi. Par contre, ces hautes personnalités accusées par le FNDC sont protégées par la loi contre les offenses, calomnies et diffamations. Ils peuvent donc saisir la justice pour ces faits.

Pour tout dire, la CPI n’a pas pour vocation de se substituer au système national de justice pénale, elle ne peut enquêter, poursuivre et juger des personnes que lorsque la Guinée n’a pas ouvert d’enquêtes ou se trouve réellement dans l’incapacité de la faire ou n’a pas l’intention d’agir. Exemple : retard injustifié dans une procédure ou des procédures visant à soustraire des personnes de la responsabilité pénale qui leur incombe.

Pourtant, à l’issue de chaque évènement organisé au cours duquel la loi a été transgressée, les autorités ont ouvert des informations judiciaires et des enquêtes sont diligentées.

Il s’agit en réalité du principe de la complémentarité, qui vise à donner la priorité aux systèmes nationaux de justice pénale car les Etats gardent la responsabilité première pour juger les crimes les plus graves.

Almamy Mory mö Labé Sarè pour guinee7.com

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