Depuis plusieurs semaines, la pandémie de Coronavirus frappe le monde entier. La crise est sans précédent et met à nue les carences du système économique mondial. Elle aura sans doute un impact sur les habitudes futures des acteurs économiques. Le continent africain n’est pas en reste. Malgré sa faible part dans le commerce international (5%), l’Afrique est touchée par l’arrêt brutal de la machine économique mondiale autant que l’Europe et l’Amérique ; signe de sa dépendance certaine au reste du monde.
L’Union Africaine a affiché une volonté ferme pour combattre cette crise sanitaire et ses corollaires. Des mesures fortes ont été prises par les pays membres pour atténuer le choc et renforcer la résilience des économies. Ces mesures sont, pour la plupart conjoncturelles et visent à apporter une réponse immédiate aux conséquences de la crise. Pour autant, en remettant en cause tous les repères et modèles économiques, cette crise donne l’opportunité de repenser en profondeur les économies sur le plan microéconomique que macroéconomique.
- Vers un nouveau paradigme
La mondialisation a favorisé la recherche de la productivité au-delà des frontières géographiques. Les entreprises ont délocalisé sans cesse pour produire à faible coût. Cela a permis à la Chine, à cause de la faiblesse de ses facteurs de production, de devenir longtemps « l’usine du monde ». L’Afrique aussi a commencé à attirer les multinationales à la recherche de meilleure productivité. C’est l’exemple de l’usine du constructeur automobile Renault-Nissan au Maroc ou de celui des manufactures de l’industrie textile en Ethiopie (la chaine de vêtement H&M et Primark).
Ce modèle de délocalisation va vraisemblablement être remis en cause du fait de la crise liée à la Covid 19 ; en particulier au niveau des secteurs stratégiques comme l’industrie pharmaceutique et l’industrie agroalimentaire. La remise en cause du modèle aura des répercussions sur le commerce mondial. C’est pourquoi les principes qui ont guidé l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) jusque-là devraient être revus.
Les pays africains doivent soutenir sans complexe leurs économies en protégeant les industries locales de la concurrence internationale – adoptant un nouveau modèle qui doit se construire autour de la transformation locale – orientant les crédits vers le secteur privé pour augmenter le financement des PME – Invertissant massivement dans les infrastructures ainsi dans les secteurs sociaux bien évidement (l’éducation, la santé). Quant au financement, le recours à la dette et aux ressources internes sont des possibilités à exploiter.
- Quel financement ?
Bien que des contraintes importantes existent pour limiter le taux d’endettement des pays africain, des marges de manœuvre existent pour se financer grâce à la dette. L’Afrique doit développer ses propres modèles économiques endogènes. D’autant plus que toutes nos certitudes économiques sont remises en cause par cette crise planétaire.
Les pays comme la France, l’Espagne ou le Royaume Unis ont un taux d’endettement supérieur à 100% de leur produit intérieur brut respectif. Selon la banque d’investissement Goldman Sachs, l’Italie va dépasser les 160% du PIB en 2020 et le Japon détient le record avec une dette publique qui atteint 237% de son PIB.
Par comparaison, l’Afrique avait un taux d’endettement moyen de 60% en 2018. Nettement inférieur à celui des pays cités ci-haut (qui continuent à s’endetter par ailleurs), ce chiffre reste disparate selon les régions et selon les pays. L’Afrique de l’Ouest avait le plus faible taux d’endettement en 2018 avec un taux de 38%. Celui de la Guinée était de 38,6% en 2018.
Ceci permet de soutenir que le niveau élevé de la dette publique n’est pas, en soi, une mauvaise chose. Le plus important est qu’elle soit gérée de façon efficiente et qu’elle serve à de l’investissement productif. Les « retours sur investissement » serviront tout bonnement à rembourser la dette.
D’autre part, les ressources internes constituent une source importante de financement pour nos Etats. Le taux de pression fiscale (rapport entre les impôts prélevés et le produit intérieur brut) était de 34.3% en 2018 dans les pays de l’OCDE contre 16.1% en Afrique de l’Ouest. En Guinée, les recettes fiscales atteignaient seulement 12.1% du PIB sur la même période. Les recettes fiscales et non fiscales sont donc très faiblement recouvrées, ce qui démontre des possibilités abyssales pour accroitre les recettes de l’Etat.
Deux options sont possibles pour accroître les ressources intérieures : améliorer la performance de l’administration fiscale et/ou réajuster la politique fiscale par l’augmentation des taux et/ou l’élargissement de la base taxable. La deuxième option n’est pas sans conséquence majeure sur les contribuables. Elle réduit notamment, les marges de manœuvre des entreprises déjà affaiblies par la crise de la Covid 19. L’amélioration de la performance de l’administration fiscale reste l’une des meilleures solutions pour accroître significativement les recettes de l’Etat. Pour la mener à bien, il faudra tout simplement une réelle volonté politique pour accompagner la mise en œuvre des reformes.
En somme, il faut croire que l’ossature du système économique mondial ne permet pas à tous les pays de circuler de la même façon compte tenu de la taille et de la puissance des uns et des autres. Les politiques économiques ne sont pas généralisables, chaque pays a ses spécificités. Par conséquent, il est primordial pour l’Afrique, d’aller vers de nouveaux paradigmes sur la base de ses réalités. Ce n’est pas de s’opposer systématiquement aux systèmes internationaux. Il s’agit tout simplement de savoir compter sur soi-même !
Sory KEITA
Analyste Financier