Censure

Les raisons de l’inconstance des politiques guinéens (Ibrahima Sanoh)

L’opinion n’est pas la conviction.  On peut changer d’opinion, d’avis sur un sujet. Cela est de l’ordre  normal des choses.  Ce qui est honteux, c’est de changer d’opinion pour son intérêt et que pour une promesse de nomination  à un poste ou une somme d’argent reçue, on passe brusquement  du rouge au vert.

 Voilà les deux manières de varier : pour soi  et pour le bien commun. La première est dégradante et la seconde est honorable. On peut changer d’opinion pourvu que la conscience ne change pas.  L’homme qui est fidèle à sa parole est celui d’honneur et celui dévoué à son pays est celui de conscience.  Lequel des deux est bon en politique ? Quand on veut le pouvoir et l’exercer, on se meut.  Le peuple même bouge. Il entretient les contrastes, il veut la liberté, la sécurité, le mouvement et l’ordre. Quand on est dévoué à son pays, on ne tarifie pas sa conscience.

 Les hommes politiques  qui changent de conviction le  font pour plusieurs raisons : soit qu’ils recherchent le pouvoir et sont incapables de l’obtenir dans leurs certitudes actuelles, alors ils  se renient,  soit pour l’avantage matériel et ces gens finissent par se décrédibiliser, soit parce que leurs exigences intellectuelles les éloignent du pouvoir en place, soit parce qu’ils  ressentent une envie absolue de croire, soit parce qu’ils aiment le combat et les aventures.  Voilà les types de girouettes : opportunistes,  vénales, cérébrales,  dogmatiques et aventureuses.

Le changement de veste est inhérent à la politique et n’est pas le propre  de notre  pays. Si les raisons qui amènent les politiques à changer de veste sont connues, on se pose la question qui est : comment expliquer que le politique guinéen change de plus en plus de camp, de veste ? En d’autres termes, comment expliquer son inconstance ?

La fracture  mémorielle

Notre pays a un problème mémoriel et c’est ce danger mortel qui fait qu’on oublie ce qui s’est passé le matin. On vit ainsi dans la quotidienneté. Ce qu’Untel fait aujourd’hui en bien ou mal est discuté et évacué sur-le-champ ; demain on parlera du quotidien.  Nous sommes amnésiques. 

Si un homme politique n’a pas peur qu’une  faute antérieure le rattrape et éclabousse à jamais ses desseins politiques,  comment peut-il s’amender dans chacun de ses actes pour échapper à la punition des électeurs ? Ailleurs, certains hommes politiques renoncent à la course au fauteuil présidentiel parce qu’ils ont trahi leur femme, parce qu’ils  ont abusé d’une jeune femme quand ils étaient jeunes. Oui, parce qu’ils ont  commis  un acte moralement répréhensible. Le passé, le leur, les  rattrape, et les autres, les plus jeunes, tirent des leçons de leurs épreuves.  Ici, chacun  donne des leçons ;  tout le monde est débonnaire, on échappe au jugement et à la punition des électeurs.

Il est encore des politiques sincères dans ce pays, mais quand échoit une élection on vote pour ses parents. Si ces hommes, qui croient que les valeurs doivent être promues, sont ainsi récompensés, comment peuvent-ils être constants ?

Le mimétisme.

Les plus jeunes marchent sur les traces de leurs ainés. Cela s’appelle aussi la quête d’expérience ! Ils sont jeunes, pour certains, ils pourront, comme d’autres l’ont fait, se repentir dans un futur proche. Nous n’en voulons pas, me dira-t-on.  Mais les autres ont fait ainsi et ils ont eu l’expérience qu’ils s’enorgueillissent d’avoir et qui doit justifier qu’ils doivent être présidents. Ils se prêtent au jeu de leurs aînés et le peuple n’aura rien à leur opposer dès lors qu’il a agréé le repentir – est-il qu’on dise s’il a eu lieu – de certains. C’est cela l’éternel recommencement.  Un  électorat qui ne punit pas encourage et promeut les mauvaises pratiques.

« Ceux qui pillent maintenant doivent payer pour leurs crimes », dira-t-on. Mais les crimes économiques ont-ils commencé par ce gouvernement ?  Ne doivent-ils pas être  imprescriptibles? 


Quand les gens font au quotidien des actes désintéressés, risquent leurs vies, renoncent à la vie libidineuse et agissent avec l’argent qu’ils ont adroitement acquis pour le bien de tous, on dit d’eux qu’ils sont maudits. N’est-ce pas une des raisons qui rendent certains hommes versatiles ?  Ils ne veulent plus être maudits. Personne ne veut l’être ! Combien d’hommes se sont battus pour ce pays sans qu’on n’eût rien retenu d’eux ? Combien ont-ils mérité de la patrie sans que la patrie ingrate eût dit de  hauts faits  à leurs sujets ? Combien en ont offensé les citoyens de ce pays et qui sont aujourd’hui érigés en hérauts de la démocratie?

 Les votes ethnique et communautaire.

On n’encourage pas la sincérité et on n’amène pas  les politiques  sincères  à trouver une fierté  dans leurs actes. L’électorat guinéen  est ethnique, il n’est pas attentif ! Si l’électorat n’est pas rationnel, comment l’intégrité  peut-elle être récompensée ? La politique, au vrai, est un investissement et la rentabilité de son investissement se mesure à l’acquisition et l’exercice du pouvoir, fût-elle une portion.

Si l’intégrité n’est pas récompensée, la versatilité le sera. Un électorat cynique fait des girouettes politiques, vénales, dogmatiques, opportunistes. C’est en étant exigeant que les électeurs  peuvent encourager l’intégrité chez les hommes publics.  Ce n’est pas qu’ils doivent être des anges, mais qu’à chaque  moment, qu’ils aient à l’idée qu’ils doivent donner le meilleur d’eux.  L’électorat devient alors un dieu qui rétribue les acteurs politiques à l’aune de leurs projets d’intervention publique, mais aussi   des valeurs qu’ils incarnent. S’il  failli, il sera l’incarnation de l’injustice et les acteurs politiques échapperont à ses exigences  pour le mal de la démocratie.

L’absence de mobilité interne  dans les partis.

Celui qui  crée un parti  est à sa tête  jusqu’à son trépas.  Le parti est à lui et se confond à son patrimoine personnel. Il nomme qui il veut et exclut qui il veut.  Comment peut-on concevoir cela ?  Voilà autant de problèmes que nous ne voulons pas résoudre.  Quand dans un parti on ne  passer de  militants à dirigeants, on  s’invente ailleurs.   La nature humaine est inhérente à la mobilité.  

Nos partis refusent l’alternance interne. Les mêmes qui dirigent ont un mandat qui est renouvelé à chaque congrès .Le congrès n’est qu’une cérémonie officielle d’allégeance à un homme, président du parti et à ses hommes. Quand la politique se mène sur un tel fond, c’est que les partis n’ont pas d’obédience politique vraie et que comme on ne pas être éternellement fidèle à un seul maître, alors on change de veste.

Ibrahima SANOH

Président du Mouvement « Patriotes Pour l’Alternance et le Salut ».

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