La date du 6 août 2020 marque la fin des incertitudes, ou du moins celle des fausses illusions, avec la confirmation de la candidature, à l’élection présidentielle du 31 octobre prochain, du président ivoirien Alassane Ouattara. En Guinée voisine, son homologue Alpha Condé marche sur ses pas, en prenant acte de la résolution des militants de son parti qui l’ont proposé comme candidat unique du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), lors du scrutin prévu le 18 octobre 2020.
Il ne fait aucun doute que les deux hommes politiques vont briguer un troisième mandat (celui de trop ?) dans un contexte politique, économique, social et sécuritaire particulièrement tendu pour toute la sous région ouest africaine. Quelles leçons en tirer ? Quelles seront les conséquences politiques et sociales en Côte d’Ivoire et en Guinée, et au delà, au niveau de la CEDEAO ?
La confirmation de la candidature des présidents Ouattara et Condé à un 3è mandat risque de réveiller les démons d’un passé récent, avions-nous indiqué dans une précédente chronique. Avec le décès brutal du PM et candidat désigné du RHDP, Amadou Gon Coulibaly, Ouattara était contraint de rebattre ses cartes. En annonçant ce jeudi 6 août sa candidature à un troisième mandat lors de l’élection du mois d’octobre prochain, il franchitallègrement le Rubicon et devra, tout au long de la campagne électorale à venir, s’évertuer à justifier les raisons et tréfonds de son reniement. Certes, comme le chef de l’État ivoirien l’a dit, « l’homme propose, Dieu dispose ». Mais, le procédé indispose et remet au goût du jour l’éternelle question du respect de la parole donnée en politique.
Alassane Ouattara ne s’est pas contenté d’évoquer le cas de force majeur induit par le décès du candidat de son parti, Amadou Gon Coulibaly. Persuadé de la légalité de sa candidature à l’aune des dispositions de la nouvelle Constitution adoptée par referendum en novembre 2016 et promulguée en mars 2020, ADO devra toutefois surmonter au moins deux obstacles : le premier d’ordre constitutionnel avec la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux qui rendrait sa candidature anticonstitutionnelle ; le second, la réaction d’une opposition prise de vitesse et dont les leaders charismatiques (Henry Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Pascal Afi N’Guessan, Mamadou Coulibaly, etc) sont condamnés à nouer des alliances de circonstances pour espérer déboulonner le candidat du RHDP.
Certains constitutionnalistes ivoiriens estiment que la nouvelle Constitution ne permettrait pas au président sortant (donc non partant) de remettre les compteurs à zéro. Ce que d’autres contestent. Le moment venu, le Conseil constitutionnel aura la lourde tâche de trancher. Dans le vif et certainement sans états d’âme.
En attendant, Alassane Ouattara exhibe ses réalisations et joue la carte de la stabilité. Au rang de ses préoccupations, l’impérieuse nécessité d’une continuité à la tête du pays pour relever les défis de la préservation de la paix et de la sécurité en Côte d’Ivoire, le combat à mener contre la pandémie de Covid-19, et surtout la consolidation des acquis obtenus en neuf ans de pouvoir.
En Guinée, le président Alpha Condé n’a pas été insensible aux appels du pied de son parti, le RPG, de ses alliés et souteneurs. En prenant acte de leur invitation – supplication à être leur candidat lors de la présidentielle d’octobre, l’ancien opposant historique semble plus que jamais vouloir s’accrocher au fauteuil présidentiel. Sans s’engager de manière formelle, il n’en a pas moins ébauché des programmes alléchants destinés aux femmes, aux jeunes et aux couches sociales défavorisées. La mobilisation contre ce troisième mandat en gestation, plusieurs fois réprimée, ne faiblit pas, malgré des dizaines de morts parmi les manifestants et la crise sanitaire qui impose de nouvelles stratégies d’action.
Le chef de l’État guinéen, âgé de 82 ans, a jusqu’ici habilement manœuvré. Élu en 2010 et réélu en 2015, il ne laisse aucun doute peser quant à sa volonté de s’engager dans la course à la présidentielle, dont le premier tour est prévu le 18 octobre prochain. « La question que je me pose, c’est que vous avez des présidents qui ont fait quatre, cinq, six mandats et vous trouvez cela normal. Quand c’est le président de la Guinée, cela devient un scandale », avait-il récemment déclaré. De coup KO lors des élections passées, on s’achemine désormais vers un coup… fatal ! En fait, tel est le vœu de ses soutiens, convaincus que leur rouleau compresseur ne laissera aucune chance à une opposition délestée, sur le chemin de la contestation, de membres ayant rejoint le camp de la majorité.
Ici, comme en Côte d’Ivoire, la Constitution guinéenne limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Une limitation que le président Condé a dénoncé à maintes reprises, la qualifiant d’injuste. Toutefois, l’adoption il y a quelques mois d’une nouvelle loi fondamentale – qui maintient cette limitation – devrait permettre au Pr Alpha Condé de remettre les compteurs à zéro. L’opposition avait boycotté le referendum en invoquant des irrégularités concernant les listes électorales et l’impartialité de la Commission électorale nationale (CENI).
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui avait refusé de déployer des observateurs lors des élections législatives et du référendum organisés en mars dernier, à l’instar de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et plus tard de l’Union africaine (UA), devra, comme pour le Mali aujourd’hui, la Guinée sous la transition du CNDD en 2008, la Gambie, la Guinée Bissau ou la Côte d’Ivoire hier, tenter une énième médiation. D’autant plus qu’il se pose toujours, en suspens, des problèmes réels relatifs aux listes électorales et aux modalités d’organisation de l’élection présidentielle prévue dans moins de trois mois.
L’instabilité politique en Guinée comme en Côte d’Ivoire donnera plus de relief aux défis sécuritaires du fait de l’extrémisme violent auquel sont confrontés déjà plusieurs pays de la région. Tout doit être fait, dans ces deux pays voisins et membres de la CEDEAO, pour conjurer les affres du passé. Ainsi, face au risque d’instabilité qui résulte du tripatouillage et de l’interprétation équivoque des dispositions constitutionnelles, il revient à l’UA et aux Communautés économiques régionales de montrer, enfin, qu’elles peuvent être à la hauteur des missions qui leur sont assignées en prenant les mesures décisives qui s’imposent. Il en va de la stabilité des États. Même de leur survie.
Bonne semaine à tous !
Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE