Au terme d’une journée folle et à rebondissements multiples, le Mali ouvre depuis hier soir une nouvelle page de son Histoire. La mutinerie partie, comme toujours, du camp Soundiata Keita de Kati, a finalement eu raison de l’entêtement du désormais ex-président Ibrahim Boubacar Keita. Fair play, ou plutôt contraint et forcé, celui qui incarnait jusqu’à une période récente le renouveau démocratique du Mali a annoncé sa démission, ainsi que la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement, assumant selon ses propres mots, « toutes les conséquences de droit ».
Rebelote serait-on tenté de dire en raison de la fréquence des coups d’État militaires qui ont jalonné, en 60 ans d’indépendance, l’ancien Soudan français. Le mardi 19 novembre 1968, des officiers de l’armée malienne mettent fin au régime socialiste du président Modibo Keita qui avait mené le pays à la souveraineté internationale. Un Comité militaire de libération nationale (CMLN) dirigé par un jeune lieutenant, Moussa Traoré, est mis sur pied et devient l’organe suprême du pays. Le nouvel homme fort promet au peuple malien l’instauration d’un régime démocratique, le multipartisme, le respect des libertés individuelles, des élections libres, etc. Promesses qui ne seront, hélas, jamais tenues. À la tête de l’État malien, Moussa Traoré change de registre. Un seul parti politique est autorisé, le sien : l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). Commence alors une longue période de dictature et de répression, jusqu’à sa destitution en mars 1991.
Les putschistes menés par le général Amadou Toumani Touré mettent en place un Comité transitoire pour le salut du peuple (CTSP). L’UDPM est dissoute. La transition militaire prend fin en avril 1992 avec l’élection, au second tour de l’élection présidentielle, du président Alpha Oumar Konaré, candidat de l’Alliance pour la démocratie du Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (ADM). Le Mali inaugure alors une ère démocratique sous Konaré qui sera réélu pour un second mandat en 1997.
Le 21 mars 2012, Amadou Toumani Touré, au pouvoir depuis juin 2002, est renversé par une mutinerie menée à partir de Kati. Parmi les griefs des mutins : une trop grande passivité du chef de l’État, au moment où la rébellion touarègue met le Nord du pays sens dessus dessous. Sans grands moyens de riposte face à la puissance de feu des insurgés, la troupe, exaspérée, a fini par se révolter. Aux commandes, le chef de la junte, le capitaine Amadou Haya Sanogo. Les institutions sont dissoutes et un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDR) instauré.
Il y a des similitudes évidentes entre le coup d’État du 18 août 2020 et celui qui avait mis fin au pouvoir d’ATT en mars 2012. Des mutineries destinées à faire entendre raison à l’Exécutif qui muent très vite en prise du pouvoir. Même stratégie, même méthode. Comme en 2012, un Comité national pour le salut du peuple est mis en place, et une transition politique civile, conduisant à des élections « dans un délai raisonnable », annoncée. Après l’euphorie des premiers instants d’exercice du pouvoir, que restera-t-il de cet engagement ?
L’exemple de la junte gambienne qui renversa le président Dawda Kairaba Jawara est encore frais dans nos mémoires. À la tête du Conseil provisoire de gouvernement des forces armées, le jeune lieutenant Yahya Jammeh s’était engagé à rendre le pouvoir aux civils en 1998. Ce n’est qu’en janvier 2017 qu’il quittera le pouvoir, 23 ans après son putsch ! Malgré des tentatives désespérées de contester les résultats du scrutin présidentiel qui avaient plébiscité son challenger Adama Barrow et, surtout, sous la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO.
Auparavant, la transition militaire conduite en Guinée par le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) entre décembre 2008 et décembre 2010 aura connu des fortunes diverses. Dirigée d’abord par le capitaine Moussa Dadis Camara, puis par le général Sékouba Konaté, la junte militaire se retira des affaires avec l’avènement du Pr Alpha Condé. Au moment où ce dernier lorgne sur un 3è mandat, les ingrédients d’une poussée d’adrénaline sont réunis dans un pays où la contestation populaire, comme au Mali, ne faiblit toujours pas. Le nombre de victimes des manifestations encore moins.
Comme lors du coup d’État du 23 mars 2012, les condamnations affluent. La CEDEAO, puis l’Union africaine (UA), la France ou les États-Unis expriment leur courroux.… Certains exigent le retour à l’ordre constitutionnel. La démission officielle du président IBK clôt ce chapitre. D’autres, le Secrétaire général de l’ONU notamment, demandent même « le rétablissement du gouvernement démocratiquement élu ». Peine perdue. Cet élan réprobateur observé auparavant lors des coups de force du général Robert Gueï en Côte d’Ivoire, de Moussa Dadis Camara en Guinée ou de Amadou Haya Sanogo au Mali, avant celui d’aujourd’hui, peut, bien entendu, rendre plus ardue la mission que s’est assignée la junte. En l’absence d’un engagement formel à ne pas s’éterniser au pouvoir, elle sera forcément isolée.
Face aux menaces sécuritaires et à l’investissement important de la communauté internationale pour sauver le Mali, l’urgence est de rétablir les équilibres en appelant tous les acteurs politiques, du pouvoir défait comme de l’opposition, à entreprendre le dialogue inclusif qu’ils refusaient jusqu’ici. En vérité, cet énième coup d’État au Mali semble être un moindre mal au regard de la crispation notée ces derniers mois et au raidissement des positions des uns et des autres. Maintenant que les militaires ont sonné, une fois de plus, la fin de la récréation, au peuple malien uni et libéré de ses peurs de se retrouver pour tracer les nouveaux sillons de son avenir.
Bonne semaine à tous !
Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE