Après plusieurs semaines de polémique sur la tarification de l’Internet mobile sur les réseaux sociaux, le président Alpha Condé a mis le pied dans le plat lors du conseil des ministres du 23 juillet 2020. Il a « déploré la faiblesse du débit et la lenteur des connexions internet en Guinée et instruit le Ministre en charge des Télécommunications de prendre des dispositions pour remédier à ce handicap ».
Qu’est-ce qui explique la faiblesse du débit de la connexion internet ? Quels sont les paramètres qui sont pris en compte dans la fixation des tarifs internet ? Quelle est la position de la Guinée sur le débit et le cout de l’internet par rapport à ses voisins en Afrique ?
L’objectif de cette publication est d’aider le profane à répondre à ces questions ci-dessous et de formuler des recommandations afin d’améliorer la situation. Cette première publication traitera de la problématique de la vitesse de l’internet mobile.
Marché des télécommunications en Guinée
Le secteur des télécommunications est régi par un certain nombre de lois dont la principale, la Loi L018, relative aux télécommunications et aux technologies de l’information en République de Guinée, fixe les rôles et responsabilités de chaque partie prenante (l’Etat, les investisseurs et les consommateurs). C’est un secteur dit « réguler » sous le contrôle de l’Autorité de Régulation des Postes et Télécommunications (ARPT).
Le pays compte aujourd’hui trois opérateurs de téléphonie mobile (Orange, MTN et Cellcom) suite à la faillite de l’opérateur historique SOTELGUI en 2012 et celle d’Intercel en 2018. A cela s’ajoute quatre Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) dont ETI, VDC, Mouna Group et Skyvision qui opèrent principalement sur le marché B2B (entreprises, ambassades, institutions internationales, ONG et l’administration publique).
D’après le rapport annuel 2019 de l’Autorité de Régulation des Postes et Télécommunication (ARPT), le Guinée comptait 12,9 millions d’abonnés (cartes SIM actives) à la téléphonie mobile et 4,8 millions d’abonnés à l’internet mobile soit un taux de pénétration respectivement de 105% et 30% pour une population estimée à 12,28 millions d’habitant. Ce taux de pénétration élevé s’explique par le phénomène de multiSIM, un client pouvant détenir plusieurs cartes SIM. Quant aux fournisseurs d’Accès Internet, ils dénombraient au total 1250 abonnés sur la même période.
En termes de couverture, 338 chefs-lieux de préfectures et de sous-préfectures étaient couverts par la 3G à fin 2019.
Jusqu’en 2009, l’accès à internet par la population se faisait principalement dans les cybers et bureaux. Le marché était dominé par Sotelgui et les FAI. Les technologies utilisées étaient principalement du CDMA, les Boucle Locales Radio (BLR) et le satellite (VSAT). L’arrivée de GPRS/EDGE à partir de 2009 permettra aux populations d’accéder à internet sur téléphone mobile. Le pays comptait 16 862 clients internet dont 67% abonnés fixe (FAI) et 33% abonnés mobiles (GPRS).
En 2010, d’après un sondage (rapport de l’ARPT d’octobre 2010), 72% des personnes interrogés étaient insatisfaites des tarifs et 62% de la qualité (débit) de la connexion. Ceci s’explique principalement par le cout très élevé et la faiblesse de la bande passante internet qui arrivait dans le pays via Satellite (VSAT) principalement.
En 2012, l’atterrissage du câble sous-marin (ACE) bouleversera le paysage, permettant d’accélérer le déploiement de la 3G qui avait débuté en fin 2011 et favorisant l’accès à l’internet mobile haut débit au plus grand nombre. Il a également permis aux FAI de proposer de la fibre résidentielle (FTTH).
En 2019, la 4G a été lancée à Conakry permettant d’atteindre des débits de 40 Mbps.
Enfin, le réseau filaire (ADSL, fibre) qui aurait pu être un atout de l’opérateur historique SOTELGUI n’a pas été développé par manque d’investissement et de vision.
Vitesse de la connexion Internet mobile
La vitesse de la connexion est indissociable de la technologie utilisée. Chaque technologie a ses limitations en termes de débit d’où le développement des réseaux de plus en plus performants tels que la 3G, 4G, 5G, bientôt 6G, la fibre optique, etc.
La majorité des guinéens accèdent à l’internet via leurs smartphones. Le débit internet est donc lié à plusieurs facteurs dont : la technologie, le nombre d’abonnés, l’environnement et le réseau de transmission :
- Les technologies les plus utilisées dans le pays par les opérateurs pour l’accès à internet des abonnés est la 2G (GPRS/EDGE) et la 3 G+. Elles offrent des débits allant respectivement de 120kbps à 20 Mbps selon les opérateurs. La 4G qui offre des débits supérieurs n’est déployée qu’à Conakry pour le moment.
- Le nombre d’abonnés connectés à une antenne (ou cellule) impacte également sur la vitesse. Plus le nombre d’abonné sous la couverture d’une antenne augmente, plus la vitesse de la connexion baisse.
- Le réseau de transmission est constitué de petits tuyaux (backhaul) reliés aux antennes. Le trafic de ces petits tuyaux (faisceaux hertziens de petite capacité) est agrégé par des autoroutes de transmission (backbone) connectées au cœur du réseau. La technologie la plus rependue pour ce réseau de transmission est le faisceau hertzien qui a moins de capacité, est moins fiable et moins rapide que la fibre optique. La saturation de ce réseau entraine des lenteurs dans la connexion internet. C’est le cas dans les régions où la transmission par faisceaux hertziens est le plus utilisé en attendant la mise en service du Backbone national.
- Enfin, l’environnement impact sur la vitesse de connexion. Un client qui se trouve loin de l’antenne où dans un bâtiment pourrait recevoir un faible signal sur son smartphone et un débit plus faible.
Pour offrir une bonne vitesse de connexion à leurs clients, les opérateurs de téléphonie mobile investissent ont 7600 milliard GNF (775 millions USD) en 2019 (source ARPT) pour construire des antennes, moderniser le réseau de transmission et le cœur de réseau.
Ci-dessous le classement des pays de l’Afrique Sub-Saharienne en 2019 et 2020 selon Cable.co.uk (Worldwide broadband speed league).
La Guinée se classe 32e rang en Afrique au sud du Sahara en 2020 malgré la multiplication par deux de la vitesse de connexion passant de 1,25 à 3,04 Mbps entre 2019 et 2020.
La faiblesse de la vitesse pourrait s’expliquer par le lancement tardif de la 4G par rapport aux autres pays de la sous-région, le retard dans la mise en service du backbone, la rareté des réseaux filaires à haut débit grand-public (fibre optique, DSL) et par l’insuffisance des investissements de certains opérateurs sur la 3G+.
Dans la prochaine publication, nous parlerons des tarifs Internet avant de formuler des recommandations à l’attention des acteurs du secteur.