Le Premier ministre de Guinée, reconduit en janvier après l’élection d’Alpha Condé à la présidence, veut mener une politique sociale et éradiquer l’extrême pauvreté d’ici à 2026. Il ambitionne de construire une filière intégrée à partir de l’extraction de bauxite. Depuis quelques semaines, le virus Ebola a fait sa réapparition en Guinée.
Quelle expérience avez-vous tirée de cette épidémie. Estelle utile pour faire face à celle de Covid-19 ?
A la différence de 2014, nous ne subissons pas Ebola car nous sommes mieux préparés. A l’époque, nous n’avions que quelques dizaines d’agents de santé pour faire face aux épidémies et aucun laboratoire pour les tests. A présent, nous disposons d’environ 1.000 agents et de douze laboratoires, et nous avons un système d’alerte et de gestion qui a bien fonctionné. On a pu ainsi limiter la propagation du virus dès sa réapparition. Nous pouvons dire que la situation est sous contrôle, car la zone concernée est circonscrite, il n’y a pas de propagation à date. La vaccination a commencé le 22 février. Le vaccin que nous administrons est efficace. D’ailleurs, nous n’aurons pas besoin de vacciner l’ensemble de la population. L’expérience acquise avec Ebola nous sert dans la lutte contre le Covid-19. Nous comptons actuellement moins de 100 décès dus au coronavirus. L’agence sanitaire que nous avons installée fonctionne pour toutes les épidémies. Preuve que le Covid-19 ne nous a pas trop atteints, nous avons affiché en 2020 une croissance économique de 5,2 % et nous tablons sur 5,6 % en 2021.
Quelle politique économique comptez-vous mettre en place ?
Notre ambition est avant tout sociale. C’est le sens du mandat que j’ai reçu du président de la République. Nous avons une croissance solide, soutenue, mais elle n’est pas inclusive. Je veux une croissance qui « se mange » et qui touche ainsi tous les Guinéens. L’un des objectifs sur lequel je me suis engagé est de sortir d’ici à 2026 quelque 6 millions de personnes de l’extrême pauvreté. Je veux consacrer à l’ensemble de notre programme global de réduction de la pauvreté 4 % du PIB. Au-delà, nous avons des atouts, des avantages comparatifs dans différents domaines, sur lesquels nous comptons capitaliser pour réaliser cette ambition sociale, comme les richesses minières, l’agriculture ou le capital humain. La Guinée dispose de plus de 12 millions d’hectares de terres arables.
Le secteur minier est aux mains de groupes étrangers. N’y a-t-il pas moyen de créer une chaîne de valeur locale ?
Le secteur minier contribue aujourd’hui à hauteur de 20 % au PIB. Il doit nous servir de levier pour le développement d’autres industries et services. Nous exploitons la bauxite. Nous sommes en train de mettre en place une filière de transformation industrielle pour produire l’alumine et l’aluminium, avec une dizaine de projets de raffineries. Une entreprise sino-franco-singapourienne a déjà entrepris la construction. Une autre implique des Américains, des Britanniques et des Allemands. Les Russes possèdent aussi une usine en production. Un groupe des Emirats arabes unis avance également dans son projet. Ce programme d’industrialisation va permettre au pays de créer plus d’emplois et plus de valeur ajoutée pour l’économie.
Au-delà de l’industrie, comment allez-vous financer votre développement ?
En parlant du moyen terme, mon chantier majeur est de donner au pays les moyens de son ambition économique. Ce chantier consiste à réformer en profondeur notre fiscalité. D’ici à cinq ans, cela nous permettra de faire progresser les recettes de l’Etat de 5 à 7 points du PIB, pour passer de 13 % à au moins 18 %. C’est totalement à notre portée, car c’est la moyenne régionale. C’est un montant important, qui servira à combattre la pauvreté, à renforcer notre système éducatif et de santé, à développer les infrastructures, tout cela pour améliorer la vie des Guinéens.
La Chine est très présente. Fait-elle figure de partenaire privilégié ?
Nous n’avons de préférence particulière pour personne, nous allons au mieux de nos intérêts pour développer le pays et nous n’avons pas d’états d’âme. La Chine est aujourd’hui la principale source de financement des différentes économies, y compris des pays occidentaux à travers les bons du Trésor américain par exemple. On ne peut donc pas faire ce reproche à la Guinée, un pays africain.
Yves Bourdillon et Michel De Grandi (Les Echos du 8 mars 2021)