Ne vous méprenez pas ! Je n’utilise pas avec légèreté l’expression « jumeaux siamois ». L’histoire attribue l’origine de cette expression à Chang et Eng BUNKER (1811-1874), le premier couple d’êtres humains conjoints mondialement renommés. Ils vivaient à Siam (actuelle Thaïlande) et, sous l’impulsion d’un entrepreneur britannique, devinrent internationalement célèbres dans le milieu du cirque. Ce n’est pas difficile de comprendre l’horreur de la dépendance qu’est le lot quotidien de deux êtres humains collés l’un à l’autre. Ils sont condamnés à se demander mutuellement la permission pour des besoins aussi élémentaires et routiniers que faire la sieste, aller à la table à manger, prendre une douche. Un couple siamois ne peut donc qu’attirer la compassion des autres humains.
Seulement, je ne pus résister à la tentation d’utiliser cette métaphore pour peindre la relation de dépendance qu’est celle du Président Alpha et du Premier Ministre Cellou. Pendant que la dépendance viscérale de nos célèbres grand (ou grand-grand) pères siamois était biologique, innée, naturelle, celle de Alpha et Cellou est socio-psycho-politique, tout au moins depuis 2010.
A première vue, Alpha et Cellou constituent un improbable jumeau siamois. Le premier est un politicien de carrière, le second est un commis de l’Etat de carrière.
Leur dénominateur commun le plus frappant est qu’ils sont tous deux victimes du principe de Peter. L’universitaire canadien Peter soutien que la promotion à une position élevée en vertu de la compétence d’un individu conduit généralement à son incompétence pour ses nouvelles fonctions. En effet, si le Président Alpha incarnait l’avenir de la Guinée pendant ses longues et tumultueuses années dans l’opposition, la réalité de sa gestion pendant ses deux premiers mandats a prouvé qu’en accédant à la magistrature suprême, il avait atteint sa limite de compétence. Si, a contrario, Elhadj Cellou fut à l’époque un commis de l’Etat d’un bon niveau, son ascension à la tête du parti devenu par la suite la première force politique de l’opposition, à en juger par les résultats, a été une déception.
Néanmoins, en s’appuyant l’un sur l’autre, ce duopole continue de confisquer le terrain politique de son pays depuis plus d’une décennie maintenant. A croire que l’un ne souhaite pas l’anéantissement total de l’autre, pouvant conduire à un lendemain incertain. L’existence de l’un dépend parfaitement de celle de l’autre. A défaut de se fabriquer mutuellement, ils se réjouissent forcement de leur coexistence.
Le peuple de Guinée est aujourd’hui globalement partagé entre ces deux hommes. Le sentiment d’injustice éprouvé par les militants de chacun d’eux à l’égard de l’autre et entretenu par ce que le Psychologue américain Leon Festinger appelle la dissonance cognitive peut être compréhensible. La dissonance cognitive est la tension interne qui nait du processus de conciliation des croyances, des idéaux d’un individu avec ses propres pratiques, en recourant à de multiples alibis, peu importe leur platitude.
D’un côté, les militants de Monsieur Alpha Condé peuvent reprocher à ceux de Monsieur Dalein de soutenir mordicus quelqu’un appartenant à une classe que les guinéens étaient censés avoir rejetée. Rappelez-vous encore des vagues se protestations consécutives à la nomination de Monsieur Eugène Camara à l’époque comme Premier Ministre, au motif que celui-ci était un ancien Ministre ? Alors, si seulement quelques années plus tard, Cellou Dalein, un irréductible du régime de feu Lansana Conté, recueille plus de 48% des suffrages des guinéens à l’élection présidentielle de 2010, les militants de Alpha sont bien fondés de conclure que ce n’est que pour des raisons subjectives. Pire, ce dernier continue de clamer qu’il avait remporté ce scrutin. Qui sait….. ! Les partisans d’Alpha n’ont certainement pas oublié ce soutien insensé à quelqu’un normalement destiné, à l’époque, à la poubelle politique de l’histoire de la Guinée. Ils ont dû en déduire qu’en réalité ce qui intéresse ceux d’en face est moins une gouvernance saine du pays que de voir leur héro au sommet de l’Etat. Ceci est forcement resté gravé dans leurs mémoires collectives, pour être utilisé plus tard. Et ils doivent se dire que c’est à leur tour de se servir de cette leçon aujourd’hui. Peu importe la misère qui les accable, les partisans d’Alpha semblent résolus à le défendre et, ce, alors même que le Premier Ministre Kassory jure – oh my God – que le pire est à venir. En tout cas tant que l’alternative manifeste reste Cellou, aucune souffrance ne semble être de trop pour eux. Habilement, et à juste titre, Alpha fait de son mieux pour exagérer l’idée de la venue possible de ce dernier, cauchemar mortel pour ses sofas.
De l’autre côté, les militants de Monsieur Cellou sont également bien fondés de reprocher à ceux de Monsieur Alpha, après deux mandats, de soutenir quelqu’un qui a modifié la constitution juste pour se maintenir au pouvoir et dont, d’ailleurs, les 10 ans de gouvernance ont été une catastrophe: à l’exception du secteur énergétique, échec total dans tous les autres secteurs. Et c’est en cela qu’objectivement parlant, j’aime le nouveau mantra ‘’gouverner autrement’’ ; car aveu absolu d’échec. Même si l’opposition se mettait ensemble, aidée en cela par les djinns, elle ne pouvait parvenir à une meilleure articulation de la situation. Ce mantra est si captivant de l’état désolant des choses aujourd’hui que l’opposition aurait pu en faire son slogan de campagne pendant la dernière élection. Bon…. Trop Tard…
Comme je le disais il y a quelques temps dans un article publié sur certains sites, les guinéens sont coincés entre ces deux personnalités. Et qu’aussi longtemps que cette situation demeurerait, j’espérais à l’époque bien sûr me tromper, les crises politiques récurrentes seraient inévitables. L’article était intitulé « le larmoyant plaidoyer d’Elhaj Cellou pour la moralité », pour ceux qui seraient encore intéressés à le lire.
Il s’agit là de la stratégie du ‘’jet constant de l’opprobre sur l’adversaire pour se maintenir’’.
Dans un entretien accordé à J.A, le Président Alpha illustrait parfaitement cette doctrine quand, pour justifier son penchant de briguer un N-ième mandat, il déclare : « souvenez-vous du référendum de 2001 instaurant un septennat renouvelable à vie pour le Président Lansana Conté, disposition liberticide dont l’un des plus chauds partisans, à l’époque, était un certain Cellou Dalein Diallo. Aujourd’hui, en vertu de la nouvelle constitution, le mandat est de 6 ans, renouvelable une seule fois». Hmmmm…….. ! A croire que sans le péché originel de Cellou, lui ne serait pas tenté de commettre aujourd’hui son péché de vouloir briguer un troisième (pardon premier) mandat. Ou peut-être qu’un mandat de 6 ans, renouvelable une seule fois est préférable à une disposition, YES vous y êtes, liberticide d’un mandat de 7 ans, renouvelable à vie.
Son excellence Monsieur le Président,
Etes-vous donc sincèrement entrain de dire que vous êtes engagé dans une logique de compensation de péché ? Dans ce cas, lequel des deux péchés compense l’autre ? Autrement dit, le vôtre compense celui de Celou ou inversement ? Je sais que les esprits malins mathématiciens diront que de toute façon la relation de compensation est commutative et que dès lors il importe peu de savoir quel péché compense l’autre. Seulement, n’avez-vous pas appris que le Prophète Mohamed (PSL) a dit qu’ « un mal n’efface pas un autre » ? Clairement, si vous commettez un péché en réponse à celui commis par l’autre sur la même cible, le peuple de Guinée en l’occurrence, vous ne rendez aucunement justice au peuple. Vous accentuez plutôt sa souffrance. Votre démarche est plutôt une circonstance aggravante qu’une circonstance atténuante. Malheureusement, l’argument est facilement digeste chez les partisans, déjà avides de munition.
Un second aspect de cette déclaration est que le Président admet que sa survie politique tient non pas à ce qu’il a fait ou n’a pas fait pendant ses deux premiers mandats ; mais plutôt à ce que son frère jumeau siamois, Cellou, a fait ou n’a pas fait durant son passage sur cette terre. C’est justement cela la signification de la dépendance dont il est question. Il aurait pu simplement se contenter de dire qu’il veut briquer un autre mandat pour terminer le boulot qu’il a commencé. Ou, tout comme Sekou Toure et Lansana Conté avant lui, pour mourir au pouvoir. Ou échapper à d’inévitables diffamations de caractères de son vivant de la part de ceux qui viendraient après lui. Mais non ! De telles déclarations insensées ne peuvent venir que de simples mortels que nous autres nous sommes.
L’autre fondation de la survie politique de ces deux phénomènes demeure évidemment le populisme à outrance.
Dans « Les origines du totalitarisme », Hannah Arendt identifie une paire paradoxale de comportements qui caractérisent l’audience des dirigeants populistes : la crédulité et le cynisme.
Le populiste est conscient du fait que son audience est prête à avaler tout ce qu’il déclare, aussi salé, amer, piquant, aigre ou absurde soit-il. Il comprend parfaitement que son audience n’est absolument pas averse à se voir trompée parce que celle-ci considère que la véracité de la déclaration est de toute façon impertinente. Le dirigeant populiste fonde sa propagande sur l’hypothèse psychologique correcte que, dans de telles conditions, il peut faire croire à ses partisan les déclarations les plus fantastiques un jour et que si le lendemain il y avait une preuve irréfutable de son mensonge, ceux-ci se réfugieraient dans le cynisme. Au lieu de déserter leur champion qui leur avait menti, ils se contenteraient simplement de conclure qu’ils avaient su depuis le début que la déclaration n’était pas tout à fait évidente et admireraient le dirigeant pour son intelligence tactique supérieure.
Une autre caractéristique du populiste et de ses partisans est la profonde conviction que la fin justifie les moyens. Cela rend plus facile d’accepter les déclarations non corroborées, comme étant une démarche tactique et, même, soutenir ce genre de déclarations après, celles d’après celles-là et ainsi de suite. Ainsi, un tel populisme délégitime les contraintes morales et légitime le nihilisme moral. Ironiquement, le populiste gagne incontestablement un statut moral fondé sur l’exploitation de la quête psychologique de l’être humain d’appartenance à un groupe En le déclarant vainqueur de la dernière élection présidentielle sur la base des 85% des bulletins de vote, l’équipe de campagne de Cellou a présumé que ses partisans étaient à la fois crédules et cyniques. C’est-à-dire que ceux-ci avaleraient cela sans même essayer de le goûter (crédulité) et que, de toute façon, quand éventuellement ils réaliseront son caractère dégoûtant, ils se satisferaient de la supériorité tactique de la démarche, la fin justifiant les moyens (cynisme).
Quid du fameux FNDC ou de ce qu’il en reste dans tout cet imbroglio ? Les plus optimistes vous diront que ce mouvement est en pleine crise de quête de répertoire.
Je dis tout ceci sachant que l’écrasante majorité des partisans des deux bords, mes compatriotes, sont des citoyens honnêtes, qui n’aspirent légitimement qu’au bien-être. Je voudrais simplement attirer leur attention sur l’exploitation de leur vulnérabilité auxquels les deux titans de la politique guinéenne se livrent depuis maintenant une décennie.
Il est temps de résister à cette impulse, manufacturée et servie par les sieurs Alpha et Cellou, pour espérer voir se dissiper l’impasse politique dans laquelle le pays est plongé et qui ne promet de lendemains meilleurs qu’à leurs fabricants. Est-on prêt à relever ce défi ? Je suis convaincu que OUI.