Censure

Du fétichisme politico-civil au fétichisme militaire dans les pouvoirs en Guinée

Depuis plusieurs décennies, certaines formes de criminalité apparues en Guinée menacent la sécurité des individus ainsi que celles des institutions en place. Il s’agit notamment du trafic des armes, de la piraterie maritime en eaux profondes, de la cybercriminalité et des crimes dits rituels. Les crimes rituels sont des meurtres sacrificiels commandités dans l’optique de renforcer la puissance politique, financière, sociale ou culturelle. Ils consistent à prélever du sang ou des organes humains (yeux, sexe, langue, cheveux, nez etc.,) sur des personnes vivantes ou mortes.

En Guinée, cette pratique macabre a endeuillé de nombreuses familles et tend à devenir un véritable problème de société. Et puisque la nature de la politique en Guinée change à tout moment, et à chaque occasion de renversement de pouvoir entre différents acteurs politico-militaires, diverses pratiques s’improvisent. Dans ce choc des titans, des forces occultes, mystiques et mystérieuses s’insurgent, s’invitent et se côtoient inlassablement à la fois dans la contradiction et dans la complémentarité. Cette pratique à laquelle nombre de dignitaires s’aventurent est devenue monnaie courante dans la chasse au pouvoir, le maintien dans le système, et indéfiniment.

Il convient dans cette situation exceptionnelle aux parents et aux familles de tous les bords, de veiller aux enfants, filles ou garçons, métisses ou albinos, infirment ou handicapés pour éviter qu’ils ne soient l’appât des chercheurs et pourvoyeurs des postes, et de ceux qui veulent encore s’accrocher à ce nouveau pouvoir. Déjà, les cérémonies sacrificielles ont commencé, nos rues commencent à être jonchées de toutes sortes de petites et grandes choses de nature mystique. Des cornes de bœufs, aux mélanges des graines de céréales, des amulettes roulées en fil rouge-blanc-noir et des calebasses remplies de lait et du sang font d’ores et déjà leur apparition dans différents carrefours de Conakry, que dire de l’intérieur du pays. De tels actes occasionnent toutes sortes de violences et d’atteintes à la liberté des individus et de leur vie. Que ce soit les violences physiques, des violences verbales, des violences économiques sur les plus vulnérables, c’est-à-dire ceux sur qui une société humaine peut compter, qui sont chargés d’élaborer le futur, ce sont ceux-là qui sont les plus exposés à ces situations de violence. Au-delà des jeunes, les femmes qui constituent plus de 52% de notre population sont également l’une couches les plus exposées à ces pratiques.

Or, toutes les religions monothéistes, l’islam, le christianisme et autres interdisent ces genres de pratiques. Et pourtant, notre pays, au-delà du caractère laïc qu’il affiche est considéré comme un pays majoritairement musulman et qui interdit toutes sortes de pratiques occultes et de violences faites aux femmes. Mais avec ceux que les guinéens vivent présentement, les crimes sacrificiels sont liés aux enjeux importants, à l’angoisse et à la peur. Ils ont un rapport avec le changement actuel du régime, oui, c’est évident parce que la Guinée n’est pas encore passé à une société démocratique, loin de là. Nous sommes complètement dans un état de vacuité totale. Avec un sentiment d’identité floue, des repères situationnels flous, beaucoup d’incertitudes et je pense que les statuts et les rôles aussi vont conformément changer en fonction de l’évolution de la situation.

Aujourd’hui, tout est encore brouillé de ce point de vue et les idéologies opérantes sont des idéologies qui ne participent pas à notre bien-être. Et ce sont ces idéologies qui fondent également la violence et qui la légitime. Le discours que certaines figures tiennent dans les médias est un discours qui appelle à la violence. Parce qu’il pose des identités remarquables d’essence partisane et ethnique en leur conférant alors un rôle comme une projection orthogonale de Dieu sur terre.

J’ai observé la société guinéenne que je connais bien pour l’avoir visitée par la recherche, par la réflexion et j’ai compris, dans ce contexte, qu’il faut agir sur tout ce qui peut impacter sur la santé mentale et le bien-être des personnes. Il est donc important que les nouvelles autorités portent un regard sérieux sur ces pratiques en protégeant la population. Toutes leurs démarches ne doivent pas être qu’institutionnelles ou politiques. Il faut aussi que les communautés prennent conscience d’elles-mêmes, de la crise et de leurs facteurs de risque afin de se positionner, pour faire en sorte que les personnes ne soient pas exposées à la violence. Et nos sociétés vont tellement mal que de victime, tu deviens coupable. Lorsque tu es victime de violence, tu es dessaisie de ton drame au profit de la cohésion du groupe social. Un Etat est une formation organisée qui a un projet de société. Et il n’y a pour l’instant pas de projet de société en Guinée. Il y a des théories macro-économiques, des thèses macro-économiques, où on pense qu’il faut tout simplement ouvrir des grands chantiers et autres, mais les institutions sont fragiles. De nos jours, l’institution la plus fragile, c’est la famille et au-delà de la famille, c’est l’école. L’ampleur du phénomène n’est pas liée traitement médiatique, bien que les médias en Guinée font des efforts nécessaires pour présenter les choses dans leur contexte réel. Mais il faut reconnaitre que les crimes sacrificiels sont d’une réalité qui prend de l’élan en cette période de crise.

Pour vous donner une idée de l’ampleur de cette situation désastreuse, un bœuf immolé a été retrouvé la semaine passée au carrefour d’Hamdallaye. Et des enfants commencent à disparaitre dans certains quartiers de la Capitale. Ce genre de sacrifice devient de plus en plus le quotidien des pourvoyeurs et anciens dignitaires des pouvoirs (civils comme militaires). Et l’on se demande dans quel endroit un enfant est en sécurité. Nous sommes dans un monde qui est entrain de complétement changé et qui est mu par le cynisme.

Toute société humaine qui ne prend pas conscience d’elle-même et de ses intérêts va à vau-l’eau. Je ne pense pas qu’une société humaine puisse s’en sortir en sacrifiant les femmes et les enfants. Regardez les milliers d’enfants qui sont dans les rues, on ne sait même pas ce qui leur arrive puisqu’il y en a qui disparaissent. La violence, elle est liée aux faits de la crise sociale. Une société peut être folle et sans repère. Si ce n’était que la religion par exemple qui pouvait changer la donne, nous avons tous les jours des tirades dans les médias.

Notre société doit se revisiter, elle doit avoir des repères, des institutions solides qui forment des gens qui demain, peuvent être de bons citoyens et citoyennes, par exemple. Un bon citoyen est un citoyen savant. Mais cela commence avant tout par l’éducation. Maintenant, nous sommes dans le flou. Il y a donc une crise d’identité, de repère et de valeurs. Nous avons perdu les attitudes et les comportements positifs tournés vers le développement, tournés vers le respect des humains, des droits humains. Il s’agira alors de conceptualiser les crimes rituels, de tracer leur historicité, de les qualifier et quantifier, d’examiner les modes opératoires et les différentes typologies et enfin, d’analyser leur répression à l’aune du droit pénal guinéen. Je pense que tout individu humain qui vit ici, qui a une prise de conscience des enjeux socioéconomiques et culturels de la Guinée, se doit, selon la posture idéologique qui l’anime, de se battre pour préserver nos sociétés. Et cela, les devins qui en font leur business devaient également avoir cette prise de conscience, d’autant plus que tout ce qu’ils font comme prestation ne se soldent pas incognito à un résultat concret à la satisfaction du client.

Dr Mohamed Lamine Dioubaté

 

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