Le juge Alphonse Charles Wright a reconnu avoir enregistré et fait fuiter une conversation privée entre lui et le procureur Sidy Souleymane Ndiaye. A bien écouter ce fameux entretien, le procureur tente d’influencer le juge dans le procès qui opposait Foniké Manguè, un activiste politico-social, au ministère public. Le juge, in fine, a ignoré la démarche du procureur en rendant un jugement en sa défaveur : Le 27 Août dernier, il a acquitté Foniké Manguè. C’était son devoir de défenseur de la loi ! Et la presse, à l’époque, n’avait pas manqué de le mentionner.
Il faut dire qu’à l’évidence, Sidy Souleymane a commis la faute – et c’est condamnable-, de tenter d’influencer la décision d’un juge avant le procès, sans tenir compte de l’éthique et de la réputation de ce dernier au cas où cette affaire venait à s’ébruiter. Même si – et c’est malheureux de le constater-, chez nous, certains juges, avocats et procureurs entretiennent parfois des relations incestueuses avant les procès.
On se posera les questions sur les motivations de monsieur Wright par rapport à sa décision d’enregistrer le procureur Ndiaye, mais il est difficile de comprendre qu’un magistrat utilise une preuve, non pas pour faire condamner un homme pris en flagrant délit de violation de la loi, mais pour le jeter en pâture à la presse.
L’enregistrement en question n’était-il pas suffisant pour déclencher en temps opportun la procédure de mobilisation du Conseil Supérieur de la Magistrature dans le but de sanctionner sévèrement un manquement grave au serment des magistrats ?
L’autre aspect est lié aux dégâts collatéraux que cet enregistrement provoque ; rien ne prouve que le procureur de la République, qui a pris à bras le corps un dossier « délicat », n’a pas cherché à bluffer (en utilisant le nom de l’ex président) pour amener un juge à rendre une décision qui irait dans le sens de ses réquisitions.
En matière pénale, la responsabilité est individuelle, et ce n’est pas nous qui allons l’apprendre à un juge.
Quoique aphone depuis le 5 septembre dernier pour des raisons évidentes, l’ex-président de la République n’est pas là pour apporter la contradiction, si tant est qu’il ait l’intention de le faire un jour.
Si toutes les démarches secrètes « illégales », même en tenant compte des questions morales et éthiques, étaient étalées sur la place publique, il y a bien longtemps que la République serait à genoux, dépouillée de toute substance.
Beaucoup d’hommes d’état, de hauts fonctionnaires, de juges ou de simples citoyens ont, au moins un jour, « négocié » en position de faiblesse. Ce sont les aléas de la vie en société.
Mais il est de bon conseil, surtout pour un magistrat dont les décisions et les pensées doivent être dépouillées de toute émotion subjective, de retenir que son image dépend de sa capacité à gérer les situations les plus difficiles dans la plus grande discrétion.
L’une des preuves que la manœuvre du procureur a fait chou blanc, c’est que non seulement le juge Wright a décidé en son âme et conscience, en se fondant sur la loi (libération de Foniké Mangué), mais il a prouvé un attachement à son serment de ne jamais violer ladite loi, qui plus est pour des questions partisanes.
D’après le juge Wright, cet audio a été fait pour des raisons de sécurité, eu égard à la nature de la conversation qu’il a eue avec Sidy Souleymane Ndiaye.
Dès lors, après la chute d’Alpha Condé, à quoi pourrait servir la diffusion d’un tel enregistrement qui, au-delà de la simple personne du procureur, pourrait pousser le citoyen lambda à trouver des arguments pour douter encore plus de la crédibilité d’une justice en phase de construction ?
Pour la petite histoire, après son jugement sur l’affaire Foniké Mangué, le juge Wright a bénéficié d’une promotion, passant du statut de simple juge correctionnel à celui de président par intérim du tribunal de la préfecture à la porte de Conakry, Dubréka.
« Lorsque vous gérez la cité ou une parcelle de pouvoir, quand vous émettez publiquement un jugement de valeur ou que vous posez un acte qui permet à n’importe qui de vous juger à travers ce que vous faîtes et dites, vous vous affaiblissez inconsciemment. Vous devez rester secret et continuer à prendre vos décisions avec honnêteté, empathie mais fermeté », conseillait un grand journaliste de la place.