Censure

Expulsion par les autorités maliennes de l’ambassadeur français : entre rupture et recherche de légitimité (Youssouf Sylla)

La crise qui se joue entre Bamako et Paris trouve ses principales sources dans l’avènement par la force des autorités actuelles du Mali au pouvoir et dans la volonté affichée de celles-ci de faire appel à une société militaire privée russe du nom de Wagner, proche dit-on de Vladmir  Poutine, pour les aider à lutter contre le djihadisme qui met à rude épreuve les forces françaises (Barkhane) et européennes (Takuba). Cette crise qui s’est traduite par une forte escalade verbale entre les deux pays a finalement atteint son point d’orgue avec la lourde décision du Mali d’expulser l’ambassadeur français.

Les développements qui risquent de se produire

En rompant avec la France, les autorités maliennes peuvent avoir en tête l’atteinte de deux objectifs. Le premier est le dégagement des Français au profit des Russes, à travers le groupe Wagner. Mais attention ! la substitution de l’ancien tuteur par un nouveau sur le terrain, ne peut pas être présentée comme la garantie absolue d’indépendance réclamée par les autorités maliennes, lorsqu’on sait par ailleurs qu’en République centrafricaine, les Russes à travers le même Wagner sont accusés, en contrepartie de la protection qu’ils accordent président de ce pays face à son opposition armée, de faire main basse sur ses ressources naturelles.

La question en réalité pour le Mali n’est pas de quitter la gueule d’un loup pour se mettre dans la gueule d’un autre. Le véritable enjeu pour le Mali et l’Afrique en général est la mise en place d’une stratégie commune et robuste en matière de défense collective. L’idée de l’indépendance des Etats africains qui passe, entre autres, par la maîtrise de leurs espaces géographiques sera totalement vouée à l’échec, malgré les gesticulations des uns et des autres, si ces Etats ne s’engagent pas résolument à se donner les moyens de leur défense collective et passent indéfiniment leur temps à rechercher ou à remplacer des tuteurs étrangers en matière de défense.

En effet, si aucune nation ne peut interdire au Mali en tant qu’État souverain (la France étant la première dans ce cadre lorsqu’on sait qu’elle ne cesse par exemple de défendre le droit légitime de l’Ukraine de rallier l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord contre le gré de la Russie), de conclure une alliance militaire avec un autre pays, y compris Russie, il convient de garder seulement à l’esprit qu’en vertu de ses engagements internationaux au titre de la Convention africaine sur l’élimination du Mercenariat, signée à Liberville en juillet 1977 et entrée en vigueur le 22 avril 1985, il est interdit au Mali d’autoriser ou de laisser transiter sur son territoire toute société qui emploie les mercenaires. Autrement dit, le Mali qui a ratifié le 25 septembre 1978 cette Convention a bien entendu le pouvoir en vertu du droit international de signer des accords de défense avec un État de son choix, mais pas avec une société de mercenariat. Toute la question maintenant est de savoir si Wagner est oui ou non une société de mercenaires ?

Le second objectif à atteindre par les autorités maliennes est la recherche de légitimation de leur pouvoir, acquis par la force, sur fond d’incurie du pouvoir civil pro-français d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et d’exploitation à fond du sentiment anti-français dans le pays. Si l’irruption de l’armée enchante une bonne partie de la population à cause de l’espoir d’un nouveau départ, il convient cependant de s’assurer qu’elle ne devienne pour les autorités militaires une occasion de mise en parenthèse durable de la démocratie. Toute confiscation du pouvoir par les autorités militaires ne sera pas sans conséquences pour le Mali. Elle risque de soulever dans ce pays encore sous sanctions de la CEDEAO, de sérieux problèmes internes liés notamment à l’allongement du délai de sa normalisation constitutionnelle. Mais aussi, de booster les djihadistes dans leur volonté de le déstabiliser et d’étendre leurs menaces dans tout le golfe de Guinée. Ce qui est un scénario catastrophique à éviter à tout prix dans l’intérêt de la paix et de la sécurité en Afrique de l’ouest.

Sauver le Mali, un impératif absolu !

Youssouf Sylla

Le chaos au Mali ne profitera qu’aux mouvements djihadistes. Les autorités maliennes, les pays de la CEDEAO et du G5 Sahel, doivent urgemment se retrouver pour trouver une solution africaine à la crise malienne. Il est de la responsabilité de ces organisations de soutenir vigoureusement le Mali à rétablir la sécurité sur l’ensemble de son territoire et à retrouver sa normalité constitutionnelle dans un délai raisonnable. Pour cela, un préalable s’impose, c’est la levée des sanctions contre le Mali, des sanctions qui s’assimilent à une double peine sur un peuple déjà éprouvé par une crise politico-sécuritaire sans précédent.

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