Par Youssouf Sylla. L’administration publique guinéenne connait depuis belle lurette une crise éthique sans précédent qui se manifeste par une appropriation privée des ressources collectives par certains agents publics dont la mission même consiste à protéger ces ressources. Les pratiques et habitudes de certains agents sont carrément incompatibles avec les règles qui régissent l’utilisation du bien collectif. Pour surmonter cette crise dans le cadre de la refondation de l’Etat, il faut une sorte de « Révolution éthique » dans le secteur public. Cette révolution prend différentes formes. La mise en place récente d’une juridiction spécialisée dans la répression des crimes économiques graves en est une. Une autre forme devrait à mon avis porter sur l’adoption rapide du projet de loi en date de 2020 portant code de conduite des agents publics en République de Guinée. Riche en valeurs éthiques, la mise en œuvre de ce code devrait permettre de développer chez les agents publics des réflexes compatibles avec les exigences d’une administration publique moderne soucieuse de la préservation des biens collectifs et des services de qualité rendus aux usagers de l’administration.
Le temps presse et la Guinée doit ouvrir la voie dans ce domaine pour ne pas se laisser devancer par la Côte d’Ivoire et le Sénégal, dotés aussi de projets de loi similaires. Notons cependant que les pays qui luttent résolument contre la corruption dans le secteur public sont dotés de codes de déontologie applicables à leurs agents publics. Il s’agit par exemple du Québec (une province canadienne pas un Etat) et de la France, pour ne citer que ceux-là. L’administration publique québécoise est dotée depuis 2002 d’un Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique qui édicte de nombreuses situations à éviter par un fonctionnaire. « Un fonctionnaire doit donc éviter de se placer dans une situation où il y a conflit entre son intérêt personnel et les devoirs de ses fonctions ou d’avoir un intérêt direct ou indirect dans une activité qui crée un tel conflit » dit le Règlement. En France, il existe depuis 2016, une loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
L’invasion déontologique
A part les administrations publiques, force est de constater que de nombreuses activités sont aujourd’hui inondées de codes de déontologie et d’éthique. Sans être exhaustif, on peut citer la médecine et la pharmacie à cause de leurs impacts sur la santé humaine et la vie des personnes, le secteur des nouvelles technologies, y compris les réseaux sociaux, à cause des menaces qu’elles font peser sur la vie privée, les finances à cause de ses risques sur le revenu des personnes et sur l’économie nationale et internationale, le secteur de la justice à cause de l’impératif de mettre les citoyens à l’abri des erreurs et autres dérives judiciaires, les médias à cause du souci de protéger le public de fausses informations et du respect dû à la vie privée (réputation, honneur des personnes), et le domaine de la sécurité à cause du souci de protéger les citoyens des cas d’abus et autres brutalités policières. On peut citer d’autres secteurs touchés par cette forme d’épidémie de codes de déontologie.
L’éthique connaît de nos jours un essor certain et sans précédent. Car on se rend compte que le législateur ne voit pas tout, ne connait pas tout, donc ne peut pas tout réglementer avec l’efficacité voulue. Il se contente souvent dans les secteurs complexes à fixer les règles fondamentales dans les lois (transparence, reddition de compte, absence d’un conflit d’intérêt, séparation de fonctions incompatibles entre elles, obligation de résultats ou de moyens, etc.) et à déléguer en quelque sorte aux acteurs d’une industrie donnée, le soin, sous réserve de respect de certaines obligations, de fixer dans le détail près, les pratiques, techniques et attitudes à avoir dans l’exercice d’une activité.
Les bienfaits de l’éthique dans les secteurs réglementés
On peut résumer à trois éléments, l’importance de l’éthique dans les activités réglementées. Le premier est qu’il met en place un système avancé de protection du public. Le citoyen est par exemple protégé de l’exercice illégal d’une activité potentiellement dangereuse, susceptible de comporter un danger de mort pour lui. Il est aussi protégé des pratiques discriminatoires de certains fonctionnaires à son égard, tout comme des fonctionnaires véreux qui utilisent leurs positions administratives pour s’octroyer des avantages indus où reverser de tels avantages à leurs proches.
Le deuxième avantage de ces codes est d’accroitre la confiance du public dans les professionnels qui exercent dans des domaines sensibles. Ces codes insufflent des « valeurs morales et éthiques fortes » auxquelles doivent se référer les professionnels dans l’exercice de leurs activités. Dans l’administration publique par exemple, le respect de ces valeurs crée naturellement une relation confiance entre les gouvernants et les gouvernés.
Enfin le troisième et dernier avantage des codes éthiques est qu’ils permettent dans certains cas, au juge, de caractériser une faute reprochée à un professionnel (médecin, financier, journaliste, policier, etc.) dans l’exercice de son activité et susceptible de donner lieu à une sanction judiciaire. En ce qui concerne le juge administratif, il a souvent recours à ces codes pour apprécier la légalité de certaines décisions administratives qui soulèvent d’importantes questions éthiques, notamment dans le domaine médical.