« Nous pouvons être vos coachs et vous aider à marquer des buts », lançait, il n’y a pas si longtemps, un leader politique à l’endroit de la junte au pouvoir. Des semaines plus tard, ciblé dans l’opération dite de « récupération des biens de l’Etat », il est déguerpi, tel un squatteur, de la cossue villa qu’il occupait et dont il dit être le propriétaire. Notre homme, avec beaucoup d’amertume, finira par prendre l’avion pour se rendre dans un pays voisin. A ce qu’il parait, après quelques petits embêtements à l’aéroport de Conakry.
On peut penser que le pauvre a dû se méprendre sur deux ou trois points. Ceux auxquels il a adressé sa « demande d’emploi » n’étaient pas à la recherche d’un coach, pas plus qu’ils n’avaient besoin de marquer des buts vu qu’ils pratiquent, apparemment, un tout autre sport que le football. Peut-être quelque chose qui s’apparenterait au pugilat. De toutes les façons, au regard de la tension qui va crescendo dans les relations entre la junte et certains partis, dont le sien, ce leader doit se dire avec le recul qu’il n’aurait pu servir, dans le meilleur des cas, que de ….punching-ball !
Mais il y a une consolation quand même, aussi maigre soit-elle : son cas n’est pas unique. Un autre président de parti, et pas des moindres, puisque de l’avis de nombreux observateurs c’est le grand favori des élections présidentielles à venir, a été lui aussi délesté de sa résidence acquise il y a 17 ans.
En dépit de tout ce qui précède, on pourrait même affirmer qu’ils peuvent s’estimer heureux, quand on pense à ce que les deux personnalités ont vécu lors d’une autre transition militaire. En 2009, plus qu’une maison, c’est la vie qu’ils ont failli perdre au stade du 28 septembre, quand des éléments FDS (forces de défense et de sécurité), avec une barbarie indescriptible, ont réprimé dans le sang une manifestation pacifique de partis politiques et de la société civile. Bilan ? Au moins 150 personnes massacrées et d’innombrables femmes violées.
L’un et l’autre perdront les élections présidentielles de 2010, avant de crier à la fraude et pointer un doigt accusateur sur le chef de la junte de l’époque.
Ce sentiment de déjà vu et entendu qui persiste…
Héraclite soutenait qu’on ne peut pas se baigner deux fois dans la même rivière. Comme pour dire qu’on ne peut vivre deux fois la même chose, que l’Histoire ne saurait se répéter puisque le monde est un perpétuel changement. Cependant, elle peut bégayer, fera-t-on dire à un certain Marx, des siècles plus tard. Deux fois plus exactement : « la première sous la forme d’une tragédie, la seconde sous celle d’une farce ».
Six mois après le coup d’Etat militaire qui a envoyé au chômage et poussé à l’exil le vieux président Alpha Condé, il y a un troublant sentiment de déjà vu (et entendu) qui persiste.
D’autant curieux, que l’on croirait assister à la projection d’un film dont on connaît la fin sans pour autant être certain de l’avoir vu auparavant. Sans être doté d’un talent de médium, on pourrait même se croire capable d’en prédire les séquences et annoncer les intrigues qui vont suivre.
Après l’enthousiasme délirant des premiers mois, les haies joyeuses sur le passage de celui que certains ont (vite ?) qualifié de « libérateur » (un peu comme d’autres, avant eux, avaient vu en Dadis Camara la réincarnation du prophète Moïse) ; à peine finies les louanges des politiques (à l’exception bien sûr de l’ex parti au pouvoir) et la standing ovation de la société civile pour une ode à la junte ; pendant que se poursuivent effets d’annonce, avalanches de décrets, flots de réformes (cosmétiques ?), torrents de professions de foi et de phrases percutantes (du genre « la justice sera la boussole », alors que l’on est unanime que chez nous dame Thémis a perdu le nord depuis belle lurette), un constat s’impose à ce stade de la transition : l’heure n’est plus à la fête. L’euphorie commence à faire place au doute, les espérances cèdent le pas aux appréhensions, les signes annonciateurs de la gueule de bois au lendemain de la fiesta semblent réunis.
Conséquence logique : les coups de gueule et critiques acerbes contre le pouvoir kaki ponctuent de nouveau le débat ; dans les quartiers chauds de la banlieue de Conakry, on piaffe d’impatience à l’idée que la prochaine « intifida » n’est plus loin ; dans certains états-majors politiques on commence à montrer les dents et sortir les griffes.
Dans cette atmosphère de veillée d’armes, le ministre chargé de l’Administration du territoire a daigné, finalement, ouvrir son bureau aux partis politiques, après de nombreux appels au dialogue restés jusqu’alors sans écho. Dont le dernier appel sous la forme d’une déclaration plutôt musclée, où 58 formations politiques menacent d’arpenter le macadam si leurs exigences ne sont pas satisfaites.
Ce petit pas du ministre Mory Condé vers la mise en place d’un cadre de dialogue permanent et inclusif, suffira-t-il pour décrisper la situation ?
Rien de moins sûr.
« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup »
Il faut rappeler qu’outre la réclamation d’un cadre pour discuter, s’entendre sur ce que va être la transition, il existe d’autres exigences telle, par exemple, la mise en branle de la justice concernant les crimes de sang qui ont jalonné le processus démocratique ces dernières années. Alors qu’en lieu et place, déplorent certains, on s’échine à exhumer, au nom de la lutte contre la corruption, de vieux dossiers déjà perçus au sein de l’opinion comme les éléments d’une cabale visant un ou des leaders bien identifiés. Ce qui est assimilé par ces derniers à un populisme de mauvais aloi, dans un schéma cherchant à opposer « le bon peuple » miséreux à des élites politiques ou administratives opulentes parce que corrompues, empêtrées qu’elles seraient dans des scandales financiers. À quelle fin ? Les disqualifier pour les prochaines joutes électorales .
À peine la porte dudit dialogue entrebâillée, voilà lancées les « assises nationales » censées réconcilier des Guinéens qui seraient à couteaux tirés. Annoncées en grande pompe depuis fin janvier dernier par le président de la transition, ce lancement solennel a surtout été marqué par l’impréparation, voire la précipitation et l’improvisation. Hormis le peu qu’on en a appris à travers le discours incantatoire du colonel Doumbouya, lors de la cérémonie d’ouverture, c’est le flou total sur leur conduite, vu qu’on attend toujours les termes de référence (TDR). Ce qui apporte de l’eau au moulin des nombreux partis et organisations de la société civile qui ont préféré briller par leur absence. Ayant sans doute estimé, comme le dirait l’autre, que « s’il y a le flou, c’est qu’il y a un loup ». D’aucuns y voyant même un subterfuge pour garantir l’impunité aux auteurs des crimes de sang évoqués plus haut.
Moralité ? Le divorce entre la junte et certains ténors de l’arène politique semble aujourd’hui consommé. Pour ceux-là, Mamadi Doumbouya et le CNRD mènent un jeu trouble et ne sont plus par conséquent dignes de confiance.
Et on devrait s’attendre, en toute logique, à des désaccords encore plus profonds, lorsque des questions sensibles comme la durée de la transition, le choix de la structure devant organiser les élections, le projet de la nouvelle constitution seront abordées.
Pendant ce temps, les populations assistent, impuissantes et ne sachant vers quels bons samaritains se tourner, à un renchérissement du coût de la vie qui vient aggraver une pauvreté qu’elles traînent depuis des lustres, telle une malédiction.
En croisant les doigts, elles implorent le Ciel pour qu’Il guide les pas du colonel Doumbouya et ses compagnons, pour que la transition ne tourne ni à la tragédie ni à la farce. Surtout pas les deux à la fois.