La transition est à bout de souffle, sa mort est proche et peut-être même, inévitable. Peu s’en fallut pourtant qu’on succombât, quelques mois plus tôt, au jeu séducteur du CNRD, parce que, quoi que l’on dise aujourd’hui, nous avions foi aux militaires qui l’incarnent. Eux qui savent, mieux que quiconque, l’importance du devoir et la nécessité du sacrifice. Nous espérions, non pas la construction nationale, car celle-ci prend du temps et se fait – je le crois – à plusieurs, mais l’engagement républicain. Ce désir d’appartenance à une cause plus grande que soi et qu’on se doit d’accomplir pour le bien commun. Je crois que cette cause est aujourd’hui trahie.
Les CNRDistes (je les appelle ainsi parce que le CNRD est à mes yeux beaucoup plus qu’un mouvement spontané qui s’est construit au gré du vent, c’est une philosophie qui peine désormais à convaincre ceux qui l’on pourtant fécondée) se sont éloignés de leur mission inaugurale, de leur but fondateur. Ils veulent construire un État nouveau mais sapent les fondements qui doivent nous y conduire. Ils veulent mettre en place une République démocratique mais s’arrogent d’ores et déjà les pleins pouvoirs. Ils veulent recréer un désir fort d’appartenance à la nation mais creusent davantage la fracture identitaire. Cette contradiction fondamentale a fini par aspirer le désir du renouveau et la volonté de renaissance.
Aujourd’hui, nul espoir ne se profile à l’horizon. L’ombre du gouvernement précédent nous poursuit et à défaut d’une lumière pour entamer la disruption, nous reproduisons ses tactiques moribondes.
Notre pouvoir exécutif est au service d’une pensée unique, une nébuleuse dont personne ne connait l’identité. DOUMBOUYA n’est rien d’autre que la face visible de l’iceberg. Un mannequin qui fait la promotion d’un vêtement qu’il est loin d’avoir conçu. Pour ce qui est de notre fameux Premier ministre, c’est une œuvre d’art qui tente désespérément d’orner une architecture qui est vouée à l’effondrement. Il n’attire plus aucun contemplateur, pas même le plus curieux d’entre nous.
Notre pouvoir législatif est dans la main d’une bande de copains arrogants et illégitimes. Ils doivent leur nomination à un chef qu’ils se doivent d’adorer s’ils tiennent, tant soit peu, à profiter des prébendes. Pas étonnant qu’ils se croient au-dessus des lois après leur serment d’allégeance. On ne peut même plus remettre en question le funeste projet porté par les plus téméraires et aussi les plus cyniques d’entre eux sans être accusé d’outrage par un procureur qui joue désormais le rôle de « chien de garde » du pouvoir, rôle autrefois assigné à la défunte Cour Constitutionnelle.
Notre pouvoir judiciaire est à la solde de magistrats difficiles à cerner. Tantôt courageux, surtout s’il s’agit de coffrer les citoyens et les anciens dignitaires ; tantôt lâches quand il s’agit d’engager une action contre les membres du CNRD, coupables, pour la plupart, de crimes de sang. Les militaires assassinés le 05 septembre étaient aussi des justiciables dévoués à la patrie. Ils ont été tués dans l’accomplissement de leur devoir de soldat. N’ont-ils pas droit à la justice, celle qui était pourtant censée être la boussole de la transition ?
Nul besoin de revenir sur tous les cas emblématiques. Cependant, la situation où le Ministre de la Sécurité, sans aucune retenue, s’est permis de gifler un policier ne peut rester sous silence. Ce comportement inutile et indigne n’a fait l’objet ni de poursuite judiciaire, ni de rappel à l’ordre. Un message violent s’est distillé dans cette impunité. En Guinée désormais existent deux catégories de citoyens : ceux qui sont au-dessus des lois et ceux qui sont en deçà.
Ce n’est guère étonnant si le préfet de Siguiri, devant le regard médusé des élèves en situation d’examen, s’est permis de sortir une arme blanche pour, soit-dit en passant, arranger les cheveux d’un élève dont le seul crime est de les avoir laissé pousser. Il croyait bénéficier d’une protection analogue à celle du ministre, dommage pour lui. Un préfet, dans un régime militaire, est un pion dont personne ne se soucie. Il a été limogé après indignation massive des internautes, toujours est-il que jusque-là, il n’a fait l’objet de la moindre interpellation. Or cet acte délictuel pourrait être qualifié de violence sur personne physique et donc constitutif d’infraction pénale. On se demande ce qui justifie le silence de notre procureur bien aimé.
Tous ces faits se passent devant le peuple devenu indifférent à son propre sort. Pourrait-on seulement lui en vouloir, lui qui a tout connu, tout subi et qui a fini par se résigner. Indigent, il doit aussi vivre l’humiliation du déguerpissement pour avoir acheté dans les mains de l’Etat un bien qui appartiendrait à ce dernier. Pourtant, la transition lui avait donné un peu d’espoir et de répit dans ce bled pommé et injuste où les rapaces sortent toujours gagnants.
Maintenant que l’espoir ne sert plus à rien sinon à essuyer des larmes d’une blessure si profonde, le peuple a décidé de se taire donnant l’impression à la junte d’être avec elle jusqu’à ce qu’un jour, la boucle soit bouclée. Elle le sera à coup sûr si le CNRD ne change pas de cap, de direction. Peut-être est-il trop tard pour ça.