Quelles que soient les erreurs ou les désaccords, nous pouvons toujours être autour de la table. L’opportunité d’une réconciliation ne se présente pas à tout moment pour des dirigeants. Tous les pays africains sont presque à un tournant décisif qui mérite une attention particulière pour ne pas renouveler les erreurs et les incompréhensions du passé. Il y a aujourd’hui des exigences nouvelles (environnementales, institutionnelles, économiques) qui émergent comme des impératifs d’établissement de la vérité, de la justice, de la réconciliation et du pardon. Tout cela vient s’ajouter aux urgences sociales et de redistribution, si anciennes et trop peu satisfaites.
La Guinée, la Côte d’Ivoire et le Mali doivent saisir et s’approprier des grandes thématiques actuelles pour poser les vraies bases de la réconciliation dans le cadre du rétablissement de l’état de droit, des dynamiques de réconciliation, de lutte contre toutes les formes de discrimination ou de clanisme dans leurs administrations.
C’est un moment rare qu’il faut mettre à profit pour que la parole soit libérée, pour que les populations de ces trois pays puissent exprimer leurs attentes et leurs désirs à l’ensemble des élites au pouvoir comme hors du pouvoir. La question de la réconciliation est fondamentale, mais elle doit être complétée par la quête de la justice, et la quête de la réparation pour éviter des répétitions. Le pardon viendrait à la suite d’un processus transitionnel de vérité, justice et réparation et non répétition. Ce sont des thématiques extrêmement importantes.
L’action d’une Justice indépendante est un élément fondamental pour aller dans la dynamique du pardon et je pense qu’il ne faut pas sanctionner seulement, il faut écouter et respecter la parole de chacun : victime ou persécuteur ; il faut surtout éduquer les citoyennes et citoyens, cela doit commencer dans les familles, mais aussi en dehors des familles, dans les écoles jusqu’au niveau universitaire.
Il faut convoquer les médias pour qu’ils divulguent des émissions liées à l’éducation civique et morale. Inviter les citoyennes et citoyens de ces trois pays à renouer avec leur histoire pour qu’ils puissent s’asseoir ensemble et se mettre d’accord sur le chemin pour tracer l’avenir. Toute manœuvre qui consisterait à faire croire que c’est le nombre de partis politiques (plus que leurs engagements pour le bien commun) qui constitue le facteur encourageant l’ethnocentrisme, le régionalisme dans ces pays, ou la vigueur démocratique est un frein au rétablissement de l’état de droit. Notre histoire africaine nous a montrées que si la restructuration du nombre des partis politiques pouvait développer ces états africains et unir ces citoyens, les partis uniques après les indépendances auraient développé la presque majorité des pays africains issues des indépendances.
C’est une erreur de croire que tout change avec une élection présidentielle et la victoire de tel ou tel, comme au football. Des politiques publiques effectives et efficaces sont plus attendues qu’une compétition politique et des palabres de couloir. Selon le président du Model Aliou BAH, « le multipartisme ne pose pas problème, c’est plutôt la mauvaise application des règles de compétition électorale qui est le problème et cette responsabilité est dévolue à ces Etats en tant qu’entité institutionnelle et non en tant qu’expression d’un parti ou d’une tendance, qui au lieu de bien jouer leur rôle prend des positions partisanes avec des agendas cachés selon leur intérêt personnel au détriment de la démocratie ». De même s’il peut y avoir, provisoirement de la part des armées, un devoir de stabilisation face à un gouvernement qui aurait failli, il n’y a pas de solution politique ou économique, fondée sur l’ordre militaire.
La réconciliation me paraît donc malheureusement une fausse bonne idée pour nos pays parce qu’il n’y a pas de problème insurmontable dans ces pays, en dehors du moment du processus électoral trop souvent chaotique : il est temps de devenir majeurs en ne revendiquant plus une indépendance vis à vis des autres, mais en assumant sérieusement dans nos actes et dans nos valeurs cette indépendance. Deux pays des grands lacs s’y attèlent, que ceux de l’Afrique de l’ouest s’y engagent aussi. La réconciliation, les assises nationales, les concertations ou les dialogues, dont nous devenons des spécialistes, doivent vraiment aller vite au-delà des discours de complaisance, se matérialiser par un engagement de sincérité.
Nous voulons tous la paix, mais la paix n’est pas seulement l’absence de la guerre, elle suppose que le régime politique respecte les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous. Que chacun puisse se sentir pris en compte, protégé et respecté par les institutions.
La première responsabilité de celles et ceux qui ont des charges publiques, c’est de veiller à l’application équitable, juste et transparente des lois, dans tous les actes de l’administration publique.