Censure

Massacre du 28 septembre 2009 : A-t-on le droit de se taire quand on connaît la vérité !

Le 28 septembre 2009, une manifestation de partisans de l’opposition a été organisée au « stade du le 28 septembre » contre les projets du chef de la junte militaire, Moussa Dadis Camara, au pouvoir de se présenter à l’élection présidentielle. Cette manifestation a été réprimée dans le sang par l’armée.

Le 3 décembre 2009, Moussa Dadis Camara est blessé lors d’un attentat par son principal conseiller et aide de camp, Aboubacar Toumba Diakité, et le ministre de la défense, Sékouba Konaté, prend la présidence par intérim. Aboubacar Toumba Diakité expliquera quelques jours plus tard, sur les ondes de la Radio France Internationale, RFI, avoir commis l’attaque parce que Moussa Dadis Camara avait l’intention de rejeter sur lui toute la responsabilité du massacre.

Le 16 décembre 2009, un document de 60 pages a été remis au Conseil de sécurité par le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Les 60 pages accablent Moussa Dadis Camara, Aboubacar Chérif « Toumba » Diakité et Moussa Thégboro Camara, qui sont tous trois considérés comme ayant « une responsabilité pénale individuelle » dans ces massacres. Mais d’autres noms apparaissent également. Ceux de Claude Pivi et du général Sékouba Konaté, entre autres.

Le 17 février 2010, la procureure adjointe de la CPI, Fatou Bensouda, s’est rendue en Guinée pour une visite de 3 jours. À la fin de sa visite, elle a déclaré que le massacre des partisans de l’opposition par les militaires était un crime contre l’humanité.

Le 8 juillet 2015, entendu par des juges guinéens à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, où il vit en exil depuis 2010, Moussa Dadis Camara, à l’instar de ses onze autres coaccusés, a été inculpé dans le cadre de l’enquête sur le massacre du 28 septembre 2009.

Le 16 septembre 2021, à peine nommé, le ministre de la Justice, Charles Alphonse Wright, promettait que la vérité sera connue et fixait la date du 28 septembre 2022 pour la tenue du procès du massacre du 28 septembre 2009.

Aujourd’hui, à la barre, les coaccusés défilent et se ressembles : trous de mémoire et déni, réponses évasives, appels aux djinns et aux fétichismes, récitations coraniques et bibliques, monologue évoquant les philosophes Héraclite et Emmanuel Kant, tableau du scientifique russe Mendeleïev comme si, par exemple, ce classement des éléments chimiques élaboré à la fin du XIXe siècle pouvait aider à percer le mystère de ce que fut le pouvoir de Moussa Dadis Camara, entre le 23 décembre 2008 et le 3 décembre 2009. Sont-ils conscients qu’ils sont devant une cour criminelle et qu’ils sont accusés de crime contre l’humanité, de crimes qui ont détruit des vies et que leur gravité a porté atteinte à l’humanité toute entière ?

Les atrocités commises et les brutalités subies pendant ces massacres nous reviennent aujourd’hui à l’esprit. Plus de 157 personnes ont été tuées, des centaines ont été blessées ou sont devenues la cible de crimes sexuels et le tout en moins de trente minutes dans l’un des tueries les plus rapides et les plus systématiques connus de l’histoire de la Guinée.

Les images de ce qui s’est passé ce jour-là dans notre pays, restent gravées dans nos consciences et dans nos mémoires. Les souvenirs continuent de susciter une profonde émotion en nous – de répulsion, de chagrin et de honte. Pour comprendre cet héritage dans quelque mesure que ce soit, et pour commencer à le surmonter, nous devons savoir que de sérieux efforts sont nécessaires pour rappeler et reconnaître la gravité des infractions et des violations flagrantes qui se sont produites.

C’est une occasion importante pour se souvenir et pleurer les vies perdues, faire preuve de solidarité avec les survivants et renouveler l’engagement pour que cela ne se reproduise plus jamais. C’est également l’occasion de réfléchir à l’avenir, que nous croyons très prometteur, de notre beau pays en matière de réconciliation et de construction de la nation.

Nous avons l’obligation morale de tirer de ce procès, non seulement un aperçu plus profond de ce qui s’est passé, mais aussi une reconnaissance renouvelée que nous ne devons jamais être complaisants, ou nous contenter de simplement condamner l’héritage de nos devanciers. Au contraire, nous devons redoubler d’efforts pour redresser l’héritage des injustices passées.

Et si l’immensité de la tâche semble décourageante, notre parenté et nos affinités avec nos quatre roux, avec nos quatre régions naturelles, nos quatre poumons dans un même corps, peuvent renforcer notre détermination et notre courage.

Les paroles de Mgr Desmond Tutu peuvent nous guider et nous donner du courage. Lorsqu’il a été nommé président de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, il a déclaré : « La vraie réconciliation n’est jamais bon marché, car elle est basée sur le pardon qui coûte cher. Le pardon dépend à son tour de la repentance, qui doit être fondée sur la reconnaissance de ce qui a été mal fait, et donc sur la révélation de la vérité. Vous ne pouvez pas pardonner ce que vous ne savez pas. La Commission doit être orientée vers les victimes de violations des droits de l’homme. Je voudrais que nous nous concentrions sur la réhabilitation des victimes et la restauration de leur dignité ».

Cette assertion de l’ancien prix Nobel de la Paix, paix à son âme, nous rappelle que la vérité est comme un flambeau. Un flambeau qui illumine les violations que leurs auteurs préfèreraient cacher. Un flambeau qui montre le boulevard vers la paix, la justice et la réparation pour les victimes. Lorsque ce flambeau s’éteint, les sociétés, plongées dans un monde de ténèbres, deviennent la proie des menaces, du mensonge et de la méfiance. Ceux et celles qui violent les droits humains, c’est-à-dire qui veulent nuire, contrôler voire tuer, s’enhardissent et pensent pouvoir agir en toute impunité.

C’est pourquoi, nous attendons et espérons que ce procès, la première dans l’histoire de notre jeune nation, nous permette de renouveler l’engagement pris de lever le voile sur ces violations flagrantes et d’aider notre pays à surmonter ses divisions, à se réconcilier dans la paix et à se rassembler pour promouvoir et protéger la santé, la sécurité, la dignité et les perspectives de chaque guinéen.

Pour la Guinée, pour la paix, pour le pardon et la réconciliation nationale, a-t-on le droit de se taire quand on connaît la vérité ?

Ousmane Boh Kaba

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