Censure

Satire à vue. Lettre au Père Noël (Par Top Sylla)

Cher Père Noël

Revoilà Noël, sa ferveur, ses joies ainsi que la fête qui va avec, et surtout son lot de cadeaux pour les enfants. Ceux qui ont quitté les langes il y a moins d’une vingtaine d’années ; et ceux qui sont restés des mômes dans l’âme malgré le poids de l’âge, les épreuves de la vie ou encore les balafres du temps.

C’est le moment de t’écrire, alors que, sans doute, du fond de ta Laponie natale, tu es déjà en train de remplir ta hotte et que tes rennes trépignent d’impatience à l’avant du traîneau. Le véloce Rudolph en tête.

Cher Père Noël

Cette année encore, tu vas trouver qu’ici en Guinée nous ne sommes pas à la fête. Loin s’en faut ! Il arrive même que d’aucuns parmi nous y voient une forme de malédiction, et n’arrêtent pas de se poser cette angoissante question : qu’avons-nous donc fait au bon Dieu ?

Depuis ton séjour en décembre 2021, s’il y a eu un changement c’est au niveau de l’état d’esprit. On est passé du rêve à la désillusion, de l’espoir au désenchantement. Pendant que les conditions d’existence des Guinéens se dégradent depuis, chaque jour un peu plus. Les attentes suscitées par la chute du pouvoir – alors décrié – du président Condé, ne sont plus que de lointains souvenirs. Chez bon nombre de compatriotes l’heure est à la déception, le désarroi, la peur du lendemain.

Les putschistes du 5 septembre 2021 ont collé au pouvoir déchu tous les maux imaginables et maculé d’hémoglobine le théâtre de leur exploit, avant de s’engager, avec des mots dont l’écho résonne encore dans les oreilles, à combattre l’objet de leurs dénonciations et surtout à « éviter les erreurs du passé ».

Cher Père Noël

À l’évidence, notre junte militaire n’a pas pu – ou su – éviter toutes celles du passé. Mais ce qui inquiète davantage, c’est qu’elle semble plutôt encline à multiplier les erreurs, voire les fautes du présent.

Ne se rendant assurément pas compte que les effets d’annonce n’accrochent plus, que les slogans qui appâtaient avant les moins lucides d’entre nous ne font plus mouche, le travail d’apprenti sorcier a fini par étaler au grand jour ses limites.

La justice, annoncée comme étant la boussole, semble avoir perdu le nord pour revisiter les méthodes honnies de l’inquisition. Et la croisade lancée prétendument contre les chapardeurs de biens publics, a pris les allures d’un procès en sorcellerie. Quant à la tenue du jugement en bonne et due forme promis par les autorités, il faudrait peut-être patienter jusqu’à la Saint-Glinglin.

Cher Père Noël

À l’orée de l’année nouvelle, avant de diriger ton traîneau sur la Guinée, ce serait bien de te camper le décor.

Dans mon pays, la faillite de l’Etat, les inégalités sociales, la pauvreté, l’insécurité, le manque d’eau potable, les coupures d’électricité, le désordre moral et la démagogie sont toujours d’actualité.

C’est pourquoi, même sans avoir le timbre vocal et l’inspiration du légendaire Tino Rossi, je t’implore, « Petit Papa Noël, quand tu descendras du ciel » :

– De ne pas oublier de mettre à contribution « Rudolf », le neuvième renne, pour éclairer ton chemin. Tu ferais bien de te munir d’ailleurs d’une lampe-torche, parce que tu pourrais trouver Conakry plongée dans le noir.

– Fais très attention en circulant dans les rues de la capitale. Outre le risque de se faire attaquer par des bandits armés de Kalachnikov, tu pourrais te rompre les os en chutant dans l’un de ces innombrables fossés creusés un peu partout. Une fois sur les lieux, tu éprouveras sans doute de la compassion pour nous autres pauvres « Conakry ka » (au fait quel est le gentilé officiel de la capitale guinéenne ?), auxquels on impose ainsi de véritables supplices « BTPesques ». N’essaye surtout pas de distinguer dans ces chantiers disgracieux ce qui est nouveau et qu’on est en train de réaliser, de ce qui est déjà vieux et en voie de dégradation. Ce serait peine perdue.

– En plus des poupées, tu pourrais prévoir quelque chose pour les petites filles, souvent victimes de viol de la part de détraqués sexuels dans les rues, les écoles et même au sein de certaines cliniques et autres centres de santé. Peut-être que des ceintures de chasteté avec de solides cadenas pourraient faire l’affaire.

Enfin, cher Père Noël,

je t’en conjure, donne en guise de cadeau à toute cette faune de civils et de galonnés qui ont la prétention de nous gouverner, la bonne foi et le sens de l’intérêt général. Tu ajouteras une bonne dose de discernement et quelques pincées d’humilité. L’image de certains hommes forts de la junte de 2009-2010, aujourd’hui dans le box des accusés du tribunal criminel siégeant à Kaloum, devrait faciliter la tâche.

Pour qu’au terme de cette transition encore pleine d’incertitudes, le pays puisse retrouver la normalité sous le leadership de dirigeants que ses filles et fils auront librement choisis. Sans avoir besoin de l’aide des rois mages, Gaspard, Melchior et Balthazar, pour repérer et suivre l’Etoile du berger.

Bon courage pour tes livraisons durant cette nuit du 24 et 25 décembre, avant de prendre des vacances qui durent quasiment douze mois !
Quel veinard !

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