Renversé le 5 septembre 2021 et désormais en exil en Turquie, l’ancien président guinéen est poursuivi par la justice de son pays. Pour ses avocats, les accusations dont il fait l’objet sont scandaleuses.
Nous avons accompagné Alpha Condé lorsqu’il a été jeté en prison par Lansana Conté. À l’époque, c’était le Nelson Mandela de l’Afrique de l’Ouest : les valeurs de l’Internationale socialiste, l’engagement de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), qu’il avait créée, et l’autorité incontestée du professeur à la Sorbonne. Quarante ans d’épreuve du feu pour la conquête du pouvoir…
Il a été condamné à mort en 1970, puis, trente ans plus tard, il a connu un emprisonnement équivalent à la pire des tortures, d’abord mis à l’isolement pendant dix-huit mois dans un bâtiment vidé des autres prisonniers, et, un an encore, parqué dans un poulailler en tôle ondulée au milieu de la cour de la prison.
Enfin, il est sorti en héros, élu président de la République le 21 décembre 2010, avec le mérite d’avoir respecté les institutions et d’avoir refusé le coup de force et le bain de sang. « Je ne gouvernerai pas un cimetière mais un peuple », avait-il dit, renonçant à revendiquer sa victoire à la présidentielle de 1993 afin d’éviter que se déchaîne la folie meurtrière de son prédécesseur.
Meute politique et militaire
Notre rôle d’avocats s’est arrêté le jour de son investiture. En effet, pendant sa présidence, nous n’avons pas été missionnés par l’État guinéen. Et nous n’avons donc jamais reçu ni dossiers, ni honoraires de l’agent judiciaire de l’État, ni décorations. Mais, aujourd’hui comme il y a vingt ans, il est poursuivi. Et il nous a rappelés. Alors, face à une meute politique et militaire qui lui promet un procès sans droits et dont le préliminaire est une désinformation, nous devons prendre la parole.
Ses détracteurs d’Afrique et d’ailleurs veulent présenter Alpha Condé comme le responsable d’un bain de sang, alors que l’actuel putschiste en chef, à la tête des forces spéciales, a directement participé à une vague de répression mortelle, allant jusqu’à se filmer lui-même, exhibant les dépouilles de ses victimes comme s’il s’agissait d’un trophée.
On comprend que Mamadi Doumbouya fut alors désigné et visé par le FNDC (représentant la société civile) comme le primus inter pares sur la liste des personnes que la Cour pénale internationale devrait poursuivre. Une vision opportuniste du coup d’État du 5 septembre 2021 pourrait expliquer que sa prise de pouvoir n’aurait d’autre but que de le protéger – pour l’instant – contre de telles poursuites. D’ailleurs, depuis, qu’a-t-il fait d’autre que d’inaugurer les réalisations d’Alpha Condé en se les appropriant, et d’affronter l’incompréhension de la communauté internationale ?
Les détracteurs d’Alpha Condé veulent présenter l’ancien président comme un prévaricateur qui aurait pompé l’argent des fabuleuses mines guinéennes – mais où le trésor aurait-il été caché ? Alpha Condé possède le même appartement à Paris que du temps où il était un intellectuel du Quartier latin ! Et nul accusateur public n’a jamais trouvé, à lui et à ses proches, aucune propriété – ni en France ni ailleurs –, ou aucun compte en banque. Or on sait que tout flux financier, même offshore, serait aujourd’hui « délabyrinthé » et scrupuleusement tracé par les moyens techniques imparables dont dispose la police financière internationale.
Résultats exceptionnels
Au contraire, les agrégats macro-économiques obtenus durant sa présidence sont édifiants. Malgré trois ans de crise sanitaire Ebola et deux ans de pandémie de Covid-19, les résultats sont exceptionnels. En dix ans, le produit intérieur brut (PIB) de la Guinée est passé de 6,7 milliards à 15,6 milliards de dollars, selon les chiffres de la Banque mondiale. S’agissant de l’énergie, la Guinée est passée d’une production de 270MW en 2010 à 1 100 MW en 2020, avec, notamment, les barrages de Kaleta et de Souapiti, mais aussi avec le puissant groupe à gaz de Kankan, dont la junte voudrait usurper la paternité.
En 2010, le pays ne possédait qu’une seule cimenterie, en mauvais état ; aujourd’hui, la Guinée est exportatrice de ciment. En 2010, il n’y avait aucune usine de farine ; la Guinée en exporte désormais. Le Port autonome de Conakry, qui était l’un des moins compétitifs en 2010, est aujourd’hui, avec l’aide des Turcs d’Albayrak, l’un plus performants d’Afrique.
La Guinée est le seul pays minier qui affecte directement 15% de ses recettes minières à ses populations. Alors qu’en 2010 les paysans connaissaient à peine les engrais et les herbicides, ils disposaient, en 2020, de 100 000 tonnes d’engrais, et le pays est passé à la mécanisation de son agriculture.
L’organisation des fêtes tournantes de l’indépendance a permis de changer complètement le visage des villes de l’intérieur. Conakry s’est parée d’hôtels modernes et luxueux. Des immeubles ont poussé partout comme des champignons, sans oublier les nouvelles infrastructures dont a été dotée l’école guinéenne, comme l’université Gamal-Abdel-Nasser, et les hôpitaux, comme celui de Donka. Comme l’a dit un jour le défunt président tchadien Idriss Déby Itno au président Emmanuel Macron : « Conakry était un gros village en 2010. C’est le président Condé qui en a fait une véritable ville. »
Surtout, la population sait combien Alpha Condé a lutté, avec la plus grande efficacité, contre Ebola, contre le Covid-19 et contre le paludisme, lequel, en 2010, provoquait la moitié des décès recensés dans le pays, contre seulement 10% aujourd’hui.
Indignation sélective
Tout cela démontre que l’argent est donc bien allé dans la poche du peuple et non dans celle d’Alpha Condé ! Il est l’un des rares chefs d’État à avoir utilisé son budget de souveraineté pour mener des actions, urgentes et nécessaires en matière de développement, que le budget général de l’État ne parvenait pas à supporter.
En 2018, d’après les statistiques de la Banque mondiale, la Guinée avait le plus grand nombre de projets de développement, tous secteurs confondus. Hélas, faute d’une communication digne de ce nom de la part du gouvernement – et cela, d’autant qu’Alpha Condé a toujours refusé de gaspiller l’argent de l’État auprès d’onéreux cabinets étrangers –, ces programmes réalisés au bénéfice des populations n’ont pas été suffisamment expliqués et n’ont pas reçu l’exposition médiatique qu’ils méritaient.
Force est de constater que, dix-huit mois après le coup d’État du 5 septembre 2021, le pouvoir militaire n’a engagé aucun projet. Nous disons bien : aucun. En revanche, beaucoup d’autres ont vu leur réalisation abandonnée. L’aigle guinéen a été stoppé en plein envol. Il faut aussi rappeler le brio avec lequel Alpha Condé avait présidé l’Union africaine en 2017, véritable fierté pour tous les militants panafricains du continent.
Alors, faut-il réduire ce bond en avant à un échec démocratique, eu égard à la fin de l’histoire ? Non, car l’histoire n’est jamais finie. Et faut-il rappeler qu’Alpha Condé, tout comme les instances internationales, n’a pas « reconnu » (au sens juridique du terme) le putsch, et que la Cedeao a suspendu la Guinée de ses instances ?
Aux yeux usés des grandes démocraties occidentales, un troisième mandat d’Alpha Condé aurait été scandaleux, alors que d’autres présidents pouvaient faire plus de quarante ans au pouvoir avec leur bénédiction, ce n’est pas ainsi que l’a vécu récemment la Côte d’Ivoire ou que le vivra peut-être le Sénégal, curieusement épargnés par ce qui ressemble à une indignation sélective. En réalité, le seul crime du président Alpha Condé est d’être souverainiste et panafricain, d’exiger le respect de la souveraineté des pays africains, et d’avoir eu l’audace d’inciter ses homologues à « couper le cordon ombilical ».
Cette tribune est signée par
- Pierre-Olivier Sur, avocat au barreau de Paris
- Boukounta Diallo, avocat au barreau de Dakar
Source : Jeune Afrique