Pas grand-chose à voir avec le monde palpitant de « Cyclone à l’ONU » du journaliste et écrivain Gérard de Villiers. Un roman de la série S.A.S., tout au long des pages duquel le prince Malko Linge, aux prises avec des barbouzes qui ne lui veulent pas que du bien, se lance dans une périlleuse mission au service de la CIA (l’agence de renseignements américaine).
Quelqu’un n’a-t-il pas dit qu’avec les assemblées générales des Nations Unies l’essentiel se passe dans les coulisses ? En tout cas, il arrive que des détails croustillants se déroulent loin du célèbre Palais de verre de Manhattan.
À l’image du mauvais quart d’heure vécu par un ministre de la junte à la sortie d’une mosquée de New York. Venu peut-être en ce lieu de culte pour prêcher la bonne parole de son »saint-patron » à lui, le pauvre a failli se faire crucifier pour des motifs plutôt politiques que religieux. Il est fort probable qu’il se souviendra longtemps de ce parvis, qui aurait pu être pour lui un petit Golgotha au cœur du Bronx, et qu’il n’oubliera pas de sitôt la bouffée d’adrénaline ressentie.
La tribune de l’ONU, où des orateurs venus des quatre coins du monde se succèdent pour débiter leur prose, a été au fil des années le théâtre de grands moments. Il y a eu du top level, mais aussi de retentissants flops.
Parmi les beaux souvenirs on pourrait évoquer le discours de Nelson Mandela en 1994, le premier en tant que président de l’Afrique du Sud post-apartheid, qui a été salué comme un moment historique pour la lutte contre l’oppression et l’injustice. Tout comme, entre autres, les passages remarquables de Thomas Sankara et de Sékou Touré qui, sans battre le record du Cubain Fidel Castro et son discours fleuve de quatre heures, ont montré l’étendue de leur talent de tribuns. Par leur verve et grâce à la magie du verbe.
Manque de propositions et arguments contradictoires
La 78e session ordinaire s’est ouverte alors qu’une « épidémie » de coups d’Etat, selon la formule du président Macron de France, sévit dans certains pays francophones au sud du Sahara (et non « des pays du sud du Sahara », comme lu et entendu quelque part). Dont la Guinée qui en est à son troisième putsch militaire depuis 1984.
Pour aborder le sujet qui est d’une brûlante actualité, le président de la transition guinéenne n’a pas mis de gants et n’a nullement eu besoin de pincettes. Pour le colonel Mamadi Doumbouya, dont c’était la première intervention à la tribune des Nations Unies, les véritables putschistes ne sont pas ceux que l’on pense. Il justifie la résurgence des coups d’Etat surtout par « les promesses non tenues, l’endormissement du peuple, le tripatouillage des constitutions par des dirigeants qui ont pour seul souci de se maintenir indéfiniment au pouvoir au détriment du bien-être collectif ».
Le tombeur d’Alpha Condé ira plus loin en pourfendant ce qu’il assimile à une « démocratie à l’occidentale », et qui serait, à ses yeux, incompatible avec les réalités de nos pays d’Afrique. Rouvrant du coup un vieux débat.
Ce qui est déjà remarquable, c’est le fait que de telles opinions puissent encore susciter de l’intérêt, alors qu’elles n’ont rien d’original. À force d’avoir été dites, répétées et ressassées à l’envi, elles font penser à un disque rayé parce que trop joué.
Doumbouya est revenu donc avec des décennies de retard sur les pas d’hommes d’Etat comme le Tanzanien Julius Nyerere et sa démocratie socialiste appelée « ujamaa », Thomas Sankara, Mouammar Khadafi, Sékou Touré et sa « démocratie populaire » qui oppose aux droits de l’homme ceux du peuple, ou encore Mobutu Sese Séko qui affirmait sans sourciller, qu’étant peuplé de Bantous, le Zaïre préférait en lieu et place d’une opposition politique la juxtaposition.
Mais, à l’opposé de ses célèbres devanciers, qui ont cherché à adapter les principes démocratiques aux réalités socio-culturelles de leurs pays respectifs, en tenant compte des traditions, des valeurs et des besoins spécifiques, Doumbouya ne propose rien. Pour le moment.
La Guinée engagée bien avant la Baule
Pire encore, en affirmant que cette démocratie ne fonctionne pas en raison de nos réalités, il oublie un peu que dans son discours, il a lui-même légitimé son coup d’État en critiquant la mauvaise mise en œuvre de cette même démocratie ! Comment peut-elle être efficace si nous ne la pratiquons pas conformément aux normes, si nous lui coupons les jambes ?
Ne s’agit-il pas là de simples raccourcis pour se justifier et préparer les esprits à un coup plus ou moins tordu ? On n’en sait rien, même si quelqu’un a dit qu’après les coups d’Etat il y a souvent des tas de coups.
En attendant d’y voir plus clair, on peut toujours rétorquer à ceux qui en doutent, que les droits humains fondamentaux, tels que la liberté d’expression, l’égalité des citoyens devant la loi et le droit de participer aux affaires publiques, sont universels et ne devraient pas être limités par des considérations culturelles. Tous les individus, indépendamment de leur origine géographique, devraient pouvoir jouir de ces droits.
Mieux, pourrait-on parler de réalités socio-culturelles de l’Afrique subsaharienne, alors que celle-ci est une région diversifiée avec une multitude de cultures, de traditions et de systèmes de gouvernance ?Affirmer que la démocratie ne convient pas à l’Afrique noire en raison de ses réalités socio-culturelles généralise et simplifie de manière excessive une réalité complexe et variée.
Question à mille balles (dum-dum) : si la démocratie qui nous aurait été imposée au sommet de La Baule n’a pas fonctionné, que dire alors de ce qu’il y avait avant ?
Au fait, la Guinée n’avait-elle pas déjà entamé, dès 1985, un processus de démocratisation bien avant le discours de François Mitterrand du 20 juin 1990, grâce à l’engagement du président Lansana Conté à travers son discours-programme ?