Censure

La vie est devenue intenable dans notre « paradis » infernal (La lettre de Top Sylla au Père Noël)

Cher Père Noël

Je t’écris avec une pointe d’incrédulité, sachant que même parmi les enfants, peu sont ceux qui croient encore en ta magie. Mais qui sait ? Peut-être que tu as le pouvoir de réaliser des miracles, même dans ce coin paumé de la planète où nous sommes coincés.

Je t’imagine occupé à lire des lettres avant de remplir ta hotte. Peut-être, ô miracle, pourrais-tu venir de ta lointaine Laponie, tiré par tes joyeux rennes et chargé de nombreux cadeaux, y compris des bouées de sauvetage. Cher Père Noël, je t’en supplie, pense à nous en Guinée avant d’entamer ta prochaine tournée!

Franchement, la vie est devenue intenable dans notre « paradis » infernal. Nous arrivons au terme de l’année 2023 sur les dents, à bout de souffle. Et ce qui est d’autant plus pénible, c’est de réaliser que nous ne sommes toujours pas sortis de l’auberge. Certes, le « seul maître à bord après Dieu » continue de nous en mettre plein la vue avec ses opérations de séduction. Mais le constat est sans appel : les applaudissements d’hier ont laissé place aujourd’hui à des complaintes qui en disent long sur la détresse collective.

Dans le bled, nous sommes constamment plongés dans le noir. Dès que le soleil se couche, la capitale se recouvre d’un voile sombre, et mérite amplement le surnom de « Conakry ville ténèbres » !

Quant aux robinets, cela fait longtemps qu’ils sont à sec avec la SEG. Même pendant les périodes de fortes pluies et d’inondations, l’eau coule presque partout au « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest », mais elle parvient étrangement à éviter les canalisations de la société supposée en fournir.

L’insécurité est galopante et ne cesse de battre des records, semant chaque jour un peu plus de consternation dans les villes et les campagnes. Les cas de viols se multiplient jusque dans les écoles et les cliniques. Pendant ce temps, les coupeurs de route détroussent et trucident en toute tranquillité.

L’avalanche de décrets continue de plus belle, sans rien apporter de positif, si ce n’est peut-être l’espoir d’un hypothétique record dans la prochaine édition du Guinness Book. Pendant que les annonces se multiplient et ne présagent que d’autres couleuvres à avaler.

Face au chômage et à l’absence de perspectives, les jeunes prennent la clé des champs, en attendant de trouver celles devant leur ouvrir les portes de l’emploi.

Cher Père Noël, comme tu le vois,  dans mon pays l’État est en faillite, les inégalités sociales persistent, la misère règne en maître, l’insécurité est omniprésente, on manque cruellement d’eau potable, les coupures d’électricité sont monnaie courante, le désordre moral est partout, le culte du chef et la démagogie ont fait leur grand retour.

Alors, sur l’air bien connu des enfants, je t’en supplie, cher  « petit papa Noël, quand tu descendras du ciel … » :

 – N’oublie pas de prendre une lampe-torche ou des bougies, car il est fort probable que nous nous retrouvions dans l’obscurité.

 – De plus, il est préférable de ne pas traîner dehors trop longtemps, parce que l’insécurité est à son paroxysme, les rues et les ruelles sont infestées de bandits armés de kalachnikovs.

 – S’il t’arrive de passer près de certaines chapelles politiques, où la junte n’est plus en odeur de sainteté, ne sois guère surpris d’entendre une version plutôt hérétique d’une prière bien connue :

« Notre Frère qui es au sommet,

que ton nom soit raillé,

que ton règne s’achève,

que ta volonté ne soit faite ni sur la terre ni au ciel.

Donne-nous enfin la joie de te détourner de notre chemin.

Pardonne-nous de te confier notre déception, comme nous pardonnons aussi à ceux qui avaient cru en toi.

Et ne nous soumet pas à la tentation de t’évincer, mais délivre-nous du Mal que tu représentes.

Amen !

– Avant de quitter le pays, assure-toi de bien vérifier si des jeunes compatriotes ne sont pas accrochés à ton traîneau, espérant ainsi s’évader de notre « Paradis » pour des horizons plus cléments, notamment via le Nicaragua.

– S’il te plaît, veille à ce que tous ces civils et gradés qui nous gouvernent, ainsi que ceux qui aspirent à les remplacer, reçoivent en cadeau la probité, la compétence et le sens de l’intérêt général.

Cher Père Noël, même si tu ne peux pas régler tous nos problèmes d’un coup de baguette magique, je t’en prie, apporte-nous un peu de réconfort, de douceur et de bonheur. Et peut-être, avec de la chance, nous pourrons faire en sorte que l’année à venir soit un peu moins éprouvante que celle que nous venons de vivre.

Top Sylla

Ainsi, à la fin de cette période de transition, les Guinéens pourraient se choisir, grâce à des élections régulières et inclusives, les guides dont ils ont réellement besoin. Sans être obligés, à la recherche de l’Étoile du Berger, de se munir d’encens, d’or et de myrrhe pour suivre les pas des rois mages Gaspard, Melchior et Balthazar.

Finalement, tu pourrais penser que j’exagère un peu pour ajouter une touche d’humour, n’est-ce pas ? Comme l’a souligné Sigmund Freud, le fondateur de la psychanalyse, « en plaisantant, on peut tout dire, même la vérité ». Surtout celle qui aurait pu fâcher.

Cependant…

Cordialement,

Un rêveur en quête de miracles

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