Le Comité national pour le redressement et le développement (CNRD), comme tout régime politique, redoute la grogne populaire. Suite aux émeutes causées par des pannes de courant électrique dans plusieurs quartiers de Conakry, jeudi dernier, le Premier ministre, Bah Oury, a convoqué en urgence une réunion avec les responsables du secteur de l’énergie pour demander des ‘‘explications’’.
Dès le lendemain de cette réunion, le samedi, le président de la Transition, Mamadi Doumbouya, a limogé le directeur général de la guinéenne de l’électricité (EDG), Laye Sékou Camara, ainsi que ses deux adjoints, sans fournir de détails supplémentaires.
Mais quels reproches pouvait-on faire à Laye Sékou Camara ? Selon nos investigations sur la crise énergétique actuelle, une source nous a informés des défis liés à la gestion des barrages hydroélectriques victimes d’une pluviométrie faible, l’année dernière.
Cette source a expliqué que la gestion de l’eau des barrages, est complexe, avec un plan visant à maintenir un approvisionnement énergétique suffisant en couplant les barrages hydroélectriques avec des centrales thermiques. Cependant, le directeur de l’EDG aurait ignoré ce plan et aurait demandé de déstocker l’eau des barrages pour garantir un approvisionnement en électricité, en particulier pendant la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Malgré les mises en garde des gestionnaires des barrages sur les risques liés à cette décision, la pression aurait conduit à son acceptation.
Avant le limogeage de Laye Sékou Camara, nous avons sollicité la réaction de l’EDG face à ces accusations. Naby Camara, chargé de Communication de l’EDG, a répondu en précisant que le directeur général n’avait pas le pouvoir de demander le déstockage de l’eau des barrages, car le plan de production était élaboré en collaboration avec la société de gestion du barrage de Kaleta (SOGES) et transmis au ministère de l’Énergie pour validation. Il a souligné que la production d’énergie provenant du barrage de Kaleta et de Souapiti avait des implications financières pour l’État, gérées par le ministère des Finances.
Pourtant, quelques jours avant la CAN, la direction de l’EDG avait assuré avoir pris des mesures pour garantir l’approvisionnement en électricité pendant la compétition. Ces mesures impliquaient notamment une augmentation de la production des barrages. La réalité a montré que ces garanties étaient insuffisantes, avec des retards dans la fourniture d’électricité en raison de la baisse du niveau d’eau des barrages.
‘‘L’électricité a été donnée à partir de 14h, puis 16h, en fin 18h. On a repoussé sans cesse l’heure du début de fourniture du courant’’, rappelle la source anonyme citée haut.
Ramener la centrale flottante renvoyée
En avril 2023, Laye Sékou Camara s’était réjoui, lors d’une conférence de presse, d’avoir renvoyé la centrale électrique flottante Karpowership. L’état guinéen payerait trop cher pour ses services. ‘‘On a réparé toutes nos centrales. Ce qui nous permet de retirer le bateau. Il nous coûtait 4 millions de dollars. J’ai utilisé les 4 millions de dollars pour réveiller toutes nos machines’’, précisa-t-il.
Selon Jeune Afrique, la centrale turque de 105 MW a plutôt été renvoyée à cause de la grande proximité entre le président turcRecep Tayyip Erdogan et l’ex-président Alpha Condé. Et Mamadi Doumbouya certainement convaincu par les arguments de Laye Sékou Camara aurait pris pour prétexte les avantages fiscaux dont bénéficiait le navire turc pour refuser de renouveler son contrat.
Ironie du sort. Toute la stratégie mise en place par Laye Sékou Camara pour donner l’électricité n’a pas fonctionné. Face à la forte opposition de la population, le gouvernement se voit dans l’obligation de faire revenir le bateau qu’il a renvoyé. Cependant ‘‘les Turcs ne voulant pas perdre le marché à l’époque étaient prêts à faire des concessions. Mais les autorités guinéennes s’y sont opposées. Maintenant que nous sommes coincés et c’est nous qui allons les chercher, il va sans dire qu’ils demandent beaucoup plus’’, analyse une source proche du dossier.
Bah Oury, le Premier ministre à la recherche de 150 MW pour combler le déficit du Grand Conakry est conscient de cette situation. ‘‘Avoir un bateau avec des centrales est une possibilité. Mais ce projet est relativement coûteux. Parce que cela nous obligerait en même temps de louer le bateau, l’approvisionner en carburant pour la production de l’électricité’’, a-t-il fait savoir quelques jours avant le limogeage de Laye Sékou Camara.
Il faut rappeler que selon un expert, ‘‘les demandes en électricité aujourd’hui dépassent 10 fois celles d’il y a 13 ans. Et les barrages ne fonctionnent pas à 100% tout le temps parce qu’il y a un plan de maintenance des machines. Par exemple si une des turbines de Kaléta est en révision, vous aurez 80 MW en moins sur le réseau. Ou une turbine de Souapiti, 110 MW. Ces aléas de gestion font qu’on est obligé d’avoir une source de production supplémentaire. Les techniciens sont arrivés à la conclusion qu’il faut un appoint de 100 MW, d’où le bateau. Le Sénégal loue un bateau de 235 MW, beaucoup d’autres pays africains louent ces bateaux. C’est des solutions temporaires’’, a détaillé notre interlocuteur.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com