Censure

L’étoffe des généraux : Quand la Guinée brille par l’éclat des galons (Chronique de Oumar Kateb Yacine)

1er novembre 2024. Journée mémorable en Guinée, où les tambours et les clairons ne s’étaient pas tus depuis l’aube. Ce jour-là, dans la soirée, un décret tombe, suivi de plusieurs autres, toute une pluie,  le tout au rythme d’une valse bien orchestrée, où les galons semblent avoir poussé comme des champignons sous les tropiques humides de Conakry. D’un coup de stylo, Mamadi Doumbouya, déjà général de corps d’armée, s’offre une petite promotion à grand bon – générale, bien sûr, pour la 2e fois en une année. À 66 ans, l’armée guinéenne compte son officier le plus titré en grade, Général d’armée. Et, comme un plaisir ne vient jamais seul, le tout accompagné de la Croix de guerre et d’une décoration en grande pompe : Grand-croix dans l’ordre national du colatier.

Une pluie de galons s’abat sur Conakry. Loin d’être le seul à briller sous le soleil du jour, le tombeur de Koro Alpha, -notre Professeur de la 3e Républiqué tombée un matin du 5 septembre 2021,-  emmène avec lui 16 fidèles compagnons de la junte et de l’armée, les promus aussi au rang de général. D’autres officiers supérieurs en centaines vont à leur tour augmenter galons et grades. Une belle brochette qui, si elle ne met pas du pain sur la table, éclaire au moins les salles de cérémonie d’un éclat tout militaire.

 Des étoiles dans le ciel, des trous dans les poches

Pendant que notre vaillante armée nationale enrichit ses rangs des généraux et des colonels, augmentant aussi ses dépenses puisées dans son budget, toujours gardé comme secret défense, loin des fanfares, les écoles du pays peinent toujours à trouver des bancs et des enseignants qualifiés. Les centres de santé ? Sous-équipés, en manque de personnel, incapables de répondre aux besoins d’une population de plus de 13 millions d’âmes. Mais qu’importe ! Il semble qu’en Guinée, la solution à ces préoccupations passe désormais par une hiérarchie militaire de plus en plus étoffée. Parce qu’après tout, un général de plus, c’est bien plus impressionnant qu’un hôpital en état de fonctionnement.

Un message de la Présidence : « Un général pour chaque besoin ! »

La promesse d’une Guinée épanouie, prospère et éduquée toujours clamée par nos gouvernants bien inspirés dans les discours creux, apparaît alors comme un mirage, tant que l’on privilégie l’uniforme à la blouse ou bouffe la craie. Dans cette dynamique, on pourrait presque croire que l’avenir du pays repose davantage sur l’éclat des médailles que sur l’épanouissement d’une population instruite et en bonne santé. Ainsi, alors que le vent de la fête souffle sur les galons, il serait temps de se rappeler que le véritable progrès se construit sur des quantités des fonds investis dans la santé, l’éducation, les infrastructures, et j’en passe..

À travers ce tableau où le bidasse brille au détriment du citoyen lambda, la vraie question surgit : quand les pauvres seront-ils enfin célébrés à leur juste valeur ? Peut-être que, dans cette quête d’identité nationale, il est temps d’équilibrer les honneurs et de reconnaître que chaque profession, chaque métier, a son rôle essentiel à jouer dans l’édification d’un avenir meilleur pour la Guinée.

Le poids des galons et l’allégement des caisses

La population, elle, se contente de regarder ce ballet de décorations avec une pointe de démission. Car pendant que l’élite militaire grimpe dans les échelons, le citoyen lambda, lui, grimpe les prix des denrées de base comme un alpiniste en pleine ascension de l’Hymalaya.

Un pays sous-équipé, mais une armée sur-décorée

En multipliant les étoiles, notre général Président, chef suprême des armées, Mamadi Doumbouya donne l’impression de combler un manque, de remplir un vide… un vide que ressentent au quotidien les millions de Guinéens qui se battent pour des infrastructures décentes et des services publics minimaux. Pourquoi équiper un hôpital ou moderniser une école quand on peut distribuer des titres ronflants ?

Les écoliers de Guinée continueront sans doute d’étudier dans des écoles publiques malfanées, faute de mieux, tandis que leurs enseignants jongleront entre manque de formation et sur-effectifs. Car sous notre ciel, l’éducation, la santé, ou les routes sont bien secondaires face à l’impératif de l’honneur militaire.

La promotion en rang serré : un modèle d’inspiration ?

On peut croire que le président Doumbouya souhaite instaurer un modèle unique : le pays le mieux décoré d’Afrique. Un jour viendra peut-être où la Guinée ne sera plus seulement le « château d’eau » de l’Afrique de l’Ouest, mais aussi le « haut commandement » continental ! Quand le nombre de généraux rivalisera avec celui des enseignants et des médecins, alors, peut-être, l’armée pourra se mettre en quatre pour soigner, éduquer les populations, construire des routes et cultiver des champs pour montrer au peuple le bon chemin à suivre vers le progrès réel.

En attendant, cette guirlande de généraux rappelle davantage un luxe de façade, comme pour dire : « La Guinée, c’est peut-être un pays pauvre, mais regardez notre armée, elle est riche en galons et en décorations. ».

Les généraux comme priorité nationale

Peut-être, au fond, la Guinée cherche-t-elle à se démarquer par une stratégie inédite : l’armée comme moteur de la croissance. Avec un général par quartier, par école, pourquoi pas par dispensaire, l’administration militaire pourrait bien finir par devenir l’unique administration. Après tout, si les militaires font la loi, pourquoi ne feraient-ils pas aussi l’éducation, la santé, etc…

Quand la parade s’impose…

Le 1er novembre, le spectacle a tout de même été assuré. Musiques militaires, discours glorieux, alignement des soldats. Rien n’a été laissé au hasard pour rappeler que l’armée est le pilier de la nation. Mais au-delà des défilés, que reste-t-il pour les citoyens ordinaires ? Les Guinéens, ceux qui triment pour joindre les deux bouts, qui naviguent entre un système de santé et d’éducation en crise, dans des logis de fortune plongés dans l’obscurité et sans eau de robinet peuvent se demander quelle sera l’issue de leur calvaire!

Un militaire lambda pourrait-il donner des soins en cas d’urgence ? Un grade pourrait-il combler le manque de matériel scolaire ? Car en attendant que l’armée ne s’invite dans les salles de classe ou les dispensaires, le quotidien reste le même pour le peuple : marcher sur des routes cabossées, envoyer ses enfants dans des écoles sous-équipées et peiner à trouver une miche de pain.

Galons et gâchis : un fossé grandiose

La Guinée semble aujourd’hui naviguer entre grandeur militaire et misère civile, avec des dirigeants qui semblent croire qu’ajouter des étoiles sur les épaules des soldats pourrait éclairer les pièces sombres de la société. Peut-être que, dans ce monde parallèle où le nombre de généraux croît proportionnellement aux problèmes sociaux, la prochaine étape sera de promouvoir l’armée en entier, histoire de mettre un uniforme sur chaque citoyen, pour le faire défiler avec autant de fierté que son compatriote en tréllis

Mais au-delà de cette illusion d’unité, une question cruciale subsiste : cette stratégie du « paraître » peut-elle vraiment masquer le besoin urgent d’une action concrète ? Les galons, aussi brillants soient-ils, ne nourrissent pas les familles.

La Guinée a besoin de bâtisseurs, d’éducateurs, de guides éclaireurs sur le chemin du Progrès

Dans cette quête, peut-être que l’heure est lieu de troquer les galons contre des outils, les décrets militaires contre des politiques de développement, et les défilés militaires contre des projets d’infrastructure. Car, en fin de compte, ce sont ces actions qui bâtiront un avenir véritable et non des opérations tappe-à-l’oeil.

Le peuple dans l’ombre des galons

Le lendemain des festivités, la vie reprend son cours en Guinée, sans fanfare ni trompette pour les anonymes qui luttent chaque jour. Pour eux, ces étoiles et médailles accrochées fièrement ne changent rien. Le simple citoyen continue de jongler avec des prix en hausse, un emploi précaire et des infrastructures défaillantes. Les hôpitaux restent vides d’équipements, les salles de classe débordent d’élèves, l’électricité une denrée rare, et l’eau potable, un luxe pour la majorité des Guinéens. Les galons, eux, restent dans les sphères inaccessibles de la populace.

Certains se demandent ce qu’un général de plus apportera au quotidien, si ce n’est peut-être l’espoir, lointain et hypothétique, d’une nouvelle Guinée où les titres militaires s’effaceront au profit d’un avenir plus stable pour tous. Mais pour le moment, cette avalanche de promotions semble mettre surtout en lumière un fossé grandiose entre le pouvoir militaire et les préoccupations populaires.

Et l’avenir ?

Si l’histoire retiendra peut-être les années de règne de ces galonnés, elle retiendra aussi ce paradoxe : une étoffée de généraux à la tête de notre vaillante armée pour une population qui se bat seule pour la survie. Peut-être qu’un jour, ce même peuple exigera que les galons servent, au lieu de seulement briller. Et quand viendra ce jour, les généraux répondront présents, non sur les défilés, mais sur le terrain.

En attendant, les galons continueront de monter en grade. Ainsi, cette farandole de promotions prend des airs de comédie tragique, où les galons semblent parfois n’être qu’un décor pour masquer le réel. L’armée guinéenne, surchargée de généraux, apparaît de plus en plus éloignée des préoccupations quotidiennes des citoyens, comme un monument figé dans une posture de gloire qui peine à trouver son utilité concrète. Les vrais combats — ceux pour l’éducation, la santé et la dignité de tous — sont laissés de côté, supplantés par une vision où les honneurs militaires prennent le pas sur les besoins fondamentaux

Pour le citoyen guinéen, l’avenir reste flou, mais une chose est certaine : il ne se laisse plus facilement duper par les apparences. Les cérémonies et les décrets de promotion s’enchaînent, mais la question demeure, lancinante, au sein de la population : jusqu’à quand les étoiles et les galons suffiront-ils à cacher les fissures…

Peut-être qu’un jour, les guirlandes de généraux cesseront de pousser comme des fleurs de saison, et les véritables bâtisseurs du pays, ceux qui œuvrent sans éclat, auront enfin leur place au premier plan. Mais jusqu’à ce jour, le Guinéen ordinaire poursuit son chemin, espérant, derrière les décorations et les décrets, un avenir où chaque ressource et chaque effort sont consacrés, non pas à la gloire des élites.

Épilogue : Les galons contre le quotidien

Et tandis que la poussière des défilés retombe, le citoyen guinéen continue sa lutte silencieuse, à mille lieues des fastes militaires. Pour lui, les réalités ne se résument pas en cérémonies ; elles se déclinent en journées éreintantes, en dépenses impossibles, en promesses vides. Dans ce théâtre d’étoiles et de médailles, il n’est qu’un spectateur contraint d’assister, encore et toujours, au même spectacle.

Dans un pays où chaque franc guinéen pourrait être investi dans une école, un dispensaire ou une route praticable, cette prolifération de généraux sonne comme une ironie amère. Car au final, si l’armée est prête pour d’hypothétiques combats, elle semble bien éloignée du vrai front : celui de la pauvreté.

À travers cette pluie de grades, il y a peut-être une tentative d’affirmer une identité, de marquer un pouvoir. Mais l’histoire ne retiendra que ce qui est réel et tangible pour le peuple : ce qu’il voit, ce qu’il ressent et ce qu’il endure au quotidien. Les galons finissent par perdre leur éclat lorsqu’ils ne sont que le symbole d’un vide plus grand encore.

Alors que le silence retombe sur les festivités, les Guinéens se demandent, une fois de plus, combien de grades il faudra pour que le pays se redresse vraiment. Car au-delà des étoiles militaires, ce sont les vraies étoiles — celles de l’espoir et de l’avenir — que le peuple guinéen attend de voir.

A la semaine prochaine…

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