Ibrahima Kourouma, ancien ministre de l’Enseignement pré-universitaire de 2011 à 2017, est aujourd’hui au cœur d’une affaire judiciaire qui soulève de nombreuses questions. Accusé de ‘‘détournement de deniers publics et enrichissement illicite’’, il a été renvoyé devant les juges de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF). Cependant, les circonstances de cette affaire et les méthodes employées pour établir les charges contre lui suscitent des doutes quant à la régularité de la procédure.
Une accusation basée sur des rapports postérieurs à l’arrestation
Le juge instructeur reproche à l’ancien ministre son incapacité à justifier l’origine licite de ses ressources, qui lui auraient permis d’acquérir un patrimoine et de mener un train de vie disproportionné par rapport à ses revenus légaux. Les accusations s’appuient principalement sur un rapport de l’Inspection Générale de l’État (IGE) datant de mars 2023, qui évoque plus de 612 milliards de francs guinéens et 12 millions de dollars non justifiés au sein du ministère de l’Enseignement pré-universitaire entre 2011 et 2021. Un autre rapport a été publié un mois plus tard.
Toutefois, un détail interpelle : M. Kourouma a été arrêté le 21 avril 2022, soit près d’un an avant la publication des rapports de l’IGE sur lesquels repose l’accusation. Cette chronologie soulève des interrogations sur la légitimité de son arrestation, donnant l’impression que les justifications de celle-ci ont été recherchées a posteriori.
La défense dénonce des violations procédurales
Dans un mémoire consulté par nos soins, la défense de M. Kourouma conteste vigoureusement les rapports de l’IGE, pointant du doigt des incohérences et des violations des procédures légales.
- Violation du principe du contradictoire
La défense souligne que les rapports de l’IGE ont été rédigés sans consulter M. Kourouma ni les membres du pool financier ayant travaillé sous sa direction. Cette omission constitue une violation flagrante du principe du contradictoire, essentiel à tout procès équitable. En effet, l’absence de témoignages des principaux concernés compromet l’objectivité des conclusions et prive l’accusé de la possibilité de présenter sa version des faits.
- Attribution erronée des responsabilités financières
L’ordonnance de renvoi reproche à M. Kourouma des responsabilités financières dépassant largement le cadre de ses fonctions. Selon la défense, il est injuste de lui imputer la gestion des fonds relevant de quatre autres ministres entre 2017 et 2021. De plus, l’ordonnance contrevient à la règle qui stipule que la responsabilité des régisseurs est personnelle et pécuniaire.
- Omission d’un rapport complémentaire crucial
La défense relève que l’ordonnance de renvoi ignore un rapport complémentaire de l’IGE datant de mai 2023, qui exonère M. Kourouma dans le cadre du financement des 12 millions USD de la BID. Ce rapport évoque un peu plus de 4 milliards de francs guinéens à justifier, une somme bien inférieure au montant préalablement avancé. Par ailleurs, ce document identifie d’autres responsables potentiels, suggérant que la responsabilité ne devrait pas reposer uniquement sur M. Kourouma.
- Non-conformité avec les dispositions légales
Les accusations portées contre M. Kourouma s’appuient sur des lois et règlements qui n’étaient pas en vigueur pendant les périodes concernées, notamment avant 2015. De plus, les exigences en matière de conservation des pièces justificatives, invoquées dans l’accusation, ne s’appliquaient pas à l’époque de sa gestion.
Une affaire qui interroge la logique des rapports
Au-delà des aspects juridiques, certains observateurs s’interrogent sur la cohérence des accusations. Comment expliquer, en effet, que les rentrées scolaires et les examens nationaux aient été organisés avec succès et félicités par le gouvernement si des sommes colossales avaient été détournées ? ‘‘Prétendre que ces fonds ont été détournés renvoie à la question de savoir comment ces activités ont pu être menées à bien’’, s’interroge un spécialiste des audits.
Pour tout dire, l’affaire Ibrahima Kourouma met en lumière des failles potentielles dans la procédure judiciaire et soulève des questions sur l’équité du traitement réservé à l’ancien ministre. Alors que la défense dénonce des violations procédurales et des incohérences dans les rapports de l’IGE, il appartient désormais à la justice de trancher en tenant compte certainement de ces éléments. Une chose est certaine : cette affaire ne manquera pas de relancer le débat sur la transparence et l’intégrité des procédures judiciaires devant la CRIEF.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com