Le collectif des avocats de l’ancien Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana, condamné par la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF), le 27 février 2025, à 5 ans de prison et au paiement de fortes amendes, conteste fermement ce verdict. Selon eux, la procédure a été viciée, les accusations sont infondées et l’état de santé de leur client est ignoré par la justice.
Une procédure biaisée
En droit, l’absence d’un prévenu ne saurait constituer une preuve de culpabilité
Le collectif d’avocats réfute l’un des arguments majeurs de la CRIEF, selon lequel Kassory Fofana aurait délibérément refusé de comparaître. Selon eux, cette affirmation est inexacte et ne tient pas compte des huit rapports médicaux transmis à la Cour, qui attestent de l’incapacité physique de leur client à se présenter à l’audience.
Ils rappellent également que la CRIEF avait elle-même mandaté une contre-expertise médicale au CHU de Donka, laquelle a confirmé cet état de santé dégradé. À la suite de ces constats, la Cour avait d’ailleurs pris, le 13 décembre 2024, une décision autorisant son transfert vers un centre spécialisé, décision qui demeure toujours non exécutée.
Pour les avocats de Kassory Fofana, il est donc injustifié de qualifier son absence de ‘‘refus’’ de comparaître. De plus, ils soulignent qu’en droit, l’absence d’un prévenu ne saurait constituer une preuve de culpabilité.
Détournement de fonds publics : Une accusation rejetée
Au moment du transfert de tutelle de la MAMRI à la Présidence, un solde de 13,1 milliards GNF était toujours disponible sur le compte de l’institution au Trésor public
Les avocats contestent fermement les accusations de détournement de 15 milliards de francs guinéens (GNF) alloués à la Mission d’Appui à la Mobilisation des Ressources Internes (MAMRI). Selon eux, les états financiers de la MAMRI, ainsi que plusieurs audits menés par l’Inspection Générale d’État (IGE), l’Inspection Générale des Finances (IGF) et la Cour des Comptes, ne révèlent aucun détournement.
Ils rappellent que la MAMRI a été placée sous la tutelle de la Primature du 31 janvier 2019 au 4 mars 2021 et qu’elle a bénéficié de deux régies d’avance. Pour la première, un solde de 85,9 millions GNF a été reversé au Trésor public, ce qui, selon eux, témoigne d’une gestion rigoureuse. Pour la seconde régie d’avance de 15 milliards GNF, ils affirment qu’au moment du transfert de tutelle de la MAMRI à la Présidence, un solde de 13,1 milliards GNF était toujours disponible sur le compte de l’institution au Trésor public.
La défense précise également qu’un montant d’environ 3 milliards GNF avait été transféré à l’Agence Nationale d’Inclusion Économique et Sociale (ANIES) pour financer la réponse au programme social de la COVID-19. Selon eux, ces fonds ont été utilisés conformément aux procédures d’appel d’offres et ne sauraient donc être assimilés à un détournement.
Les avocats estiment que, même en supposant une irrégularité administrative dans la gestion de ces fonds, aucune preuve ne démontre un enrichissement personnel de leur client, ce qui, selon eux, exclut toute qualification pénale du dossier.
Enrichissement illicite : des fonds antérieurs à l’exercice de ses fonctions publiques
L’un des rares Premiers ministres guinéens à avoir effectué une déclaration de patrimoine à son entrée en fonction en 2018, incluant ces avoirs bancaires
Concernant les accusations d’enrichissement illicite, le collectif de défense rappelle que les comptes bancaires incriminés ont été ouverts en 2011, soit bien avant le retour de Kassory Fofana au gouvernement en 2014. Ils précisent que ces fonds, logés à la BICIGUI (devenue VistaGui), s’élèvent à environ 900 000 euros, en plus de montants en dollars et en francs guinéens.
Les avocats insistent sur le fait que leur client, ayant été consultant international pendant plusieurs années, disposait de revenus personnels conséquents avant son retour en Guinée. De plus, ils soulignent qu’il est l’un des rares Premiers ministres guinéens à avoir effectué une déclaration de patrimoine à son entrée en fonction en 2018, incluant ces avoirs bancaires.
Enfin, ils précisent que ces fonds en devises provenaient principalement de contributions pour la campagne présidentielle de 2020, où leur client avait envisagé de se porter candidat. Quant aux biens immobiliers évoqués par la CRIEF, ils affirment qu’ils ont tous été acquis avant son retour à la fonction publique.
Blanchiment de capitaux : une accusation sans fondement
Aucun centime des 15 milliards GNF en question ne s’est retrouvé sur les comptes bancaires personnels de leur client
Le collectif d’avocats rejette également les accusations de blanchiment de capitaux, qu’ils jugent ‘‘totalement erronées’’. Selon eux, aucun centime des 15 milliards GNF en question ne s’est retrouvé sur les comptes bancaires personnels de leur client.
Ils contestent aussi l’idée que les sociétés GOMBA Transit, AIDACO et EJICO SARL auraient servi de véhicules de blanchiment pour Kassory Fofana. Selon eux, ces entreprises n’ont aucun lien avec une quelconque opération de blanchiment d’argent.
Un état de santé préoccupant ignoré par la justice
La CRIEF a elle-même reconnu la nécessité de son transfert vers un centre médical spécialisé le 13 décembre 2024, après avoir constaté la gravité de son état lors d’un transport judiciaire
Au-delà des considérations juridiques, les avocats de Kassory Fofana expriment leur vive inquiétude quant à l’état de santé de leur client. Ils rappellent que la CRIEF a elle-même reconnu la nécessité de son transfert vers un centre médical spécialisé le 13 décembre 2024, après avoir constaté la gravité de son état lors d’un transport judiciaire.
Malgré cela, cette décision n’a jamais été mise en œuvre, ce que le collectif considère comme une atteinte aux droits fondamentaux de leur client. Ils demandent l’application immédiate de cette décision et, à défaut de structures adaptées en Guinée, plaident pour une évacuation sanitaire.
Une condamnation vivement contestée
Des interrogations plus larges sur l’indépendance de la justice guinéenne et les risques de dérives dans la lutte contre la corruption
Pour le collectif de défense, l’arrêt rendu par la CRIEF repose sur des éléments contestables et des irrégularités majeures, tant sur le plan procédural que sur le fond des accusations. Ils dénoncent un acharnement judiciaire et affirment que leur client a été condamné sur la base d’une interprétation biaisée des faits.
Les avocats annoncent qu’ils engageront tous les recours nécessaires pour contester ce verdict et réclament une révision du dossier dans le respect des principes de droit et de la présomption d’innocence.
En filigrane, cette affaire soulève, selon eux, des interrogations plus larges sur l’indépendance de la justice guinéenne et les risques de dérives dans la lutte contre la corruption.
Ibrahima S. Traoré pour la synthèse