Dans un article trempé dans du vitriol, Thierno Monenembo dresse un réquisitoire implacable contre l’intelligentsia guinéenne, qu’il rend responsable du ‘‘bilan abominable’’ de l’indépendance du pays. Avec un style cinglant et une verve qu’on lui connaît bien, il dépeint une scène politique gangrenée par l’opportunisme et la servilité, notamment.
‘‘Cette horde de rats grouille autour de la mangeoire, en dansant la mamaya pour cette bande de tueurs qui nous gouverne. J’ai envie de dire : Fermez le rideau, épargnez-nous cet odieux spectacle ! Mais bon, on est en Guinée où le champ de ruines éthique et moral est cent fois plus vaste que le champ de ruines économique et social’’, a-t-il écrit.
Des mots durs, tranchants, qui n’ont pas manqué de susciter des réactions. Mais si Monenembo se pose en procureur de la faillite intellectuelle guinéenne, certains lui rappellent que lui-même n’est pas exempt de contradictions.
Rappel.
Il est légitime de s’interroger : Thierno Monenembo est-il vraiment en position de donner des leçons ? Ceux qui le critiquent ne manquent pas d’arguments. En 2021, lorsque la junte militaire renverse Alpha Condé, il se laisse aller à une déclaration surprenante : ‘‘J’aimerais tellement qu’on m’accuse de faire l’apologie des coups d’État militaires !’’
Une phrase qui révèle une indulgence envers un putsch dont il semblait partager l’enthousiasme. Ce même Monenembo qui, en 2015, salue l’alliance électorale de Cellou Dalein Diallo avec Moussa Dadis Camara -pourtant accusé d’être le cerveau du massacre du 28 septembre 2009- peut-il aujourd’hui dénoncer la compromission de l’intelligentsia sans que l’on y voie une forme de duplicité ?
C’est cette incohérence que ses détracteurs soulignent : un intellectuel qui, à certains moments, s’accommode des jeux politiques et, à d’autres, se pose en moralisateur absolu.
Une réplique du gouvernement aux accents philosophiques
Face au réquisitoire implacable de l’auteur du ‘‘Le terroriste noir’’, le gouvernement n’a pas tardé à réagir par la voix de son porte-parole. Dans un texte où la rhétorique prend parfois le pas sur la clarté, le ministre Gaoual tente de remettre les pendules à l’heure : ‘‘La Guinée n’est pas un bloc figé dans ses blessures. Elle est aussi faite d’efforts silencieux, de luttes pour l’équilibre, de mémoire qu’on construit au lieu de subir… Certains choisissent la radicalité des mots, d’autres prennent le risque de faire, d’agir, de tenir les institutions, malgré les contradictions.’’
Une réponse aux allures de dissertation philosophique, qui pourrait donner du fil à retordre à un étudiant en lettres, mais qui a au moins le mérite d’exister. Car, en Guinée, ces derniers temps, les critiques virulentes ont souvent été accueillies par le silence ou la répression. Que le gouvernement choisisse de répondre par la plume et non par la matraque ou par autre chose est en soi une évolution notable.
Toutefois, si la rhétorique officielle insiste sur la ‘‘complexité’’ du pays et sur la nécessité d’ ‘‘avancer sans mépriser’’, elle ne répond pas aux accusations de Monenembo sur la faillite morale et politique de l’élite guinéenne. Une élite qui, qu’on le veuille ou non, porte une part de responsabilité dans l’état actuel du pays.
Le gardien de la morale en Guinée
Au-delà des polémiques, l’affaire Monenembo illustre une chose : la Guinée a besoin d’un débat d’idées libre et sans complaisance. La critique d’un pouvoir en place ne peut être crédible que si elle s’accompagne d’une introspection honnête. Monenembo a le droit -et même le devoir- d’élever la voix contre les dérives des régimes. Mais ceux qui lui rappellent ses propres contradictions n’ont pas tort non plus.
Pour tout dire, l’intelligentsia guinéenne est-elle coupable de compromission ? Sans doute. Mais elle ne peut pas être jugée par ceux qui, à certains moments, ont flirté avec les mêmes dérives qu’ils dénoncent aujourd’hui. À défaut de réconcilier les Guinéens avec leurs élites, cet échange musclé aura au moins le mérite de poser une question essentielle : qui peut encore se permettre d’être le gardien de la morale en Guinée?
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com