Dans l’imaginaire collectif africain, il existe une figure emblématique qui suscite autant d’espoir que d’angoisse à l’approche des grandes célébrations : le tailleur.
Ce maître du tissu, ce génie de l’aiguille, devient soudainement un illusionniste chevronné, capable de faire disparaître commandes et délais dans un tour de passe-passe dont lui seul a le secret.
Chaque année, à l’approche des fêtes de fin d’année, de Tabaski, de mariages ou autres grandes occasions, les scènes se répètent invariablement. Des clients, emplis de rêves et de confiance, remettent leurs précieux pagnes, bazins et brocards à ces artisans du textile, espérant voir leurs tenues prêtes à temps. Mais très vite, le drame commence.
Le scénario est toujours le même : un tailleur qui, la main sur le cœur et le sourire rassurant, promet une livraison « dans trois jours maximum ». Pourtant, trois jours deviennent une semaine, puis deux, et finalement la veille de la fête, le client désespéré se présente à l’atelier pour constater que son tissu est encore intact, plié dans un coin ou, pire, qu’il a servi de coussin improvisé sur la table de travail.
Quand il ose exprimer son indignation, le tailleur, imperturbable, sort son arsenal de justifications : « Le fil doré est en rupture », « La machine a rendu l’âme », « J’ai été malade », ou encore « Ton modèle est trop compliqué ». Et puis, l’excuse ultime : « Ce n’est pas moi, c’est ton tissu, il refuse de se laisser coudre ! »
Face à cette désillusion, le client n’a plus que deux options : crier, supplier ou… s’asseoir et patienter. Car, miracle des miracles, sous pression et en un temps record, le tailleur peut soudainement réaliser en une nuit blanche ce qu’il n’a pas fait en trois semaines. Sauf qu’au matin, l’essayage révèle des détails cocasses : une manche trop courte, une jupe trop étroite, un pantalon qui refuse de se fermer… Mais à la veille de la fête, toute réclamation est vaine.
Pourquoi ce phénomène persiste-t-il ?
Les raisons sont multiples. D’abord, la surcharge de travail : les tailleurs acceptent plus de commandes qu’ils ne peuvent en réaliser, par peur de perdre des clients. Ensuite, le manque d’organisation et la procrastination jouent un rôle majeur. Il y a aussi le fait que beaucoup de clients passent leurs commandes à la dernière minute, ce qui accentue le chaos. Enfin, un certain fatalisme culturel joue : les clients savent qu’ils seront en retard, mais passent quand même par ce chemin semé d’embûches, comme une tradition bien ancrée.
Peut-on imaginer un avenir où les tailleurs livrent à temps ? Où les clients n’ont plus besoin de surveiller leur couturier comme du lait sur le feu ? Peut-être qu’avec des engagements fermes, des systèmes de prépaiement liés à des pénalités de retard, et un brin de discipline des deux côtés, la situation pourrait s’améliorer. Mais en attendant, mieux vaut prévoir une tenue de secours… on ne sait jamais !