Censure

6 avril 2022 – 6 avril 2025 : Triste anniversaire pour Kassory et ses compagnons d’infortune !

Le changement de régime est invariablement suivi de soubresauts et souvent émaillé par du harcèlement et des persécutions. Que l’alternance résulte des urnes ou soit imposée par un coup de force, il reste toujours difficile de prédire ce qui adviendra par la suite. En effet, ces transitions s’accomplissent rarement avec délicatesse et ne se font pas toujours dans la dentelle. Le droit d’inventaire, exercice favori des nouveaux dirigeants, rejoint trop souvent des règlements de comptes prémédités et des campagnes d’épuration tous azimuts. La frontière entre une justice légitime et une vengeance débridée est mince. C’est pourquoi plane toujours la tentation d’une revanche, nourrie par les frustrations et les rancœurs accumulées.
Quand le pouvoir change de mains, surtout dans certains contextes, c’est un moment empreint d’une gravité extrême, marqué par l’inquiétude et l’angoisse. D’un côté, des individus passionnés, exaltés, animés par la vindicte et la haine, appellent à la vengeance ; de l’autre, des esprits raisonnables, républicains et patriotes, en appellent à une justice intègre et vertueuse.
Toute transition débute dans l’incertitude, progressant à tâtons, de manière laborieuse, et connaissant parfois, hélas, des dérives. La sérénité et sans doute la sagesse, ne s’installent qu’avec le temps, à mesure que se révèle la dure réalité d’exercer le pouvoir et de guider les destinées d’un pays.

TROIS ANS DANS L’OMBRE

Après le 5 septembre 2021, les proches du professeur Alpha Condé, renversé par le coup d’État – en particulier ceux considérés comme les piliers de son régime – ont brutalement découvert ce que signifie tomber du piédestal de hauts dignitaires au rang de parias, voire de cibles à éliminer. Si certains ont échappé au pire, d’autres, plongés dans l’amertume, subissent encore aujourd’hui le poids de leur chute au fond d’une geôle.
Ce 6 avril 2025, Ibrahima Kassory Fofana, dernier Premier ministre du président déchu, et ses compagnons d’infortune ont marqué le sombre anniversaire de leur incarcération : trois années déjà, jour pour jour, que ces puissants d’hier, naguère influents et adulés, croupissent dans l’oubli, abandonnés au naufrage solitaire de leur déchéance. Pourtant, eux, comme d’autres emprisonnés après leur chute, avaient cru en leur invincibilité : aimés, puissants, ils se croyaient intouchables. Désormais, ils mesurent leur isolement cruel au sein d’une société où l’expression « malheur aux vaincus » a tout son sens, indifférente aux êtres vulnérables ou en perte de repères. Dans ce pays où chacun tire la couverture sur soi, roule pour lui-même et ne se préoccupe que de son sort, rien de surprenant donc que les naufragés de l’ancien pouvoir sombrent dans l’indifférence générale.
Une leçon de vie qui ne semble inspirer ni modération ni prudence, ni même susciter l’engagement pour des idéaux nobles – comme celui de s’allier à des figures intègres et loyales, ne serait-ce qu’à demi-mesure. Mais qu’importe ! Aujourd’hui, l’espoir persiste : celui de voir ces compatriotes longtemps privés de liberté, coupés du monde, retrouver la chaleur du cocon familial et le réconfort des liens brisés. La grâce présidentielle accordée récemment au capitaine Moussa Dadis, contre toute attente, a ravivé une lueur d’optimisme. Et l’on retient son souffle, les doigts croisés, face à un possible retournement du destin.

SORTIR DE LA LOGIQUE DU TOUT REPRESSIF

En Guinée comme ailleurs, rien n’est immuable ni insurmontable : l’humain demeure le véritable levier. La justice ne détient pas de réponses toutes faites, pas plus que la loi ne peut trancher chaque situation avec une rigueur mécanique. S’il est vrai que nul n’est censé échapper à son autorité, la justice se veut universelle en théorie, mais dans les faits, force est de constater que certains, sans que cela ne soit jamais formulé, bénéficient d’une mansuétude discrète, quand d’autres sont durement frappés sans état d’âme.
Le Mali a ouvert la voie : sous l’impulsion de médiateurs respectés, d’autorités morales et de figures consensuelles, une mesure de clémence a été prise en faveur d’hommes politiques en détention. Le Niger a suivi, accordant à son tour des grâces présidentielles à d’anciens soutiens de Mohamed Bazoum, renversé par le général Tiani, aujourd’hui maître du pays. Cette décision faisant écho aux recommandations des assises nationales, qui prônaient la libération d’officiers pourtant accusés d’atteinte à la sûreté de l’État et de civils liés à l’ancien pouvoir. Un vœu rapidement exaucé !
Pourquoi pas en Guinée, où il y a eu des assises bien avant celles du Niger, où également il y a des notabilités, certainement de grandes figures capables d’infléchir la position du Prince ? Pourquoi ce silence assourdissant, alors que d’autres pays laissent déjà flotter l’étendard de la réconciliation ? Pourquoi les détenus guinéens, arrêtés avant tous ceux libérés dans ces pays, respirent encore l’air confiné des cachots ?
Ibrahima Kassory Fofana, Amadou Damaro Camara, le Dr Mohamed Diané, Ibrahima Kourouma, Kabinet Sylla « Bill Gates » et d’autres subissent l’usure de l’attente, nourrissant l’espoir (aussi maigre soit-il) d’une libération prochaine. Leur sort, en suspens depuis maintenant des années, mérite plus qu’un procès sans cesse différé ou un pouvoir qui détourne le regard, encore moins l’indifférence de leurs concitoyens.

L’Histoire, capricieuse, n’offre aucune garantie : les héros d’aujourd’hui peuvent devenir les suppliciés de demain, car les rôles et les statuts évoluent au gré des bouleversements politiques, toujours imprévisibles.
La Guinée doit briser ce triptyque toxique : répression, vengeance, revanche. Un cycle qui corrompt la justice, étouffe la paix et ruine les efforts de réconciliation : une spirale absurde qui en réalité ne sert aucun projet collectif ou individuel.

Tibou Kamara

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