Censure

Urnes contre kalachnikovs : La tragédie démocratique africaine en débat

Dans une tribune d’une grande finesse intellectuelle, comme il en a le secret, Tibou Kamara, ancien ministre et éternel journaliste, interroge l’actualité politique africaine avec une acuité rare. Sous le titre évocateur ‘‘Urnes contre kalachnikovs : l’Afrique entre résilience et résignation ?’’, il pose des questions essentielles sur les dérives démocratiques du continent :

‘‘Nous assistons à un chaos démocratique et à une banalisation des coups d’État, marqués par le retour en force des armées sur la scène politique. Faut-il incriminer des populations obsédées par l’alternance, prêtes à tout prix au changement, quels qu’en soient les moyens ? Ou pointer l’échec d’élites complaisantes, accommodantes, résignées aux compromissions, toujours promptes à prêter allégeance à des régimes de tout bord et à s’embarquer dans des aventures hasardeuses ? Faut-il y voir l’ouverture d’une brèche provoquée par le rejet d’élites perçues comme corrompues et illégitimes par des populations désillusionnées ?’’

À travers ces interrogations, Tibou Kamara, éclaire un paradoxe tragique : la démocratie, promue comme remède universel, semble avoir accouché, en Afrique, de ses propres démons.

Il serait en effet réducteur de parler de ‘‘banalisation des coups d’État’’ sans rappeler les illusions nées de la célèbre rencontre de la Baule, en France. À l’orée des années 1990, en convainquant les États africains d’adopter un modèle démocratique calqué sur celui de l’Occident, on a entretenu l’idée pernicieuse que démocratie rimerait mécaniquement avec développement. On a négligé de préciser que, si elle peut être un levier d’émancipation et de progrès, la démocratie ne saurait être une baguette magique.

Le désenchantement ne s’est pas fait attendre. Car si les élections, parfois chaotiques, c’est vrai, se sont multipliées, elles n’ont pas toujours été suivies par une amélioration sensible des conditions de vie. Pendant que certains régimes qualifiés d’autoritaires avançaient sur le chemin du développement, de nombreuses jeunes démocraties africaines piétinaient, prises au piège d’élites voraces plus soucieuses de rente que de service public.

Le peuple, défini par un intellectuel français comme ‘‘ce sur quoi s’exerce le pouvoir, sans jamais l’exercer lui-même’’, se lasse alors d’une démocratie formelle qui ne transforme pas sa réalité quotidienne. Il se tourne, par dépit, vers des putschistes qui, sous des oripeaux de sauveurs, promettent monts et merveilles. Mais cette confiance, souvent, n’est qu’un marché de dupes. Car ces nouveaux maîtres s’emploient à recycler les systèmes qu’ils ont renversés, maquillés d’un vernis populiste habile à maintenir l’illusion… jusqu’à l’inévitable désillusion.

Quant à celles et ceux qui s’arrogent pompeusement le titre d’ ‘‘élite’’, il faut bien reconnaître que, dans bien des cas, ce vocable sert surtout à masquer des pratiques prédatrices. Derrière l’apparence respectable de l’élitisme, se cachent souvent les réalités bien moins nobles du banditisme en col blanc.

Ainsi va, hélas, l’histoire contemporaine de nombre de nos États : ballotés entre urnes et kalachnikovs, entre espoirs trahis et désillusions répétées, sous le regard d’une population que l’on n’écoute qu’au moment des promesses et que l’on abandonne sitôt le pouvoir conquis.

En un mot ou en quatre, le combat pour la démocratie en Afrique ne sera jamais un simple mimétisme institutionnel. Il doit être une quête sincère de justice sociale, de bonne gouvernance, et surtout, une réhabilitation de la vertu dans l’exercice du pouvoir…

Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com