- Tu dis que tu vas au meeting de l’opposition, je ne suis pas d’accord ; tu ne dois pas y aller et si tu insistes je porte plainte contre toi à ta famille.
- Mais il n’y a rien de mauvais à ce que je parte au meeting, tu me connais un inconditionnel de l’opposition, nous nous battons pour l’alternance au pouvoir cette année.
- Il y a toujours du mauvais dans les manifs de l’opposition; tu fais semblant d’oublier le massacre du 28 septembre 2009 dans le même stade où tu comptes aller. Quant à l’alternance au pouvoir, Alpha Condé ne peut pas organiser une élection et la perdre.
- C’est ce qu’on va voir. Nous nous battons pour le chasser, et la lutte et la victoire commencent par ce meeting.
Ce dialogue de sourds entre ma femme et moi ce matin du 7 janvier 2015 est symptomatique du climat de peur dont souffrent maintes familles, notamment celles forestières, quand il est question de manifestations politiques. Cette attitude de frayeur qui s’empare des gens est tributaire de la violence politique qui règne en Guinée depuis les premières heures de l’indépendance. Tous les abus et tueries qui se sont échelonnés sous les régimes successifs sont restés impunis, et le mal va toujours crescendo. Trois pics d’horreurs ont marqué à jamais l’esprit du Guinéen et sont racontés de génération en génération : la purge qui a résulté de l’agression portugaise de 1970, la répression sanglante du mouvement social de janvier et février 2007, le massacre du 28 septembre 2009 au stade du même nom.
La suite logique de ces horreurs est la peur panique qui s’installe dans les esprits et paralyse toute idée de contestation ou d’expression libre. Beaucoup de citoyens en viennent à s’en remettre à la croyance religieuse qui soutient que c’est Dieu qui fait le chef et c’est Dieu qui le défait. Autrement dit il faut laisser le chef faire ce qu’il veut, il s’en ira de toute façon un jour. Cette apathie face au pouvoir n’est heureusement pas partagée par tout le monde, bien d’autres citoyens se convainquent qu’aucun acquis politique ne s’obtient sur un plateau d’argent, tout se conquiert et se conserve par la lutte. Ce sont ces citoyens qui grossissent les rangs des partis de l’opposition, c’est par eux et leurs leaders que viendra le changement, le vrai changement.
C’est le lieu de se demander de quel bord est le forestier ? A la vérité beaucoup d’entre nous forestiers sont du bord de la soumission aveugle à l’autorité .Un camarade de promotion me le disait dernièrement, lui qui se sent outré par les critiques des régimes de Sékou Touré à Alpha Condé : « Tu sais parfaitement que le forestier se range toujours du coté du chef, et les gens qui écoutent les critiques intempestives contre le chef tournent purement et simplement le dos à leurs auteurs ». En fait la soumission du forestier au chef est intimement liée à son caractère d’homme trop humble, effacé, timide, d’homme éveillé tardivement à la politique.
Sous la première république le forestier a subi plus que toute autre personne les brimades de la révolution .Il était tenu de trouver, bon an mal an, l’impôt en nature (riz, café, cacao, palmiste), les fameuses normes. Les citoyens qui ne s’acquittaient pas à temps se voyaient infliger des peines humiliantes par ces sbires de la révolution qu’étaient les agents de la milice populaire. Mais cette mentalité de soumission apeurée est en train de changer grâce au brassage des ethnies, à l’arrivée de nouvelles générations irriguées par l’école, les voyages, les mass – médias.
Aujourd’hui si la frousse du forestier en particulier et du citoyen en général fait le lit à toutes les formes d’oppression et de dictature, cette même frousse cède le pas lentement mais inexorablement à la résistance et la combativité. Voilà qui augure des lendemains meilleurs pour la Guinée.
Walaoulou BILIVOGUI, in L’Indépendant, partenaire de guinee7.com