Censure

Quand Bah Oury cite les empires, ce sont les partis politiques qui tombent

Le 5 mars dernier, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre Bah Oury laissait entendre que l’équilibre politique du pays était en train de changer. Moins de dix jours plus tard, cette déclaration prenait tout son sens avec l’annonce de la suspension pour trois mois du RPG Arc-en-ciel et de l’UFR, tandis que l’UFDG bénéficiait d’un moratoire de 45 jours. Officiellement, ces mesures visent à sanctionner des irrégularités administratives, notamment l’absence de congrès et la non-mise à jour des documents internes. Mais derrière cette justification bureaucratique se cache une réalité plus troublante : une reconfiguration politique qui semble favorisée par le pouvoir en place.

Il faut rappeler que ces suspensions interviennent à un moment clé, alors que la pression s’accentue sur la Transition. En apparence, elles visent à assainir le fonctionnement des partis, mais leur timing soulève des doutes. Pour certains observateurs, il s’agit plutôt d’un coup stratégique destiné à affaiblir les formations les plus structurées et à redistribuer les cartes du paysage politique.

Cette hypothèse est renforcée par la déclaration bizarre du Premier ministre : ‘‘Les empires naissent, croissent et meurent et d’autres prennent le relais.’’ [Voir l’extrait en bas de l’article]. Faut-il y voir une volonté délibérée de marginaliser les anciens partis dominants pour faire place à de nouvelles forces plus conciliantes avec le régime ?

Une sévérité à sens unique

Les raisons avancées pour justifier ces sanctions auraient pu donner lieu à des mesures moins radicales, comme une simple mise en demeure. Pourtant, le gouvernement a choisi la solution la plus brutale : la suspension. Ce choix soulève une question cruciale : pourquoi certains partis sont-ils frappés de plein fouet, tandis que d’autres, les partis-cabines-téléphoniques, échappent à toute sanction ?

Un détail ne passe pas inaperçu : le très modeste parti du Premier ministre Bah Oury lui-même ne figure pas sur la liste des formations sanctionnées. Cette asymétrie alimente les soupçons d’un tri sélectif, où la rigueur administrative devient un instrument de contrôle politique.

La sanction infligée aux partis politiques pose également un problème démocratique fondamental. Les partis suspendus sont ceux qui avaient reçu un mandat populaire lors des dernières élections. Leur mise à l’écart, décidée par un pouvoir non élu, envoie un message inquiétant : le choix des électeurs n’a plus de valeur et seuls les acteurs validés par les autorités peuvent exister politiquement.

C’est un euphémisme que dire que ce paradoxe souligne l’incohérence du processus : alors que la transition est censée préparer un retour à l’ordre constitutionnel, elle s’emploie à écarter les partis qui incarnent la légitimité électorale.

Un précédent dangereux

Au-delà du cas actuel, cette suspension crée un précédent lourd de conséquences. Elle démontre que l’administration peut être utilisée comme un levier pour remodeler la scène politique à la convenance des décideurs du moment. Ce qui se présente comme une simple mesure administrative pourrait bien être un coup porté à la classe politique et à la démocratie guinéenne.

Plus qu’un ajustement bureaucratique, la suspension -peut-être la dissolution après- pourrait être le premier acte d’une recomposition politique imposée d’en haut. Et dans cette dynamique, les véritables perdants restent les électeurs dont le choix est progressivement confisqué au profit d’une transition à géométrie variable.

Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com

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