Coauteur du livre « Qui est vraiment Charlie ? Ces 21 jours qui ébranlèrent les lecteurs du Monde », publié par le journal le Monde aux éditions François Bourin, M. Youssouf Sylla est également diplômé de l’institut d’études diplomatiques et de relations internationales de Paris (IDERIC). Dans cet entretien il met en contexte les spectaculaires attaques terroristes menées par une poignée de personnes à Paris et à Bamako. Il préconise aussi au gouvernement guinéen, compte tenu de la situation sécuritaire qui prévaut dans la sous-région, les actions qu’il pourrait entreprendre pour juguler la menace djihadiste dans notre pays.
Guinee7.com : Quels commentaires faites-vous des attaques terroristes à Paris et à Bamako ?
Youssouf Sylla : On sait que les attaques terroristes de Paris ont été revendiquées par l’Etat Islamique (EI) et celles de l’hôtel Radisson à Bamako par Al Qaida. Dans les deux cas, il s’agit d’une horreur inacceptable dans un monde civilisé et paisible tel que nous le souhaitons pour nous-mêmes et les générations à venir. Ces groupes djhadistes s’attaquent spectaculairement aux personnes innocentes dans le but de semer la terreur au sein des populations et de faire paniquer les gouvernements. Le but du terrorisme est bien cela. En opérant dans la capitale française, l’Etat islamique veut envoyer le message selon lequel personne n’est en lieu sur et qu’il peut atteindre ses cibles partout dans le monde. Il en est de même de l’attaque de l’hôtel à Bamako. De ces deux attaques terroristes, on peut déceler deux choses.
C’est avant tout la détermination des auteurs de ce type d’attentat terroriste. Ils défient l’autorité des gouvernements et n’hésitent pas à donner leurs propres vies pour atteindre leurs objectifs. Habituellement on livre une guerre en protégeant sa vie. Mais là on attaque avec l’idée préalable qu’on peut ou qu’on doit compter parmi les morts. L’extrême banalisation de la mort à ce point ne s’applique pas seulement à la cible, elle s’applique aussi à l’auteur de l’attaque, on est au summum de la détermination.
Ensuite, ces attaques montrent que nous sommes dans une sorte de conflit déterritorialisé et asymétrique. L’ennemi n’est pas seulement l’autre qui est cantonné, comme dans une guerre classique, à l’intérieur des frontières internationalement admises. Dans les attaques de Paris, on constate que l’ennemi est membre à part entière du groupement humain qui est sa cible et qu’il n’est pas seulement localisable dans les territoires conquis par l’EI entre la Syrie et l’Irak. Il s’agit alors d’un conflit déstructuré ou la notion de distance entre les belligérants perd tout son sens. C’est ce qui conduit officiellement la France par la voix de son Président François Hollande, à mener la guerre sur deux fronts, a l’intérieur de ses propres frontières contre les ennemis qui s’y cachent et en Syrie contre l’EI. Toutefois, d’un point de vue du droit international humanitaire, la guerre contre les ressortissants français agissant au nom de l’EI pose un problème. Une fois capturés, ces français seront-ils traités comme des prisonniers de guerre au sens de la Troisième Convention de Genève de 1949 sur les prisonniers de guerre, ou seront-ils traités sur le fondement du droit criminel national.
Les terroristes agissent au nom de l’Islam…
Un célèbre passage dans le Coran dit ceci : « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin est distinct de l’égarement. Quiconque, donc, rejette le faux et croit en Allah saisit l’anse la plus solide, celle qui ne peut se briser. Et Allah est Audient et Omniscient.» (Coran 2:256). A partir de ce commandement divin, personne n’a l’autorité requise pour forcer un non musulman à devenir musulman. Comme Dieu le dit dans le Coran « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants»? (Coran 10:99).
Contrairement à ce que font croire les organisations djihadistes qui sèment la terreur un peu partout dans le monde, l’Islam est une religion de paix, de tolérance et d’amour. Et cela se vérifie bien dans notre pays en cas de troubles sociaux d’origine politique par exemple. On voit que nos leaders religieux, musulmans et chrétiens, prendre la parole pour calmer les esprits et enseigner les vertus du dialogue. Je pense que ce sera une erreur de confondre islam et terrorisme.
Les terroristes frappent à Bamako, donc pas très loin de Conakry, pensez-vous qu’on est aussi menacé en Guinée ?
En tant que citoyen qui se fie à ses propres observations, je pense qu’en ce qui concerne la Guinée, nous ne sommes pas face à une menace imminente, à moins que nos services de renseignements qui sont bien placés pour répondre à cette question ne disent autre chose. Cependant, l’analyse croisée du contexte régional et de certains événements dans notre pays laissent penser qu’il pourrait exister une menace indirecte à laquelle il convient de faire face dès maintenant pour parer à toute éventualité. En effet, la situation au Mali devrait nous alerter en tant que Guinéens. Ce pays est comme une zone intermédiaire entre l’Afrique du nord et l’Afrique au sud du Sahara. Si l’intervention française dans ce pays en 2013 a travers l’opération Serval avait empêché la prise de Bamako par les djihadistes, force est de constater que l’attaque de l’hôtel Radisson et dans le sud du Mali démontrent la détermination des djihadistes de continuer leurs œuvres. D’un point de vue sécuritaire, il est de notre intérêt que le Mali, pays frontalier de la Guinée ne tombe pas. Sinon qui sera la prochaine cible sur la liste : la Guinée, la Côte d’ivoire, le Sénégal…
Parallèlement à la situation malienne, il y a aussi le cas de Boko haram. On sait que Abubakar Shekau, le chef de cette organisation djihadiste au Nigeria qui s’en prend sans distinction à tout le monde y compris les couches les plus vulnérables de la population, les femmes et les enfants, a prêté cette année allégeance à l’EI en considérant son organisation comme la province ouest africaine du Califat de l’EI. Outre le Nigeria, Boko Haram étend ses tentacules notamment sur le Cameroun, le Niger, et le Tchad, bref sur la bande sahélo sahélienne.
Il est donc à craindre que les pressions exercées sur un certain nombre de pays par ces organisations djihadistes n’atteignent notre pays, et que cela soit facilité par nos frontières poreuses, par la liberté de circulation dans l’espace CEDEAO dont bénéficient les ressortissants de cette région, et surtout par des personnes qui, à l’intérieur décident d’être des répondants locaux de ces organisations terroristes.
Que doit faire les autorités guinéennes face à cette menace ?
Deux séries de mesures doivent être envisageables pour faire face à toute menace en Guinée. Les premières mesures doivent être préventives et porter sur quatre actions fondamentales. La première consiste à renforcer notre capacité nationale de renseignement, d’analyse et d’évaluation de toute situation menaçante. Cela passe par exemple par l’identification des activités suspectes dans tous les foyers susceptibles de produire des personnes à risques. Ces personnes doivent faire l’objet de surveillance de manière à connaitre leurs motivations, leurs contacts aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. La deuxième action qui est un complément naturel de la première consiste à intensifier la coopération entre les différents services de renseignement des autres pays de la sous région et du monde afin d’être informé sur les actions à caractère terroriste susceptible d’être menées à l’encontre des intérêts de notre pays. La troisième action consiste à lutter contre toutes les formes d’exclusion sociale, responsables de frustrations, et de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes qui sont généralement une clientèle vulnérable et facilement manipulable par les groupes djihadiste. En complément de cette action, il convient de promouvoir auprès des jeunes un usage responsable des nouvelles technologies de l’information et de la communication, car l’internet à travers ses réseaux sociaux est un extraordinaire outil de bourrage de crânes et de recrutement des nouveaux djihadistes. Enfin, la dernière action préventive est d’assécher les sources de financement des organisations suspectes. L’argent étant le nerf de la guerre, il convient de faire respecter en particulier par les banques et les autres structures de transfert d’argent tout l’arsenal juridique qui existe contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les secondes mesures quant à elles sont d’ordre opérationnel. Elles exigent la mise en place des forces d’élites spécialement chargées d’agir en un temps record en cas d’attaques terroristes. Etant donné qu’une grande majorité de ces attaques se tiennent en milieu urbain, ces forces d’élites doivent être formées pour faire face à de telles situations. On a vu par exemple que l’attaque de l’hôtel Radisson s’est passée en plein Bamako et que les attaques de Paris ont aussi touché le Bataclan, une salle de spectacle. La neutralisation de telles actions dans les centres urbains à forte concentration humaine demande de la part des forces de l’ordre des techniques tout à fait appropriées qui s’acquirent par le biais de formations spécialisées.
In fine, les risques de dérapages dans la lutte contre le terrorisme est grand, surtout en ce qui concerne les atteintes abusives à la vie privée, la négation de la présomption d’innocence dans certains cas et les atteintes à l’intégrité corporelle des personnes. Il est dès lors de la responsabilité de notre gouvernement de s’assurer que les mesures préventives et opérationnelles si elles sont envisagées dans le cadre de cette lutte sont et seront en harmonie avec les lois de la République et les engagements internationaux de notre pays en matière des droits de l’homme.
Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré