Le public entend souvent parler de l’« inculpation » d’un citoyen par un juge d’instruction.
Que recouvre ce terme, différent de celui de l’« accusation » ou de la « prévention », qui font de celui qui en est l’objet un « accusé » devant la cour d’assises ou un « prévenu » devant un tribunal de police ou un tribunal correctionnel ?
L’inculpation constitue une prérogative exclusive du juge d’instruction. Celui-ci peut, au gré de l’évolution de l’enquête, inculper une personne, que ce soit une personne physique ou une personne morale. Pour ce faire, le juge d’instruction doit disposer d’indices sérieux de culpabilité à son encontre.
Vos droits pendant l’enquête et l’instruction naissent au moment où vous êtes qualifié d’« inculpé » par le juge d’instruction, donc accusé d’avoir commis une infraction. Vous êtes cependant considéré comme innocent jusqu’à ce que la preuve de votre culpabilité soit rapportée et retenue par un tribunal.
Entendons par inculpé toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices sérieux de culpabilité. Donc sans cela on ne saurait être inculpé.
De manière générale, les juristes qui interprètent cette notion considèrent que « l’indice ne doit pas réunir toutes les qualités de la preuve définitive, mais il doit constituer un élément sérieux digne, s’il est vérifié et s’il n’est pas contredit ultérieurement, de devenir une preuve et de fonder la conviction du juge dans le cadre d’un procès pénal ».
Peuvent, par exemple, constituer des indices sérieux de culpabilité les résultats d’un test ADN ou d’une perquisition, vos empreintes digitales, les déclarations d’un témoin, ou encore l’enregistrement de communications téléphoniques pertinentes et vérifiées j’en passe…
Ce faisant, Le magistrat instructeur apprécie souverainement le moment à partir duquel de tels indices existent. Dès que ces derniers sont réunis, le procédé d’inculpation devient obligatoire. Néanmoins, compte tenu du nombre de dossiers que les juges d’instruction gèrent de front, il n’est pas rare que cette inculpation soit tardive ou différée. Un tel retard n’est toutefois assorti d’aucune sanction procédurale.
Par ailleurs, toutes les infractions peuvent faire l’objet d’une inculpation. Il n’y a pas de seuil minimal de gravité à atteindre.
Si l’inculpation constitue indéniablement une étape importante de l’enquête, elle présente également un grand intérêt pour la personne visée.
En effet, la loi attache des conséquences juridiques, parmi celles-ci, il y a, notamment :
– Le droit pour l’inculpé de demander un accès au dossier le concernant ;
– Le droit d’être informé sur la nature et la cause de l’accusation, c’est-à-dire sur les faits qui lui sont reprochés et les bases juridiques. Ce droit d’information sert à lui permettre de préparer le mieux possible sa défense ;
– La possibilité de solliciter des devoirs complémentaires à décharge ou encore le droit de saisir la chambre d’Accusation pour remettre en cause certains actes du Juge.
Pour rendre les informations compréhensibles et complètes, si vous ne parlez pas la langue officielle qui est le Français (en République de Guinée), il est fait recours à un interprète qui traduira toutes les questions et toutes vos réponses.
Au cas où vous êtes retenu par des officiers de police judiciaire pour crime ou délit flagrant ou interrogé par le juge d’instruction, les officiers de police judiciaire ou le juge d’instruction sont obligés de vous donner avis de votre droit de vous faire assister par un avocat de votre choix et vous permettre de le contacter pour qu’il vous assiste. Cet avis se fait avant de procéder à votre interrogation.
Vous avez le droit de contacter soit un membre de votre famille soit un ami, sauf si les intérêts de l’enquête s’y opposent.
En cas de maladie vous avez droit aux soins médicaux au cas échéant le Juge d’Instruction peut prendre en votre faveur une ordonnance de placement dans un Centre hospitalier.
Si vous êtes ressortissant d’un autre pays vous avez le droit de contacter une personne de votre choix, donc l’ambassade de votre pays si vous le souhaitez.
Si, pendant votre rétention, vous êtes suspectés de dissimuler des objets utiles à la manifestation de la vérité ou des objets dangereux pour vous ou quelqu’un d’autre, on peut vous faire subir une fouille corporelle, en principe, par une personne du même sexe.
Si vous êtes libre, le juge d’instruction peut vous convoquer par lettre, à savoir par un mandat de comparution. Il vous met simplement en demeure de vous présenter aux date et heure indiquées et vous êtes entendus tout de suite par le juge d’instruction.
Mais il peut aussi vous faire chercher par la police par un mandat d’amener, lorsque le juge d’instruction estime qu’il y a danger de fuite, danger que des preuves disparaissent ou si vous ne vous présentez pas à sa demande. En cas de crime, le danger de fuite est présumé si le fait est puni par la loi d’une peine criminelle.
Un mandat d’arrêt peut être pris si l’inculpé est en fuite ou réside à l’étranger et si les faits qui lui sont imputés l’exposent à une peine de prison.
Si vous êtes ressortissant d’un autre pays, vous devez être présent pendant l’instruction, la participation par vidéo n’est encore pas prévue par la loi guinéenne.
Dans le cadre de votre droit de consulter le dossier, normalement par l’intermédiaire de votre avocat, vous pouvez vous informer sur les témoins qui ont déposé contre vous et sur les autres preuves existant contre vous. Vous avez accès à votre dossier après le premier interrogatoire. Vous pouvez aussi à tout moment demander au juge d’instruction une consultation des pièces de votre dossier ou vous faire délivrer des copies.
Concernant votre mise en liberté ou en détention, le juge d’instruction, après vous avoir inculpé et interrogé, peut vous remettre en liberté. Il peut aussi vous mettre en détention provisoire, en décernant un mandat de dépôt contre vous. Vous serez alors conduit à la prison par la garde pénitentiaire. Le juge d’instruction pourra vous interdire de communiquer avec l’extérieur ou avec d’autres détenus en cas de nécessité de l’instruction. Si cette interdiction est levée, vous pourrez être en contact avec des personnes proches, en respectant le règlement strict de la prison.
Vous avez le droit de demander d’être mis provisoirement en liberté à chaque instant de la procédure. Cette mise en liberté peut être subordonnée à l’obligation de fournir un cautionnement et nécessite une élection de domicile en Guinée.
Concernant votre droit de voyager une fois inculpé, en général, vous pouvez voyager pendant l’instruction sauf si vous êtes emprisonné. Par contre, si vous encourez une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave, si vous résidez en République de Guinée, le juge d’instruction peut ordonner un contrôle judiciaire qui comportera comme obligation par exemple de ne pas sortir des limites territoriales déterminées par le Juge d’instruction.
Si vous êtes poursuivi dans un autre Etat lié à la Guinée par une convention, pour le même fait vous ne pouvez être puni qu’une seule fois pour la même infraction, mais la double poursuite reste possible tant qu’il n’y pas eu de jugement définitif dans un pays.
Si une instruction est en cours dans cet Etat, vous pourrez être extradé vers ce pays pour y être poursuivi et jugé dans cet Etat.
Si vous êtes détenu, votre demande de liberté provisoire est adressée au Juge d’Instruction en tout état de cause, c’est-à-dire à n’importe quel moment de l’instruction et sans aucune limite quant au nombre de demande.
Mais si vous êtes détenu provisoirement en prison, vous pouvez aussi demander votre libération provisoire par simple demande écrite remise entre les mains du Régisseur de la prison civile ou maison centrale.
Rappelons que vous pouvez être libéré provisoirement contre le paiement d’une somme d’argent (caution).
Effectivement, le code de procédure pénale prévoit le terme de cautionnement. Le tribunal peut vous libérez provisoirement contre paiement d’une telle somme qu’il détermine librement. Cette somme garantit que vous allez vous représenter devant le juge d’instruction et au Tribunal et pour l’exécution de la peine, ainsi que pour les amendes, les frais de justice les restitutions et les dommages intérêts.
Si vous êtes libéré, le procureur de la République peut, dans un délai de vingt-quatre heures qui court à compter du jour de l’ordonnance, faire appel de la décision. Dans ce cas, vous resterez détenu jusqu’à la décision de la Chambre d’accusation.
Vous avez aussi le droit d’appel en cas de refus de libération devant la Chambre d’Accusation.
Ce sont autant de prérogatives qui sont indispensables à l’exercice des droits de la défense, raison pour laquelle l’inculpation est généralement accueillie avec sérénité par la personne qui en fait l’objet.
Retenons donc que l’inculpation n’est pas synonyme de condamnation de sorte que la présomption d’innocence, principe fondateur du droit pénal, trop souvent bafoué, doit primer en toutes circonstances.
Mohamed DIAWARA
Magistrat, Juge d’Instruction à Kérouané