Dans cet entretien que le secrétaire exécutif adjoint de l’Agence nationale de la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance, a accordé à notre reporter, Sékou Mohamed Sylla assure que l’ANLC ne disposerait pas de moyens de sa politique dans la lutte contre la corruption en République de Guinée. Il a mis l’occasion à profit pour déplorer le fait que la gouvernance pêche par le manque d’efforts consentis dans l’éradication de la corruption.
Quelle perception les Guinéens ont de la lutte contre la corruption?
Sékou Mohamed Sylla: La seule manière de le savoir, c’est à travers une enquête. En tant qu’institution, je ne peux pas moi-même décrire la perception des populations, en ce qui concerne la lutte contre la corruption. En dehors de la première enquête nationale de lutte contre la corruption en Guinée financée par OSIWA en 2012, il faut déplorer que les résultats aient été accablants. Ça prenait en compte les réalités de 2010-2011.
Accablants, qu’est-ce que vous voulez dire par là?
Accablants, c’est-à-dire aucune couche de la société n’est épargnée. Ça va de 500 francs à des milliards.
C’est OSIWA qui fait des enquêtes. Vous au sein de votre service que faites-vous ?
Conformément à la mission qui nous a été assignée, élaborer sur la mise en œuvre de la politique nationale de la bonne gouvernance : mener des activités de prévention, de détection de la corruption. Mais il faut dire que nous n’avons pas les moyens pour mener notre mission. Nous nous sommes contentés des actions de prévention, d’information, de sensibilisation avec l’appui de nos partenaires. Et là également les ressources qui sont mises à la disposition de l’ANLC jusqu’à date ne servent qu’à entretenir le peu de personnel que l’ANLC dispose, et ça aussi dans quelles conditions. A l’heure actuelle, c’est le PNUD et OSIWA qui nous appuient. La Banque mondiale est intervenue dans le cadre de l’enquête nationale, l’Union européenne est intervenue au point de vue équipement. C’est l’ONEIDC qui nous aide à participer la Guinée sur le plan international, dans les forums dédiés à la lutte contre la corruption. Mais notre pays ne fait pas d’effort.
Comment expliquez-vous cela ?
Vraiment, pour le moment nous n’avons pas de moyens appropriés de lutter contre la corruption.
Certains estiment que ce sont les agents de l’Etat eux-mêmes qui entretiennent la corruption. Votre agence aura-t-elle la tâche facile en pareils cas?
Non au contraire, les abeilles viennent derrière la ruche. Les deniers publics c’est l’Etat, conséquemment, ce sont les agents qui sont les gestionnaires des deniers publics, qui sont par endroit acteurs de la corruption. L’institution ne peut être qu’étatique. Dans la mise en œuvre de sa mission, elle a trois piliers : l’Etat, la société civile et le secteur privé. Voilà les trois éléments fondamentaux de la lutte contre la corruption. Faudrait-il que l’Etat s’organise conséquemment au point de vue du cadre légal, pour disposer d’une loi. Nous sommes en train d’assurer la promotion de son adoption. A date ça se trouve au niveau du conseil des ministres avant qu’il soit acheminé à l’Assemblée nationale. Afin que nous disposions des moyens requis. Déjà la Guinée ayant ratifié la plupart des instruments supranationaux dont : la convention des Nations unies de la lutte contre corruption; la convention de l’Union africaine sur la prévention de la lutte contre la corruption. Cette convention a été ratifiée seulement sous le magistère du professeur Alpha Condé. Elles ont été toutes signées depuis 2005. Mais le tout premier instrument de la lutte contre la corruption de la CEDEAO n’est pas encore promulgué par la Guinée.
Qu’allez-vous faire dans ce sens pour qu’il soit promulgué par exemple ?
Ce sont des voies classiques requises, nous nous soumettons à la haute appréciation de l’autorité, pour que le gouvernement traite et transmette à l’Assemblée nationale pour son examen.
Votre service relève de quelle institution de la République ?
A date d’aujourd’hui, c’est un organe directement rattaché à la présidence de la République. Pour votre information, il ya trois types d’organismes à la présidence : un premier groupe par délégation, un ministre d’Etat secrétaire général à la présidence. Un second groupe par délégation du ministre directeur de cabinet et le troisième, elle relève directement du président de la République.
C’est paradoxal de voir que votre agence se trouve sans aucun moyen malgré qu’elle soit rattachée à la présidence?
Sincèrement paradoxal.
Le président est sorti ces derniers temps, en disant que l’impunité c’est fini. N’est-ce pas que votre agence devait être l’instrument de cette politique de lutte contre la corruption?
Naturellement, nous mêmes nous nous posons la question. On est un peu inquiet. Je ne sais pas si le président a un autre organe de lutte contre la corruption en dehors de l’ANLC proprement dite. Certes, il ya des autres corps de contrôle qui jouent indirectement la mission de moralisation. Mais en ce qui concerne exclusivement la lutte contre la corruption, le seul organe reconnu pour le moment, c’est l’agence nationale de la lutte contre la corruption et de promotion de la bonne gouvernance.
A votre avis quel est le secteur le plus corrompu en République de Guinée ?
Mon frère, si je me permets de citer un secteur, c’est donner tort à un autre. Je vous assure aucun secteur n’est épargné. Attendons les résultats de l’enquête de perception de la corruption qui sera bientôt publiée. Vous serez étonnés. Le terrain est favorable à la corruption, parce qu’il n’y a pas de sanction. Les gens ne sont pas inquiétés. Ceux qu’ils ne veulent pas faire la corruption sont embarrassés. Ceux qui font la corruption, ne sont pas inquiétés. Et on les encourage, à le faire. Comme vous ne voulez pas faire la corruption tant pis. Nous on va faire la corruption. Et le plus souvent, ce sont les gens qui se disent ami du patron qui l’occasionnent. Et l’ANLC voit le contraire, en la matière il n’y a pas l’ami du patron. Le patron a besoin de celui qui veut l’aider à honorer ses engagements vis-à-vis du peuple de Guinée. Notre agence est là pour ça, mais on n’a pas les moyens de notre mission. Il nous faut les moyens de notre mission et ça dépend des hommes.
Justement qu’allez vous passer comme message, pour finir ?
Ne laissez pas la lutte contre la corruption à la seule action gouvernementale. La lutte contre la corruption, c’est au niveau même de la famille. Un exemple tu es nommé aujourd’hui ministre, la première réaction de la famille, on va vous dire quoi ? Ne fait pas le maudit hein ! Aide-moi M ; le journaliste à finir cette phrase.
Non je me réserve de le dire ?
Prend ta part, c’est ce qu’ils te diront. Il faut le dire, c’est une réalité. Le président n’est pas censé connaître la moralité de tout le monde, il te voit avec un bagage intellectuel, genre charismatique. Il se dit ce type-là, peut m’être utile. Le président te nomme à un poste, tu es là, tu fais le contraire. Et demain, c’est lui-même qui endosse la responsabilité. C’est ce que nous sommes en train de connaître en Guinée à l’heure actuelle.
Chose qui porterait un coup au développement à votre avis?
Ça c’est clair, vous vous rendez-compte, les actions entreprises depuis 2010 à 2015. Si réellement la lutte contre la corruption était mise en exergue. On sanctionne positivement et négativement, vous allez voir. On a vu que la partie visible de l’iceberg de ce qu’on aurait dû voir. Les bons résultats sont engloutis par le fait de la corruption. Il faut lutter contre la corruption, si on ne lutte pas contre la corruption, on n’ira nulle part. Il ne faut pas se cacher la vérité. Dans la sous région seule la Guinée n’a pas une loi anti corruption. Le budget de notre institution de lutte contre la corruption ne fait même pas le 10 ème du budget que le Sénégal alloue à son institution de lutte contre la corruption. Et l’institution actuelle du Sénégal a été créée par M. Macky Sall après son investiture. Elle a fait tout récemment son tout premier rapport, son budget 2016 est à 2 millions 100 mille euros.
D’ailleurs selon le classement de l’ONG Transparency International, le Sénégal fait partie des bons élèves de la lutte contre la corruption en Afrique…
Merci, voilà quand on vous soutient, forcément vous produirez des résultats au bénéfice de votre pays.
Entretien réalisé par Richard TAMONE