Mamadou Zakariaou Bah, diplômé en Relations Internationales de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia est l’un des 172 Guinéens rapatriés de la Libye, qui ont atterri le jeudi 14 JUILLET à l’aéroport international de Conakry, Gbessia. Dans cet entretien accordé à notre reporter, cet homme de 26 ans raconte son périple plein de péripéties.
Tout a commencé juste après le décès de son père en 2012, moment où il était encore étudiant à l’université. «Mon papa est décédé le 11 juin 2012 en ce moment je faisais la 1ère année à l’université de Sonfonia. Je n’avais que des jeunes sœurs et frères. On est pauvres, donc j’étais obligé de me battre pour la survie de la famille», a confié Zakariaou Bah à notre reporter. Ainsi il s’est lancé en quête d’un eldorado. Mais avant cette nouvelle aventure, il cherche une place à Madina. « Au moment où même j’étudiais je partais au marché de Madina parfois, quand je n’avais pas de cours à l’université pour vendre. Je vendais des accessoires de téléphones mobiles, comme des kits d’oreillettes, des chargeurs, des cartes mémoires à ‘’Bordeaux’’, un marché à puces situé en plein cœur de Madina. Mais ce que je gagnais ne parvenait pas à couvrir mes besoins et ceux de la famille. Donc j’ai décidé après mes études de Relations Internationales, de me lancer dans l’aventure», indique notre interlocuteur. Le 05 avril 2016, Mamadou Zakariaou Bah s’embarque alors dans une voiture de marque Renault 21 de Conakry, direction l’Italie. Ainsi commence la longue traversée du désert pour cet étudiant diplômé. « Nous arrivons à Kourémali, la frontière entre la Guinée et le Mali le lendemain aux environs de 06 heures du matin. Après la fouille des militaires, nous entrons sur le territoire malien à 08 heures».
Tous ceux qui étaient dans le véhicule avaient le même objectif que moi. On était au nombre de 33 dont une femme
Bamako
Zakariaou et ses coéquipiers qui partent vers la même destination passent deux nuits dans la capitale malienne, Bamako. Ils sont reçus par le correspondant du réseau qui les a embarqués de Conakry. «Bon je n’étais pas seul. Tous ceux qui étaient dans le véhicule avaient le même objectif que moi. On était au nombre de 33 dont une femme. Avant notre départ de Conakry, on nous avait prévenus, qu’on allait passer par le Mali et faire deux jours là-bas, chez un monsieur qui va nous accueillir et s’occuper de nous, et ensuite nous embarquer pour la nouvelle destination ».
Un détour par Ouagadougou
Pour éviter les trafiquants du désert, le véhicule emprunte la route pour la capitale burkinabè. Ici, les passagers n’auront pas besoin de descendre, selon Mamadou Zakariaou Bah. Car ils ne feront que deux jours avant de rejoindre le Niger.
Niamey capitale du Niger
Au Niger, le jeune diplômé commence à sentir le long périple qui les attend. Il faudra deux semaines, pour pouvoir quitter la capitale nigérienne. « Nous sommes arrivés là-bas le 08 avril. Comme à Bamako nous avons été reçus par un autre membre du réseau de passeurs. Je dois vous dire qu’au Niger, il faisait extrêmement chaud et au bout de quelques jours, mon argent était presque fini. Donc je devais économiser les frais de nourriture, sinon je risquais d’entrer en Libye sans aucun sou», explique Zachariaou. Après l’étape de Niamey, ils arrivent à Agadez, la ville frontalière avec la Libye. Ici aussi ils ne sont pas là pour quelques heures. Ils y passeront une semaine.
on était coincés entre les briques pour ne pas qu’on nous aperçoive
La Libye un « enfer » pour immigrés subsahariens !
Malgré ces difficultés auxquelles ils ont été confrontés en chemin, les migrants guinéens parviennent enfin à mettre pied en terre libyenne, après 4 jours passés dans le désert. Là, c’est le pire qu’ils vont vivre. Première déception pour celui qui pensait profiter de l’emploi au pays de Kadhafi, première ville libyenne « le 5ème jour de notre arriver à Libye, j’ai été arrêté dans la ville de Souaref après avoir dépassé Saba. On m’a renvoyé dans la même ville de Saba. J’ai été enfermé avec d’autres africains, dans un container durant deux semaines. D’abord, ils ont pris tout ce qu’on avait, notre argent lors de notre arrestation. Il faut signaler qu’on ne mangeait pas, on ne nous donnait que de l’eau. Et cela trois fois par jour », témoigne Zakariaou. Pour se libérer de cette prison infernale, il cherche à contacter sa famille à Conakry, qui par la suite l’enverra une somme de trois millions de francs guinéens. Zakariaou est libéré. Il veut toujours atteindre son objectif nonobstant ce qu’il a subi à Souaref. Avec l’argent qui lui reste, il s’embarque pour Tripoli, où il retrouve certains de ses compagnons de route. Mais avant d’arriver dans la capitale libyenne, il se heurte à un deuxième obstacle. «Vous savez, je dois vous dire que je me suis embarqué à Conakry par le canal d’un réseau. Quand on m’a libéré, on m’a envoyé où se trouvait mes compagnons, dans une ville située près de Tripoli appelée Ben Walid. On nous a mis dans une cour fermée, sans toiture. La Libye comme vous le savez est un pays désertique, donc le soleil est toujours très ardent. Parfois on est obligés de se déshabiller, attacher nos habits et former une toile. Nous sommes restés trois semaines dans ces conditions et en ne mangeant que deux fois par jour, il faut le préciser. Et là on était sous l’emprise du correspondant de notre réseau, dont les ramifications s’étendent jusqu’en terre libyenne». Après ces trois semaines de difficultés, le convoi arrive à Tripoli. L’espoir renait, mais malheureusement la vie dans tout le pays est la même. «Pour aller à Tripoli on nous a transportés dans un camion remorque où on était couverts de briques. Lorsqu’on est arrivés à Tripoli, la vie était redevenue un peu bien pour nous, mais on n’avait plus d’argent. J’ai contacté la famille qui m’a envoyé de nouveau de l’argent. On n’osait pas sortir parce que le subsaharien est considéré comme de la drogue en Libye», révèle Zakariaou.
De Tripoli à la mer méditerranée, une descente aux enfers
Après une semaine, les clandestins guinéens prennent la route pour la mer méditerranée, la liaison entre la Libye et l’Italie, l’un des points d’accès qui permet de rallier l’Europe à partir du continent africain. Ce jour-là, Zakariaou et ses compagnons ainsi que d’autres qui se sont joints au groupe, venant eux de divers horizons, ont été embarqués dans la carrosserie d’un camion de transport de briques. Après quelques kilomètres de parcours, Zakariaou entend de loin les vagues de la mer, ses premières impressions. « D’abord on était coincés entre les briques pour ne pas qu’on nous aperçoive. Lorsque j’ai entendu les vagues de la mer, j’ai pensée à ma maman, mes frères et sœurs, à la mort. Je me disais dans mon fort intérieur est-ce que je ne vais pas mourir aujourd’hui. J’avais eu peur. Je voulais retourner, mais quand j’allais le dire, on allait me tuer sur place». Après tout, le courage domine sur la peur. Arrivés au bord de la mer, « les libyens qui nous conduisaient ont sorti une embarcation flottante, dans laquelle on s’est retrouvés tous».
Tout ce qu’on nous donnait à manger c’était du macaroni, et ça c’était deux fois par jour. On nous faisait travailler comme des esclaves
L’Europe à tout prix
Après 8 heures passées sur la mer, au moment où chacun rêvait à sa destination parmi les pays européens, surgissent derrière eux, des gardes côtiers libyens qui vont anéantir leurs espoirs.
« On était au nombre de 122 dont 7 femmes enceintes, tous venus de la Guinée qui se sont embarqués pour l’eldorado européen. L’eau pénétrait dans le flotteur, et pour ne pas chavirer, on était obligés de prendre les petits bols pour diminuer l’eau dans l’embarcation. Après 8 heures, on était déjà dans la zone internationale. Au moment où on a aperçu de loin le bateau de sauvetage italien, c’est en ce moment que les gardes libyens sont venus nous arrêter, pour nous renvoyer à Tripoli», selon le diplômé guinéen, qui conte son aventure avec amertume.
40 jours dans la prison de Tripoli
Renvoyés dans la capitale libyenne, ils y passeront 40 jours, durant la période de ramadan. « Tout ce qu’on nous donnait à manger c’était du macaroni, et ça c’était deux fois par jour. On nous faisait travailler comme des esclaves. On nous frappait. Pour eux, le noir est un esclave, il est venu dans ce monde pour être traité de la sorte», accuse notre interlocuteur.
Retour à Conakry
Le 14 juillet Mamadou Zakariaou Bah et 171 guinéens seront rapatriés à Conakry à bord d’un avion militaire libyen. Aujourd’hui ce jeune regrette ce parcours et déconseille à tous ceux qui sont tentés d’emprunter cette voie. « Je remercie d’abord le consul guinéen et je remercie aussi l’OIM, pour ce qu’ils ont fait pour nous. Je demande aux jeunes de ne pas emprunter la voie clandestine, ce n’est que de la perte. Imaginez que j’ai dépensé plus de 20 millions de nos francs pour ce trajet. Je demande aussi au gouvernement de créer de l’emploi pour nous les jeunes. Parce que s’il y avait de l’emploi, les gens n’allaient pas sortir pour aller se faire malmenés chez les autres. Et je vous dis il y a eu beaucoup qui ont refusé de revenir. Il y a plus de 1 000 Guinéens qui sont dans les prisons là-bas. C’est seulement nous les 172 guinéens qui avons accepté de revenir», souligne Zakariaou Bah. A la question de savoir qu’est-ce qu’il compte faire maintenant, il répond « je ne sais pas d’abord ». Il faut signaler qu’à leur retour au bercail, chacun a reçu 100 euros. Cependant certains migrants réclament 1 000 euros. Selon ces derniers, les autorités guinéennes auraient prélevé indument les 900 euros offerts par l’Organisation Internationale pour les Migrants (OIM), afin de faciliter la réinsertion des personnes rapatriées.
Amadou Sadjo Diallo