Ibrahima Sano, économiste et chercheur vient de publier une étude dans laquelle il propose une orientation qui pourrait permettre une gestion efficiente des déchets produits dans la capitale. Dans cet entretien accordé à notre reporter, Ibrahima Sano dénonce aussi la magouille qui entoure la gestion des gestions dans la cité.
L’Indépendant : Vous venez de faire un document sur la gestion des ordures. De quoi s’agit-il ?
Ibrahima Sano : Ce document se veut un peu ambitieux. Parce que depuis un certain
temps nous avions remarqué que la ville de Conakry a un peu perdu son
charme et qu’elle est devenu une ville presque la plus ou l’une des
plus sales en Afrique de l’Ouest. Donc le document procède déjà par un
diagnostic qui se veut exhaustif, innovant. Et en plus du diagnostic
il y a des propositions de solutions. Ces propositions de solutions
permettront si elles sont acceptées aux décideurs publics de cerner la
complexité de ces problèmes et de prendre des décisions qui sont
averties, de sorte à faire que l’utilité sociale bien évidemment de la
décision soit encore plus grande.
Parlez-nous un peu en profondeur de ce document?
A propos de quelques points de ce document, c’est que nous avions remarqué qu’à
Conakry en dépit d’un diagnostic, qu’il existe un problème de gestion
des ordures. Le premier problème, c’est un problème de
sous-financement. Quelque part on se dit que le financement
aujourd’hui qui est octroyé bien entendu aux communes ou même au
gouvernorat de la ville de Conakry pour l’enlèvement des ordures est
insuffisant. En plus donc l’autre problème est que cette terre est
minée par une collision des pouvoirs. Aujourd’hui nous voyons qu’il y
a beaucoup d’acteurs dans ce domaine de gestion des ordures. Des
acteurs à la fois formels et informels, et sans qu’il n’y ait des
clarifications des pouvoirs. Ce qui fait que la petite somme, le bol
qui est alloué à cette gestion n’arrive pas évidemment à la finalité,
donc à l’utilisation à la laquelle le bol est destiné. Donc il y a des
malversations, des corruptions partout. Voilà ce que ça donne
aujourd’hui, la ville est mal propre. Le troisième problème, c’est le
problème de coordination des acteurs. La coordination des acteurs, à ce niveau il y a une confusion, il y a une collision des pouvoirs. Donc cela
fait que qu’il y a une coordination sous optimale des acteurs. Chose
qui fait que les ménages considérés comme des producteurs d’ordure,
les entreprises, l’Etat, les bailleurs de fonds n’arrivent pas à
coordonner leurs actions, afin de donner le résultat désiré, avoir un
impact économique très élevé, créer des emplois, parce que ça peut
être utilisé aussi comme un levier de lutte contre la pauvreté et
contre bien même le chômage qui bat son plein en Guinée.
Récemment le président de la République a confié la gestion des
ordures à l’armée. Quel est votre point de vue sur cette option?
Mon avis est un peu partagé par rapport à cette décision. Lorsqu’on
regarde un peu, on se dit que le secteur est miné par des problèmes.
Donc il fallait un délai interne, ce délai interne pourrait consister
à un aménagement des pouvoirs. Donc à confier cette gestion-là à une
instance transitoire, si c’est dans ce cas-là, pris dans cet ordre
d’idée, je pourrais dire que cette décision avec beaucoup de réserve
pourrait être acceptée. S’agissant de la finalité, il faut encore
attendre de voir ce que ça va donner. Dans l’autre sens, je dirais aussi que la décision n’est pas bonne parce qu’elle n’est pas courageuse. En ce sens que la gestion des
ordures ne consiste pas seulement à enlever des ordures dans la ville
de Conakry et pour les mettre dans une décharge, ça consiste bien
entendu à les enlever, les transporter, à les mettre dans la décharge
peut-être même à les valoriser. Cette valorisation peut procéder à
l’incinération avec option de valorisation énergétique, ça peut être
aussi le compostage, ça peut être aussi le recyclage. Toutes ces
activités de valorisation peuvent créer beaucoup d’emplois. Ça pouvait
permettre aussi la création et de la valeur ajoutée, et la dynamisation du
secteur industriel qui est très faible en Guinée. Donc pris dans cet
ordre d’idée, je dirais que la décision devait être plus courageuse.
Il aurait fallu un peu de recul pour que le président arrive
aujourd’hui à cerner la complexité bien évidemment de ce secteur.
Parce qu’aujourd’hui il ne s’agit pas de confier cela à un acteur
seulement pour que le problème se règle. Il y a un problème de
législation. La Guinée n’a pas de législation qui clarifie le rôle des
différents acteurs, ce qui doit se faire par rapport à la gestion des
ordures solides, semi-solides, des ordures industrielles, des ordures
biomédicales. Dès lors qu’il n’y a pas de législation très claire
comme il y en a partout dans le monde, donc ça veut dire que nous
n’avons pas de stratégie. La stratégie qui est adoptée aujourd’hui
c’est une stratégie à tâtons. Et le tâtonnement ne va pas permettre
que cela soit fait, qu’on enlève les ordures de façon pérenne. Espérons
que l’article que j’ai publié sera lu et les bonnes leçons en seront
tirées, afin que le tir soit changé.
A chaque fois qu’une initiative est prise dans le cadre de la gestion
des ordures par l’autorité, elle échoue. Selon vous qu’est-ce qui
pourrait expliquer cela?
Dans l’intitulé de mon article, j’ai dit ‘’stratégie et méthode de
gestion des ordures pour la ville de Conakry’’. Après j’ai dit
‘’Conakry ville propre, c’est possible avec une exclamation. Ça veut
dire tout simplement qu’aujourd’hui en Guinée le vrai diagnostic n’est
pas posé. Parce qu’en Guinée on n’a pas une culture de mémoire. Dès
lors que nous avions été confrontés à un problème, nous avions franchi
un problème, nous avions oublié de tirer les leçons du problème. Le
problème des ordures, ce n’est pas aujourd’hui. Il y a eu des
expériences pionnières en Guinée. De 1985 à 1992 on en a eu, en 1996 à partir
du programme transitoire de gestion des ordures, on en a eu. Toutes ces
expériences capitulées prouvent que le secteur public en Guinée est
incompétent et aujourd’hui inefficace pour enlever de façon durable
les ordures dans la ville de Conakry, du fait de l’absence de
stratégie nationale de la collision des pouvoirs, de la malversation
et de la corruption qui mine ce secteur.
Selon vous quel est le vrai problème qui se pose au niveau de la gestion des déchets dans la capitale?
Le vrai problème qui se pose, c’est que nous n’avons pas de stratégie
nationale. Qui donc n’a pas de stratégie nationale va donc les yeux bandés
dans l’avenir imprédictible. On ne sait pas où on va, et lorsqu’on ne
sait pas où on va, bien évidemment on tâtonne. En terme très simple, la
Guinée n’a pas une stratégie nationale de gestion des ordures. C’est pourquoi
j’ai publié ce document.
Qu’est-ce que vous préconisez pour une gestion réussie des déchets?
Pour une gestion réussie, je dirais qu’il faut qu’il y ait
l’élaboration d’une stratégie nationale, dans laquelle il va y avoir
des législations par rapport aux ordures solides, c’est-à-dire les
plastiques, les emballages, les caoutchoucs qu’on peut rencontrer
aujourd’hui. En plus certaines choses qui peuvent s’assimiler à ces
ordures solides. C’est le cas des démolitions qu’on voit se faire
n’importe comment, au niveau des bâtiments à Conakry. En plus aussi, il faut qu’il
y ait des ordures semi-solides, je veux par exemple parler des huiles
usées que les gens jettent souvent dans la rue, qui peuvent causer des
accidents et aussi des glycols. Et aussi je veux parler des ordures
biomédicales. Dans nos hôpitaux par exemple, dans les blocs
opératoires un peu partout, il y a des déchets d’une grande toxicité
qui sont produits, les déchets aujourd’hui bien évidemment sont
assimilés aux ordures ménagères. On les prend, on les jette partout,
ça un grand risque. Ça peut causer bien évidemment des problèmes. Donc
il faut qu’il y ait une stratégie par rapport à ça. Il y a des ordures
industrielles aussi beaucoup de pollution. Un pays qui veut évidemment
combattre le réchauffement climatique, doit s’intéresser à cette
question. La seconde des choses, il faut qu’il y ait une privatisation
dans le secteur. La troisième chose aussi il faut qu’il y ait de la
fiscalité et la fiscalisation pour permettre bien évidemment aux
collectivités locales ; aux communes et au gouvernorat d’avoir des
ressources financières leur permettant de contribuer de façon pérenne à
l’enlèvement des ordures. La quatrième chose aussi, il faut qu’il y
ait de l’éducation citoyenne, de l’éducation écologique. Ce sont les 4
solutions que je préconise.
Justement certains citoyens se permettent de jeter les ordures dans
des endroits inappropriés. Mais quand vous les approcher, ils vous
disent qu’ils n’ont pas où mettre les déchets. Comment vous comprenez
cela?
C’est un constat pertinent. Parce que lorsqu’on remarque ici, on se dit
que ce ne sont pas des bons citoyens ou ils n’ont pas de respect pour
d’autres. On ne comprend pas ce qui se passe dans l’esprit du Guinéen.
Mais les populations n’ont pas évidemment des poubelles le long des
rues, des trottoirs où mettre le sachet d’eau après avoir consommé
le contenu. Il n’y a pas de poubelle de proximité. Il doit y avoir des
stratégies bien évidemment, on va dire à la frontière des propriétés
individuelles, c’est-à-dire le long des routes.
Que pensez-vous de la décharge de la minière, qui est en état de pollution?
Nous sommes au bord d’un désastre écologique, parce que quiconque
passe là-bas, ce qu’il voit là-bas, ça l’écœure, ça l’afflige. Les gens
vivent le long de la décharge, ça me fait très mal. Comme le gouverneur
actuel a négocié une décharge dans la préfecture de Dubréka. Ce à quoi j’appelle que le
gouvernement arrive à faire tout possible, que cette nouvelle décharge
soit une décharge implémentée, et une décharge vers laquelle les ordures
seront dans les prochain temps jetés, pour éviter tout ce désastre qui
est en train de se poser à Concasseur et à Dar-es-Salam. Donc c’est
affreux.
Avez-vous un message à l’endroit des autorités ?
Je dirai au décideur public, qu’importe l’échelon administratif qu’il
occupe, que nous avons des problèmes. Nul ne peut les nier. Les
problèmes que nous avons sont difficiles et que chez nous tout est
priorité, tout est urgent. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut aussi
aller les yeux bandés, à faire des choix qui ne sont pas éclairés dont
les coûts seraient exorbitants. Le problème de déchet est un problème
difficile. Mais cela demande aujourd’hui qu’il y ait un courage
politique, de sang-froid et d’abnégation. Je leur dirai donc que j’ai
publié loin de toute fausse modestie, un document qui se veut modeste
et qui pousse à la réflexion, à l’introspection pour le salut de ce
peuple. J’appelle aux décideurs publics à lire le document de sorte à
en tirer bien entendu des leçons.
Entretien réalisé par Amadou Sadjo Diallo