Censure

Conspiration politique contre la citoyenneté en Guinée (Par Karamoko Mady Camara)

Les lumières s’éteignent peu à peu sur ’’le fameux dialogue politique’’ qui s’est ouvert depuis le 22 septembre 2016 au palais du peuple entre, dit-on, les principaux acteurs de la scène politique guinéenne.

Elles étaient grandes les attentes liées aux conclusions qui s’y attacheraient permettant ainsi de dégeler le climat politique délétère (comme il l’a toujours été d’ailleurs) et d’insuffler une nouvelle dynamique à la démocratie Guinéenne.

Malheureusement, un coup ’’fatal’’ vient de leur être administrées par les acteurs politiques de la mouvance et de l’opposition dite républicaine.

En faisant l’économie de l’ensemble des points inscrits à l’ordre du jour de ce dialogue, intéressons nous au point relatif à l’organisation des élections communales et communautaires désormais dénommées élections nationales et locales.
Depuis en effet plus d’une décennie, les populations sont sevrées du choix de leurs élus devant administrer les localités à la base. Le dialogue dont il est question aurait été l’aboutissement d’une aspiration légitime et profonde qui vient d’être froidement douchée.
Selon l’opposition par la voix de son porte parole, « nous sommes convenus qu’il serait organisé les élections communales, mais ces élections communales intégreraient les élections de quartiers et de districts. Il ne s’agit pas de découplage, il s’agit au contraire, d’un couplage qui être tellement étroit que ce sera une fusion entre les deux élections. C’est-à-dire que les prochaines communales vont également être des élections pour les conseils de quartiers et de districts. Il sera donc procéder par la CENI, à la publication des résultats en ce qui concerne les élections communales et dans le même temps, les suffrages qui ont été exprimés par quartier et par district seront examinés et là il résultera un résultat selon un mode proportionnel, à partir de là, on pourra composer les conseils de quartiers et de districts à partir des suffrages exprimés par les citoyens de cette circonscription ou de cette localité. Donc il ne s’agit pas de nommer de manière arbitraire les conseils de quartiers et de districts, il s’agira de partir des résultats obtenus par chaque liste de candidat lors des élections communales. Que ce soit des candidats issus des partis politiques ou des candidats indépendants ».

Ce ’’New Deal Guinéen’’ soulève des interrogations conséquentes dont seuls ’’les dealers politiques qui l’ont conclus ont la réponse.

Primo, quid des citoyens n’ayant pas pris part aux élections communales ni a titre indépendant, ni sous la bannière d’une formation politique mais aspirant candidater pour les quartiers et/ou districts si la composition se fera sur la base des résultats des communales ?

Secundo, qu’a-t-on fait d’une part de l’article 100 de la loi électorale qui dispose : « les conseillers sont élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour pour les districts,….» ? Car, comment admettre que les résultats d’un scrutin de liste à la proportionnelle soient extensibles à un autre scrutin cette fois uninominal ? considération faite de surcroît que ces élections sont citoyennes précisément de proximité et doivent permettre aux électeurs de ces localités, de voter pour des personnes qu’ils connaissent effectivement plutôt qu’en faveur d’un fourre tout de liste sur lesquelles se retrouveront les proches, parents, et amis de ces mêmes dealers politiques ; et d’autre part, de l’article 109 qui stipule [relativement à l’élection des conseils de districts et de quartiers] que « aucun candidat ou liste de candidats ne doit faire campagne sous le couvert d’un parti politique ou de toute autre organisation gouvernementale ou non gouvernementale ( ONG) », or, les communales connaissent des candidatures de partis politiques.

Il en résulte clairement que le souci des dealers politiques est moins de légiférer au bénéfice des citoyens, mais, de mettre en œuvre les voies et moyens de s’implanter dans les collectivités à la base pour leur contrôle, dans la perspective des consultations nationales (législatives et présidentielles) d’autant plus qu’ils se rendent à l’évidence de la contribution de ces élus locaux dans ce processus.

Aussi saugrenue que soit cette démarche, elle n’égale point ses conséquences qui entraînent la transposition du ’’stérile débat politique’’ qu’ils ont toujours entretenu au sommet à la base. Toute chose que ’’ le législateur d’antan’’ certainement plus avisé tentait d’éviter. Malheureusement rien n’y fait, les dealers ont décidé de passer outre.
Par ailleurs l’article 2 de la constitution qui énonce que «… le suffrage est universel, direct, égal et secret..». En faisant le choix d’une subrogation de mode de scrutin, par l’application des résultats d’un scrutin de liste à la proportionnelle à un scrutin uninominal, les dealers politiques ont manifestement violé la disposition citée et en font ce qu’ils veulent, [non pas lors d’une session de loi, mais d’un simple dialogue] c’est à dire un suffrage exception nel, indirect, et inégal. Aussi étonnant que cela puisse émaner de prétendus législateurs.
Aux fins d’embellissement de ce mépris de la loi, de l’outrage à la démocratie et de l’aliénation des droits citoyens, ils envisagent une modification, que dis-je, « un tripatouillage » de la loi électorale pour l’adapter non pas à l’évolution sociétale et à l’intérêt général, mais à ceux qui leur sont particuliers et mesquins. Puisse Dieu que l’histoire les rattrape!

Selon la mouvance, par la voix du président de son groupe parlementaire, ’’On a tenu compte de tous les aspects. On prend quartier par quartier. Dans un quartier, si une liste électorale l’emporte, la liste indépendante désignera le président du conseil de quartier et le conseil sera compose proportionnellement aux scores des autres listes. Les chefs de quartiers qui seront désignés sur la base des résultats des élections communales sont l’émanation du peuple. Que ce soit la liste indépendante ou n’importe quelle autre liste, ca sera en fonction des communales. s’il arrive que le candidat qui a été désigné n’est pas l’aspiration des populations de ce quartier ou s’il est récusé, on le lui fera savoir’’.
L’on serait bien poussé de croire que tous les aspects avaient été pris en compte si seulement, les propositions qui en ont résultées, avaient été conformes aux prescriptions légales. Malheureusement NON !

Pourquoi donc se contrarier aux entournures pendant que les textes sont clairs? Mieux, que de s’engager à jouer le facteur pour informer les intéressés de la réponse qu’ont réservés les électeurs à ces candidatures imposées, ne suffisait pas simplement de laisser le soin aux électeurs de choisir librement leurs administrateurs locaux sans aucune autre forme d’immixtion comme le recommande la loi ?

Depuis six ans, le pays vibre au rythme de l’obstination politique de la part de la mouvance et de la contestation politique de la part de l’opposition au détriment des populations qui souffrent le martyr.

Des pertes en vies humaines, des dégâts matériels importants pour que s’ouvre un dialogue politique, qui avait fini par se tenir sans que ses conclusions ne soient appliquées.
Celui en cours, devait aboutir à la mise en application du contenu de ces accords antérieurs, notamment d’Aout 2015.

Voila qu’à son terme, ses conclusions ne sont que décevantes pour les citoyens, qui voient [mais pas impuissants] leurs droits ’’ vampirisés et cannibalisés’’ du fait d’un outrage politique, d’une obstruction illégale à leurs exercices.
En revanche, la première posture pour désarçonner cette agressivité politique contre la citoyenneté reste la solidarité car,’’lorsqu’il y a solidarité entre les opprimés, le prédateur devient la proie’’.

En suite, observer l’attitude du Président de la République qui, avant la publication de ’’l’inique loi’’ devra s’attacher l’avis de conformité de la cour constitutionnelle. Si, [par extraordinaire] le Président de la République y faisait fi, saisir l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH) aux fins de saisine de la Cour constitutionnelle.
Enfin, réserver un vote sanction aux listes issues de partis politiques lors du scrutin si, d’aventure, le forçage de cette loi a raison de l’intelligence citoyenne.

Dans tous les cas, et dès lors que l’article 2 de la constitution dispose, « la souveraineté s’exerce conformément à la Constitution qui est la loi suprême de l’Etat, toute loi, tout texte réglementaire et acte administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet… », l’espoir reste encore permis que la conspiration du législatif contre la citoyenneté sera défaite par la synergie de l’exécutif et du judiciaire. Ce ne serait que justice !

Karamoko Mady Camara
Juriste- Consultant

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