Entamons notre propos par quelques définitions : Joseph Eugène STIGLITZ (prix Nobel d’économie, 2001), définit le capital humain comme « l’ensemble des compétences et de l’expérience accumulées qui ont pour effet de rendre les salariés plus productifs ».
Paul Anthony SAMUELSON (prix Nobel d’économie, 1969) et Nordhaus, rajoutent qu’il constitue le « stock de connaissance techniques et de qualifications caractérisant la force de travail d’une nation et résultant d’un investissement en éducation et en formation permanente ».
À quoi tient la croissance d’une économie ? Nous sommes nombreux à ne nous être jamais posé cette question. Alors pourquoi la croissance est-elle plus forte dans certaines économies ? Cette autre question est au cœur de la science économique et c’est précisément pour cette raison que la science économique est au cœur de la vie moderne. La plupart d’entre nous ne souhaitent-ils pas s’enrichir et voir leur pays faire de même, que ce soit par avidité pour les biens matériels ou parce que nous voulons créer un monde meilleur où chacun aurait accès à de bonnes écoles et à de bons hôpitaux ?
QU’EST-CE QUE LE CAPITAL HUMAIN ?
Pour comprendre les causes de la croissance, nous devons d’abord nous pencher sur les conditions de l’activité économique. Traditionnellement, les spécialistes définissent « quatre facteurs de production ». Le premier facteur, la terre, va de soi : sans elle, il est impossible de cultiver ou de jeter les fondations d’une ferme ou d’une usine. Le facteur travail (la main-d’œuvre) est à l’évidence tout aussi indispensable. Le troisième facteur est le capital, c’est-à-dire les actifs, généralement l’argent, nécessaires pour construire une usine et acquérir les machines qui la feront fonctionner. Enfin, le quatrième facteur est l’ « entreprise » ce que John Maynard KEYNES appelait les « esprits animaux », autrement dit l’esprit d’initiative qui permet de transformer une terre stérile en usine.
Revenons au facteur travail. À quelques exceptions près, les économistes envisageaient à l’origine les travailleurs comme une masse indistincte : pourvu qu’ils soient capables et désireux d’accomplir un travail physique, leurs savoirs et leurs compétences importaient peu. Adam Smith, un économiste écossais du XVIIIe siècle, était d’un autre avis : ce qui alimente l’activité économique, ce n’est pas la masse des travailleurs, mais « les talents utiles acquis par les habitants ou membres de la société ». Acquérir ces talents et ces compétences, ajoute-t-il, a un coût pour l’individu, mais une fois acquis, ils constituent « un capital fixé et réalisé pour ainsi dire dans sa personne ».
EXPLIQUER LA CROISSANCE
Ce faisant, les économistes essayaient de comprendre l’énigme que constitue la croissance. Les analystes classiques, influencés par Smith, pensent que la réponse réside dans la « main invisible ».
Selon Smith, dans une économie de marché, les individus recherchent leur intérêt personnel et utilisent les facteurs de production, les biens et les services de façon à obtenir le plus grand rendement possible. Ces efforts individuels se conjuguent à grande échelle pour agir comme une main invisible qui distribue les ressources économiques vers leur usage le plus productif.
Les « modèles économiques », conçus par des économistes contemporains tels que Robert SOLOW dans les années 50, permettent d’apporter des réponses plus fines et d’expliquer les relations entre les divers facteurs de croissance, par exemple entre le travail et le capital physique. À l’origine, ces modèles n’accordaient pas une grande importance à l’impact du niveau d’éducation ou de la qualité du travail sur la croissance économique. Mais les choses ont peu à peu changé et, depuis le début des années 60, on s’accorde de plus en plus sur le rôle crucial que les individus jouent dans la croissance économique en raison de leurs talents, de leurs connaissances et de leurs compétences autrement dit du CAPITAL HUMAIN.
Comme pour de nombreuses idées fondamentales, il est difficile d’attribuer la notion de capital humain à un seul auteur. L’économiste américain Théodore SCHULTZ est cependant l’un des premiers à l’avoir exposée. Dans un article publié en 1961, il observe que les économistes admettent depuis longtemps la part importante qui revient aux individus dans la richesse des nations. Nul ne le contesterait : après tout, les économistes ont toujours considéré le travail comme un des facteurs de la création de richesse économique.
Mais ce qu’ils sont moins disposés à reconnaître, poursuit SCHULTZ, c’est que les individus investissent consciemment dans leur personne pour améliorer leurs rendements économiques propres. Si quelqu’un étudie la médecine, ce n’est pas seulement dans le but de soigner les gens, c’est aussi parce que les médecins gagnent plus que les balayeurs ; et si un manager se forme à un nouveau système d’inventaire pour mettre à jour ses connaissances professionnelles, c’est également dans l’idée d’être promu et d’obtenir une augmentation de salaire.
Ces exemples ne sont pas de SCHULTZ, mais l’idée qui les sous-tend traduit bien sa pensée : l’investissement que les individus consacrent à leur personne, le plus souvent en améliorant leur niveau d’éducation, leur procure des bénéfices réels en matière de revenus et de bien-être personnels. De surcroît, affirme SCHULTZ, il existe un lien entre la qualité du capital humain, niveau d’éducation et de santé et, la croissance économique.
VALORISER L’ÉDUCATION
Le capital humain, la « qualité » de la population active n’est pas le seul facteur qui détermine la croissance économique. On relève en effet des rythmes de croissance très différents dans les pays où les niveaux de scolarité sont globalement similaires. Il existe donc d’autres explications, telles que la démographie (en particulier le ratio Jeunes/Vieux), l’innovation technologique, l’ouverture au commerce extérieur et les systèmes politique et législatif du pays.
Le rôle du capital humain dans la croissance économique est cependant important, il remonte au XIXe siècle et à l’essor de l’enseignement de masse. Mais la relation entre capital humain et croissance n’a rien d’univoque : elle repose plutôt sur des effets réciproques. L’enseignement permet aux individus d’exercer des emplois plus complexes et mieux rémunérés et, simultanément, l’existence de tels emplois les incite à poursuivre leurs études. Les heures ainsi passées à étudier sans être rémunéré se traduiront finalement par un emploi qui récompense ces efforts.
POSONS-NOUS LA QUESTION SUIVANTE : EST-CE L’ÉDUCATION QUI STIMULE LA CROISSANCE OU LA CROISSANCE QUI INCITE LES INDIVIDUS À « CONSOMMER » PLUS L’ÉDUCATION ?
Il est probable que la causalité joue dans les deux sens. De la même façon, les pays qui ont des niveaux d’éducation élevés tendent à s’enrichir et peuvent ainsi dépenser davantage pour accroître l’éducation. Cela rappelle l’histoire de l’œuf et de la poule, mais probablement en apparence seulement. Si l’existence d’une main-d’œuvre instruite favorise la croissance économique, son absence constitue à l’inverse un goulot d’étranglement.
LES BÉNÉFICES DE L’ÉDUCATION
Il y a deux façons d’envisager les bénéfices du capital humain : du point de vue de l’individu et du point de vue de l’économie nationale.
Les individus doivent comparer ces bénéfices, par exemple, des revenus plus élevés, avec les coûts initiaux d’acquisition de leur capital humain. Ces coûts comprennent les revenus dont ils se sont privés lorsqu’ils étudiaient, ainsi que le prix de leurs études, notamment les droits de scolarité, dans le secondaire comme à l’université, qui sont élevés dans certains pays. Les familles doivent parfois saigner aux quatre veines pour envoyer leur enfant à l’université, il arrive que les diplômés remboursent leur prêt étudiant plusieurs années encore après être entrés dans la vie active. Cet investissement finit habituellement par être rentabilisé. On peut du reste tirer des bénéfices économiques de l’éducation sans même suivre des études supérieures. Ainsi, un individu a plus de chances de trouver un emploi s’il achève sa scolarité secondaire que s’il s’arrête en fin de collège (il quitte l’école à environ 18 ans dans le premier cas, et à 15 ou 16 ans dans le second). Et les taux d’emploi sont encore plus élevés chez les diplômés de l’enseignement supérieur.
Pour simplifier quelque peu, la productivité représente la valeur économique de ce que produit une personne, une terre ou toute forme de capital. Et cette productivité supplémentaire contribue aussi à stimuler la croissance, ce qui nous amène aux bénéfices économiques plus larges de l’amélioration du capital humain. Même si les économistes reconnaissent depuis longtemps l’existence d’un lien entre éducation et croissance, il est difficile de calculer l’ampleur de cet impact sur l’économie.
DES BÉNÉFICES PLUS LARGES
Si le capital humain contribue à la croissance économique, il procure aussi d’autres bénéfices aux individus. Plus une personne a un niveau de scolarité élevé, plus elle est susceptible de faire du bénévolat pour des associations, par exemple, des associations de femmes ou de parents d’élèves et de professeurs, et moins elle risque de finir en prison. De plus, sa santé à toutes les chances d’être meilleure : elle fume moins (pour une femme moyenne, 1.1 fois moins de cigarettes par jour par année supplémentaire de scolarité) et fait plus d’exercice (17 minutes d’exercice de plus par semaine par année supplémentaire de scolarité).
Jouir d’une bonne santé peut même être considéré comme une composante du capital humain, quoique l’investissement dans la santé emprunte d’autres formes.
On pourrait dire que l’éducation a, dans une certaine mesure, empêché les jeunes de se retrouver sur le pavé. Pour être moins cynique, on sait depuis l’antiquité que les bénéfices de l’éducation sont bien plus vastes. Elle donne aux individus une instruction qui correspond à la société dans laquelle ils vivent et peut aussi leur ouvrir l’esprit à d’autres façons de penser. Comme l’écrit le poète W.B. Yeats : « Éduquer, ce n’est pas remplir un vase mais allumer un feu ».
CONCLUSION
LES GOUVERNEMENTS DOIVENT-ILS DÉPENSER DAVANTAGE POUR L’ÉDUCATION ?
« Oui, mais il s’agit aussi de mieux dépenser. Nous croyons aux chèques-éducation et à la concurrence dans le système éducatif. La question est de savoir si les dépenses sont efficaces et nous croyons que de vraies questions se posent sur la façon d’améliorer l’efficacité de ces dépenses, afin de parvenir à dépenser moins d’argent tout en obtenant plus de résultats. » Gary BECKER.
Nasser KEITA, PhD
Directeur du Laboratoire de Recherche Économique et Conseils (LAB-REC).