Pour ses premiers pas dans l’écriture, l’économiste Nasser Keïta jette un regard critique sur les différents programmes d’ajustement structurel que la République de Guinée a connus depuis 1986. Son ouvrage intitulé « Trente années d’ajustements structurels en Guinée », édité par la maison canado-allemande des Presses Académiques Francophones (PAF), n’est pas seulement un document de base rédigé par un expert de haut niveau et destiné aux historiens de la science économique ; il apporte une analyse originale de ce qui a constitué, pour un pays à la recherche de la prospérité, la charpente des différentes politiques économiques menées en Guinée après l’ère Sékou Touré.
Avant d’aborder le cœur du livre, Dr Nasser Keïta revisite les programmes économiques conduits par les différents gouvernements avant l’irruption des militaires en avril 1984, suite à un coup d’Etat. Avec une pointe de nostalgie, il rappelle les grandes ambitions de la France coloniale – et de son représentant d’alors, le gouverneur Rolland Pré – finalement brisées par le « non » de 1958 qui a radicalement changé le destin de la Guinée. Vexé par « l’affront » de Conakry, le Général de Gaulle a activement œuvré pour l’échec des nouveaux maîtres de la République de Guinée en rappelant brutalement les coopérants, en exerçant une pression diplomatique auprès des partenaires potentiels du pays, en désorganisant l’administration et en privant le pays des moyens financiers essentiels pour repartir sur de bonnes bases . « La Guinée vota « Non » à plus de 98% et demanda à la France de lui aménager des accords de coopération qui lui furent refusés pour « punir » le mauvais exemple ! Ce fut le début d’un embargo non déclaré et d’une guerre psychologique qui se traduisait en Guinée par des conséquences politiques assez désastreuses. La France impose son veto à l’adhésion de la Guinée aux Nations Unies, avant de le reconnaître définitivement en 1959 », souligne l’auteur.
Ainsi, plus tard, la politique économique élaborée par le Parti Démocratique de Guinée (PDG), avec les quatre plans concoctés par les autorités de l’époque, n’avait quasiment aucune chance de sortir le pays de la pauvreté. Dr Keïta passe au crible ces différents plans de développement en faisant un constat implacable : le volontarisme de leurs auteurs masquait mal l’insuffisance de leur préparation. C’est dans ces conditions qu’intervint le changement d’avril 1984, suite à la disparition du président Ahmed Sékou Touré.
Les difficultés de mener à bien le redressement du pays va jeter la Guinée et ses dirigeants militaires dans les bras du Fonds monétaire international (FMI) avec ses méthodes directives, en dépit d’un semblant de concertation entre le gouvernement guinéen et l’institution de Bretton Woods. L’auteur lève un coin du voile sur la préparation de qui va aboutir à la première phase de transition (1986-1988). Morceaux choisis :
« Les mesures préalables à mettre en œuvre visaient essentiellement une refonte des structures institutionnelles et un ajustement massif du taux de change officiel afin de l’aligner sur les cours du marché parallèle. Pour illustrer l’effet « coup de poing » voulu par le FMI, rappelons que la mission arrivée le 28 octobre 1984 à Conakry souhaitait une réponse sur les grandes orientations avant le 3 novembre et la prise des principales mesures dont la dévaluation avant le 15 novembre 1984.
Il est évident que le « paquet » proposé et livré par le FMI, derrière une vision très technicienne des problèmes, véhicule un choix idéologique et politique qui n’est pas neutre ; choix que bon nombre d’États, dont la Guinée en octobre, ne se sont pas résolus à faire.
Car dans ce cas précis, l’évidence du manque de préparation crève les yeux. Et le constat n’est pas anodin ; l’arrivée du FMI en Guinée dans les conditions aussi aléatoires qu’offre un régime d’exception ne plaidait pas du tout en faveur de la pertinence des « recommandations » de l’institution et, circonstance aggravante, c’est justement ce manque de préparation et de rigueur que le Fonds était censé corriger », assène Dr Keïta. Le ton est donné !
Point par point, les détails des différents programmes (y compris celui signé en 2012 et conclu en 2016, le seul de tous à avoir été bouclé) sont passés sous les fourches caudines d’un économiste qui a le mérite de présenter une vision claire et courageuse des faits tout en faisant montre d’une grande objectivité dans la critique.
Titulaire d’un PHD en économie, Nasser Keïta est l’un des rares économètres guinéens. Son admirable thèse intitulée « Les mécanismes de transmission de la politique monétaire en République de Guinée » a également été publiée par les éditions PAF.
Saliou SAMB