Censure

‘‘Les deux ministres limogés doivent répondre de leur responsabilité’’, dixit Abdoul Sacko, président du CROSC

Abdoul Sacko, le président du CROSC (Conseil national des organisations de la société civile de Conakry) a accordé un entretien à notre reporter, dans lequel il commente le décret limogeant les ministres Ibrahima Kourouma et Sékou Kourouma. Notre interlocuteur souhaite que ces deux cadres soient poursuivis en justice. Par ailleurs, Abdoul Sacko estime que tout Guinéen patriote doit éviter de parler d’un troisième mandat d’Alpha Condé.

  1. Sako bonjour. Quels sont les motifs qui vous ont poussé à demander le départ des deux ministres, à savoir Ibrahima Kourouma et Sékou Kourouma?

Abdoul Sacko : Nous avons estimé que le gouvernement de façon globale a manqué de responsabilité.  Mais les deux ministres en question ont été les artisans de la pagaille qui a provoqué la grève des enseignants. D’abord en premier lieu, ils ont minimisé la grève en faisant certaines manœuvres dilatoires à travers des congés inappropriés, qui ont été donnés avec les manières les plus fantaisistes et improvisées.

Nous avons pensé que cela n’a pas été très responsable pour qui connait vraiment, les années précédentes où la Guinée a été impactée par Ebola. Nos frères et sœurs, nos enfants ont perdu un bon moment, dû à Ebola. Nous avons pensé qu’au sortir d’Ebola, un gouvernement responsable n’allait jamais se permettre de donner des congés improvisés de la manière.

Deuxième niveau aussi de responsabilité, ces deux ministres ont eu 6 ans. Ces 6 ans les permettaient de recruter en tout cas des enseignants, pour combler le vide relatif au besoin d’enseignants dans les écoles. Alors la question que nous nous sommes posée, si ce n’était pas dans un ordre de pagaille, qu’est-ce qui empêchait ces ministres d’attendre la diffusion des résultats de leur fameux recrutement jusqu’au moment des vacances.

Donc, pourquoi faire en pleine année scolaire, s’ils avaient du respect pour les enfants guinéens, s’ils étaient soucieux du travail qui leur a été demandé en tant que ministres. Alors, c’est pour cela, nous avons pensé que le gouvernement de façon globale n’a pas abordé la situation avec responsabilité. Mais tout compte fait, les deux ministres sont les premiers coupables.

Aujourd’hui, les deux ministres ont été démis de leurs fonctions. Quel est votre point de vue ?

Par rapport à ce décret, nous nous réjouissons que nous soyons entendus en partie par le président de la République. Un bon président doit être à l’écoute de ses citoyens. Il ne fait pas de bras de fer avec la population, parce qu’il a été choisi par la population sur la base de la confiance.

Si toutefois, le président s’inquiète maintenant de l’appel des citoyens, c’est une bonne chose. Mais nous, notre appel va au-delà  de ce décret parce qu’en Guinée, l’impunité est maintenant devenue une règle.

Les gens pensent que maintenant, on peut faire n’importe quoi. Et les premières personnes qui sont censées de respecter l’autorité de l’Etat, de respecter la loi, sont celles qui sont aux commandes. Je vais parler des ministres, des directeurs,  s’il faut, tous ceux qui ont une portion de responsabilité dans le pays.

Si toutefois, le respect de la loi et de l’Etat, l’amour pour la République commence par ceux-ci, il est évident que les autres citoyens aussi emboitent leur pas. Alors, après ce décret, il faut que ces deux ministres répondent devant la justice, pour dire comment ils ont géré la crise, comment nous en sommes arrivés là.

Il faut qu’ils répondent de leur responsabilité, ça va permettre d’éviter certains dérapages parce que chacun va savoir désormais qu’on n’est pas permis de faire n’importe quoi. Ces ministres, s’ils étaient responsables, ils devaient démissionner d’eux-mêmes, de façon très libre.

Mais certainement, s’ils n’ont pas démissionné, c’est parce qu’ils cachent quelque chose. Il faut qu’ils rendent compte de leur gestion. Il faut qu’en Guinée, qu’on apprenne à rendre compte de notre gestion. Si tu as géré pendant une période donnée, que tu sois démissionnaire ou débarqué, il faut vraiment faire le point. Raison pour laquelle nous disons que le président a entendu notre appel en partie mais pas totalement.

Malheureusement cette grève a causé la mort de 8 personnes. Quel est votre sentiment ?

C’est quelque chose qui fait très mal. Même un Guinéen blessé, une goutte de sang d’un Guinéen est une goutte de trop, à plus forte raison la perte en vie humaine de 8 fils guinéens. Que pouvait être ces Guinéens pour la nation ?

Voilà là où la question se pose. Pourquoi en Guinée pour que l’Etat fléchisse, il faut qu’il y ait mort d’homme ? C’est là le problème. C’est pourquoi je dis, il faut que les gens répondent devant la justice. Il faut que les gens s’expliquent, les enlever ne suffit pas, pas eux seulement, tous ceux qui sont dans le dispositif. Il faut qu’on sache comment les Guinéens sont morts.

L’inquiétude est de taille aujourd’hui. Comment les Guinéens peuvent aller jusqu’à s’entre-attaquer, détruire le bien d’un autre Guinéen comme le cas de la station du rond-point de Bambéto. C’est inquiétant aujourd’hui. L’Etat ne doit pas banaliser ces faits parce que généralement, les conflits vont comme ça, de façon très latente, les frustrations s’accumulent.

L’Etat doit s’interroger sur chaque situation. Il doit évaluer chaque situation qui se passe dans le pays, n’importe quel mouvement. Mais si aujourd’hui à la suite de cela, nous continuons de déplacer les problèmes, c’est extrêmement grave. En tant que Guinéen, en tant qu’acteur de la société civile, nous pensons que l’Etat doit questionner chaque secteur, chaque entité, chaque partie impliquée dans ces grèves-là, pour savoir comment on en est venu là.

Qui a fait quoi pour que nous soyons là ? Qui n’a pas fait quoi pour que nous soyons là ? C’est très important. Ça va permettre d’éviter de déplacer les problèmes. Parce que dans ce pays, on déplace les problèmes au lieu de les résoudre. C’est pourquoi, les problèmes, il faut qu’on regarde au fond, on les diagnostique, on situe les responsabilités, on sanctionne positivement et négativement.

Il y a eu plusieurs morts par balle dans ce pays. L’opposition projette une marche pour dénoncer l’impunité. Qu’en pensez-vous ?

Je ne commente pas souvent les déclarations politiciennes. Mais tout ce qui reste clair, l’opposition est dans son plein droit. Nos lois donnent l’autorisation à chaque Guinéen de manifester, mais que cela soit dans les règles de l’art. Et que l’opposition prenne toute sa responsabilité pour que de son côté, tout ce qui est de leur responsabilité en tant que manifestants puissent répondre aux normes et aux lois. Et il revient à l’Etat également de prendre des responsabilités qui permettent aux citoyens, qu’il soit politique ou civil qui ne soit pas dans l’exercice politique d’exprimer sa volonté dans la sécurité non seulement du manifestant, mais aussi en préservant la sécurité de cet autre qui ne manifeste pas.

Le CROSC va-t-il se joindre à l’opposition pour cette manifestation ?

C’est vrai, je suis président du CROSC, mais nous sommes organisés. Pour certaine décision, il ne m’est pas permis de prendre de position, sans pour autant échanger avec mes pairs du bureau élargi s’il faut à nos démembrements et certaines structures. C’est seulement dans ce cadre-là, qu’on puisse prendre une position. Mais une fois encore, je dis, l’opposition est dans son plein droit.

Quelle appréciation faites-vous de la désignation du président de la République à la tête de l’UA ?

Nous apprécions cela en tant que Guinéen, si toutefois la Guinée fait l’offensive diplomatique à l’internationale, au point que la Guinée puisse être à travers le président de la République, le président en exercice de l’Union Africaine. C’est quelque chose qui est salutaire. Nous saluons bien cette offensive diplomatique du président au niveau de la sous-région, au niveau du continent. Mais nous souhaiterions aussi qu’il y ait une sorte d’harmonie entre cette offensive diplomatique à l’internationale et les actes posés dans le pays pour ramener les Guinéens à voir dans le même sens, à être respectueux de l’autorité de l’Etat, à établir la confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Si toutefois le président parvient à créer de l’adéquation entre cette offensive diplomatique à l’internationale et le rétablissement de la confiance entre sa gouvernance et les citoyens dans le pays, nous allons être encore de plus fiers en tant que Guinéen.

Un front élargi à la société civile sera mis en place pour contrecarrer une éventuelle candidature d’Alpha Condé, a annoncé l’opposition. Vous êtes partant pour cette proposition ?

Je veux simplement dire à tous ceux qui aiment le Pr. Alpha Condé et à tous ceux qui aiment le pays de ne pas rêver à plus forte raison s’aventurer dans une dynamique de troisième mandat, d’éviter de nous amener vers une aventure de 3ème mandat.

Entretien réalisé par Amadou Sadjo Diallo

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