Le président guinéen, Alpha Condé, a été élu en début d’année à la présidence tournante de l’Union africaine (UA), où il succède au Tchadien Idriss Déby Itno. De passage à Paris, où il effectuait une visite d’Etat, ce panafricaniste convaincu présente les réformes qu’il entend mener à la tête de l’organisation continentale, axées autour d’une plus grande intégration politique et économique de l’Afrique et d’une autonomisation vis-à-vis des anciens colonisateurs et des grandes puissances.
Votre arrivée à la présidence de l’UA coïncide avec le retour du Maroc dans cette organisation, après trente-deux ans d’absence. Comment l’UA a-t-elle digéré cet événement ?
Alpha Condé Sans problème, malgré la question liée à la présence de la République arabe sahraouie démocratique [RASD]. N’oublions pas que le Maroc a été admis par consensus. Surtout, il y a des problèmes autrement importants, à l’échelle du continent, qui ne peuvent pas nous diviser : la pauvreté, l’immigration, le climat, l’énergie… Non seulement l’adhésion du Maroc n’a pas fait éclater l’UA, mais elle l’a renforcée.
Quelles propositions avez-vous pour faire avancer le dossier de la RASD ?
Le problème est entre les mains des Nations unies. Les initiatives que nous prendrons ne seront pas mises sur la scène publique.
Quelles sont vos priorités à la tête de l’UA ?
Des changements fondamentaux ont été adoptés lors des sommets de Kigali [en juillet 2016] et d’Addis-Abeba [en janvier 2017] pour améliorer le fonctionnement de l’UA et impulser son évolution. L’Afrique avance quand elle parle d’une seule voix. Pour cela, il faut mener jusqu’au bout les réformes préconisées par le président rwandais, Paul Kagamé, lors du sommet d’Addis-Abeba. Autrement dit : amener tous les Etats à tenir leurs engagements, à savoir payer leur contribution à l’UA, équivalant à 0,2 % de leurs exportations, pour rendre le fonctionnement de l’UA autonome.
Il s’agira également de mettre en pratique le mot d’ordre lancé en faveur de la jeunesse, de rendre opérationnel le passeport africain, au moins pour les passeports diplomatiques, de développer le commerce intra-africain grâce à la zone de libre-échange, d’intégrer la diaspora comme sixième région [aux côtés des cinq organisations sous-régionales déjà existantes] dans le fonctionnement de l’UA. Et surtout, c’est fondamental, faire en sorte que l’Union européenne tienne ses promesses concernant les 10 gigawatts pour 2016-2020. Enfin, nous devons rendre l’UA plus présente pour la population. Il faut que les Africains sentent que l’on existe, que les chefs d’Etat africains montrent que l’UA est importante.
Mais la philosophie générale est que les Africains règlent eux-mêmes leurs problèmes, à commencer par la Libye et le terrorisme. Nous allons mettre des moyens militaires à disposition des Etats africains pour que, désormais, ils luttent contre le terrorisme et coupent ce problème à la racine en luttant contre la pauvreté, l’injustice… Idem pour l’immigration. Nous perdons nos enfants dans la Méditerranée et pendant ce temps, en Europe, le phénomène migratoire fait le jeu des populistes. Il faut donc assurer le développement de l’Afrique en transformant nos matières premières sur place afin de donner du travail à la jeunesse africaine.
Bâtir l’unité africaine, lutter contre l’immigration, l’insécurité et la pauvreté… Ce n’est pas nouveau. Pourquoi cela marcherait-il aujourd’hui ?
On ne s’en était pas donné les moyens. Il y a une prise de conscience de la nécessité de développer le commerce intra-africain et l’intégration économique. On ne pouvait rien faire sans indépendance financière, or le budget de l’UA dépendait en grande partie de l’étranger. C’est pourquoi nous avons décidé de financer nous-mêmes notre organisation. Les « 0,2 % » dépassent les besoins de financement de l’UA, le reste sera déposé à la Banque africaine de développement [BAD]. Il faut ajouter les réformes de fonctionnement. Paul Kagamé a noté que l’UA a voté 1 500 résolutions qui sont restées lettres mortes. Maintenant, on ne prendra que celles qui pourront être mises en pratique et elles feront l’objet d’un suivi.
Et puis, il existe une volonté politique. Nous ne voulons plus que les problèmes africains soient réglés en dehors de nous. Que les autres nous accompagnent, d’accord, mais pas que l’on nous dicte notre conduite. Le cas de la Gambie est un bon exemple. Nous avons réglé la situation sans ingérence. Tous les problèmes que nous avons sont liés à l’ingérence étrangère. Il faut couper le cordon ombilical. C’est-à-dire que nos relations avec la France, ou avec les autres pays, doivent être entre pays souverains, d’Etat à Etat, pour des intérêts réciproques.
La résolution de la crise gambienne montre aussi qu’un dirigeant ne respectant pas les valeurs démocratiques bénéficie au final d’une totale impunité…
La question est de savoir si l’on veut régler les problèmes africains en privilégiant l’avenir des peuples africains ou si l’on doit se laisser dicter des décisions de l’extérieur. Nous sommes tous contre l’impunité. Est-ce que nous privilégions la résolution pacifique des problèmes qui rassure tout le monde ou est-ce que nous voulons faire plaisir aux ONG occidentales ? Nous voulons privilégier le développement de l’Afrique et les intérêts des peuples africains, et plus qu’on nous dicte ce que nous devons faire…
Les populations africaines se fichent de la question de l’impunité de leurs dirigeants ?
Non, et c’est pourquoi nous réfléchissons à la création d’un tribunal africain. Mais encore une fois, ce qui est fondamental, c’est de résoudre les problèmes de façon paisible et pacifique. Et si on parle d’impunité, je crois qu’il y a dans le monde beaucoup d’exemples pires qu’en Afrique mais dont on ne parle pas. Beaucoup d’autres massacrent leur peuple en toute impunité. C’est ce constat qui guide aussi notre réflexion sur la Cour pénale internationale [CPI]. Est-ce seulement en Afrique qu’on massacre les gens ? Certains pays tentent de nous imposer des choses alors qu’ils n’ont jamais signé le traité de Rome et échappent donc à la CPI.
Comment votre pays, la Guinée, se relève-t-il de l’épidémie d’Ebola ?
Nous en avons beaucoup souffert mais, en 2016, la croissance économique a atteint 6 % et nous espérons une croissance à deux chiffres à partir de 2018. Les hôtels de Conakry sont fréquentés par des investisseurs français, africains, asiatiques, sud-américains… Nous créons une zone de développement économique, nous fabriquons des logements sociaux, des barrages. il y a des projets routiers, d’alimentation d’eau… Les investisseurs commencent à revenir et nous travaillons notre plan de développement 2016-2020, pour lequel il y aura une réunion en septembre avec nos bailleurs de fonds. Si nous voulons des investissements, il faut proposer des projets concrets.
Qu’attendez-vous du prochain président français ?
J’en attends une coopération entre Etats majeurs qui discutent d’égal à égal, et pas une relation de tutelle.
Ce qui est le cas actuellement ?
Voyez la Libye ! C’est nous qui en payons les conséquences, pourtant nous avions prévenu. La Libye est aujourd’hui un cancer pour l’Afrique, un pays sans Etat, où prolifèrent les armes et le terrorisme… C’est ce dont nous ne voulons plus. Nous en avons assez de cette vision dogmatique de l’Afrique où l’on confond tout le monde, les présidents qui gèrent bien ou mal leur pays. Comme si l’Afrique n’était qu’un seul pays ! L’Afrique doit défendre ses intérêts. Plus elle sera unie, plus nous serons forts. C’est pourquoi l’intégration économique et la solidarité africaine sont fondamentales.