C ’est un gros pavé que l’ONU vient de jeter dans la mare de l’ex-CNDD. Alors que le débat sur les responsabilités des ténors de l’ex-junte militaire fait rage depuis la sortie médiatique du Général Konaté, les Nations Unies viennent, dans un rapport, de mettre en lumière les rôles des acteurs-clés (civils et militaires) dans le pogrom perpétré en septembre 2009, au stade de Conakry. Le rapport a été remis au Secrétariat Général des Nations Unies, en décembre 2009, soit 3 mois après le massacre. Jusque-là sous scellé, le document a vraisemblablement fuité vers l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique qui l’a automatiquement mis sur la place publique. L’organisation mondiale y dresse une liste de personnalités impliquées à différentes échelles de gravité dans le massacre. Fait non anodin, le document a fuité au même moment où une délégation de la CPI séjournait à Conakry.
Faut-il y voir une coïncidence ? Il reste que depuis l’extradition de Toumba Diakité en Guinée, des acteurs de l’exjunte, avec une frénésie sans précédent, continuent de s’humilier dans des actes d’accusations réciproques. Sekouba Konaté, par exemple, dans une de ses sorties tonitruantes, jouait à fond la carte de la dénonciation en accusant pêle-mêle Isto Keira, Baïdy Aribot, Tiegboro… Sauf que, 48 heures après ces révélations, coup de théâtre : le Général « en attente » s’est subitement rebiffé. Niant avoir tenu de telles énormités, il jetait du coup en pâture à l’opinion le journaliste qu’il avait longuement supplié la veille de l’interviewer. Que dit le rapport de l’ONU ?
Certains personnages-clés de la junte ont des responsabilités à divers degrés dans ce massacre de masse. D’autres, jusqu’ici hors de soupçon, y sont mentionnés. Par exemple, Isto Keita, dont l’implication supposée a fait l’objet de passe d’armes avec le Général Konaté, y est abondamment cité. Autre personnage inattendu, la Directrice de l’hôpital Donka. Mais pour sérieuses qu’elles soient, ces révélations ne sont que le résultat d’enquêtes d’une commission mandatée par l’ONU. Elles ne sauraient donc être substituées aux enquêtes de la justice guinéenne qui, seule, peut et doit situer en dernière instance, les vrais coupables. Quitte à les trimbaler vers la Cour pénale internationale. Nous vous proposons de larges extraits du rapport.
RESPONSABILITÉS INDIVIDUELLES POUR VIOLATIONS DU DROIT PÉNAL INTERNATIONAL
La détermination finale de la responsabilité pénale individuelle relève exclusivement de la compétence d’une cour de justice. Toutefois, le mandat de la Commission lui impose d’établir des responsabilités et, dans la mesure du possible, d’identifier les auteurs des crimes commis. Dans la présente section, la Commission présente son analyse de la responsabilité pénale individuelle des auteurs présumés cités au chapitre Il (…). Les informations contenues dans ce rapport peuvent servir à guider une éventuelle enquête pénale qui pourrait être menée sur les auteurs présumés des violations des droits de 1 ‘homme qui ont eu lieu au stade le 28 septembre 2009 et les jours suivants. (…) Il existe deux formes principales de responsabilités, alternatives, selon lesquelles un individu peut être rendu pé- nalement responsable de violations du droit pénal international : la responsabilité directe et la responsabilité indirecte ou responsabilité du chef militaire ou supérieur hiérarchique. (…)La responsabilité directe prévaut lorsqu’un individu commet (individuellement, conjointement avec ou par l’intermé- diaire d’une autre personne), ordonne, sollicite, favorise, aide et encourage ou alors assiste dans la commission ou fournit les moyens pour la commission de crimes, ou contribue intentionnellement à la commission d’un crime par un groupe de personnes ayant un objectif criminel commun. Cette contribution intentionnelle doit viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce dessein comporte l’exécution d’un crime international ou si cette contribution intentionnelle est faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre un tel crime. (…) La responsabilité indirecte ou de commandement prévaut quand un supérieur ou chef possède un contrôle effectif sur les individus ou les forces sous son commandement ou autorité, quand cet individu savait ou « aurait dû savoir » que les forces sous son contrôle « commettaient » ou « étaient sur le point de commettre de tels crimes » et quand ce chef ou supérieur « n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir pour prévenir ou empêcher leur commission ou pour soumettre le problème aux autorités compétentes pour enquête et poursuite» . (…) La Commission conclut qu’il existe des motifs raisonnables de présumer, en relation avec les événements du 28 septembre 2009 et des jours suivants, une responsabilité pénale individuelle des personnes suivantes: a) le Président, capitaine Moussa Dadis Camara ; b) le lieutenant Aboubacar Chérif Diakité (dit Toumba), aide de camp du Président et chef de sa garde rapprochée; c) le commandant Moussa Tiégboro Camara, Ministre chargé des services spéciaux, de lutte anti-drogue et du grand banditisme.(…).
Galerie de portraits des présumés responsables du 29 septembre
Moussa Dadis Camara
L’art d’entrer dans l’Histoire par effraction
Il rêvait de donner à la Guinée, en forte déliquescence depuis la mort du Général Conté, des attributs dignes d’un État ; mais il n’aura réussi qu’à la faire effondrer. Pour mieux caricaturer, il y a cette boutade du Pr Alpha Condé à sa prise de pouvoir : « J’ai hérité d’un pays, non d’un Etat », répétait le président Condé à tous ses visiteurs. Dadis Camara incarnait à lui seul tout ce que la nation compte de demagogues, nostalgiques d’une Guinée des années 70. Revanchard et anti-impérialiste exubérant, c’était un gros admirateur de feu Thomas Sankara. Le Capitaine Dadis a donné son pays en spectacle à l’opinion mondiale, à coups de bouffonneries. Alternant coups de gueule contre ses collaborateurs et diatribes contre l’Occident.
Ancien président du CNDD, Chef de l’Etat et Commandant en chef des Armées, la responsabilité de Moussa Dadis Camara dans le massacre ne fait, logiquement, l’ombre d’aucune controverse ; même si l’ex-N° 1 de la transition continue d’instrumentaliser la polémique sur son cas par presse et réseaux de lobbyistes interposés. «En tant que commandant en chef des Forces armées, le Président Camara a l’ultime pouvoir de commandement sur toutes les forces de sécurité engagées (…). La Guinée est (…) sous le contrôle d’un Gouvernement militaire qui a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Le Gouvernement est intégré dans une structure hiérarchique militaire, avec le Président en position de commandant suprême. (…).» Conclusion de la Commission d’enquêtes : « Il existe des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du Président Moussa Dadis Carnara, voire une responsabilité de commandement, pour les faits qui se sont produits dans le contexte de l’attaque et les jours suivants. »
Toumba Diakité
L’homme par qui la parenthèse militaire a été refermée
Dans le carré d’As des ténors les plus en vue du CNDD, Toumba Diakité restera (devant Dadis, Konaté et Tiégboro) la grande énigme à déchiffrer. Toumba n’était pas la figure de proue certes, mais il restera le symbole emblématique d’un régime qui cristallisait haine, méfiance et rejet. L’énigme Toumba tient tout à la fois du mystère, voire du mystique, et de la brutalité qu’il répandait. Sa disparition rocambolesque – qu’on dit mystique – après avoir attenté à la vie de son ex-patron accrédite l’idée. On le voit bien, que l’ancien garde du corps de Dadis, friand d’amulettes et de magie noire, reste un personnage mystérieux. Alors que tous les témoignages insistent sur sa présence au stade, baïonnette à la main et donnant des injonctions à des hordes de milices déchainées, Toumba, lui, soutient le contraire. Pour l’ONU, « La responsabilité pénale directe du lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité (dit Toumba), (s’établit aisément en raison) de sa responsabilité de commandement, pour les faits qui se sont produits dans le contexte de l’attaque du 28 septembre et les jours suivants. » Pour ces faits, le rapport supporte « qu’il existe une présomption suffisante de responsabilité pénale directe du lieutenant Toumba dans les crimes commis lors des événements du 28 septembre et des jours suivants. »
Toto Camara
L’homme qui se rêvait Président
Numéro 2 du CNDD, et patron de la Police, le général Mamadouba Toto Camara offrait l’image de l’officier discret et effacé jamais repu de pouvoir. Rarement en porte-à-faux avec les idées générales. Même si contre mauvaise fortune, il faisait bon cœur, lui l’officier bon teint, instruit et formé dans les meilleures académies. Toto voulait être président, avant de reculer devant le chaos ambiant créé par de jeunes militaires fougueux. Ces derniers lui ont préféré d’ailleurs un des leurs, plus jeune. En réalité, pour avoir longtemps flirté avec le pouvoir de Lansana Conté – dont on dit affectivement proche -, et pratiqué ses arcanes, Général Toto était pétri de ruse et attendait sans doute son heure. Pour l’ONU, le patron de la Sécurité ne saurait être ignorant de l’implication de ses hommes aux violences: « Le Ministre de la Sécurité publique, le général de division Mamadouba Toto Camara, ainsi que les cadres de la Police nationale, en particulier en ce qui concerne l’implication de la police dans les événements.»
Claude Pivi alias Coplan
Le ‘‘Dur à cuire’’
Autre prouesse, celle du capitaine Claude Pivi alias Coplan. A la faveur de la présidentielle de 2010, il a réussi à s’infiltrer dans l’escarcelle du pouvoir, s’attirant les bonnes grâces de la République. Même s’il détient un blanc-seing provisoire qui l’éloigne des projecteurs de la justice, le Capitaine Pivi sait qu’il passera à la trappe de l’appareil judiciaire. Le garde des Sceaux a d’ailleurs prévenu : « Tous … tous seront mis en congé pour répondre à la justice ». Pivi continuera-t-il de bénéficier de la mansuétude du pouvoir, pour se soustraire d’une interpellation du tribunal ? En raison de son poste assez stratégique dans l’appareil sécuritaire présidentiel d’alors et sa position dans la hiérarchie militaire (Ministre de la sécurité présidentielle), aucun argument ne peut disculper ce fidèle d’entre les fidèles de Dadis d’avoir été ‘‘renseigné’’ sur le massacre en cours de planification. Même s’il tend à se disculper, le jugement de l’Onu, à son égard, est sans appel : « Suivant la hiérarchie officielle et conformément à ce qui a été rapporté à la Commission, le capitaine Pivi est le supérieur hiérarchique du lieutenant Toumba dont les subordonnés font partie de la sécurité présidentielle, placée sous le commandement de Pivi ». L’Onu nuance cependant : « Leur rôle et leur degré exact d’implication dans les événements du 28 septembre et des jours suivants devraient être examinés dans le cadre d’une enquête judiciaire. »
Fodéba Isto Keira
L’éboueur du stade du 28 septembre
Il a refusé de démissionner du Gouvernement, au contraire de nombre de cadres de sa génération, aux lendemains du massacre. Cette attitude avait en son temps suscité de nombreuses interrogations au sein de la couche juvénile. Pour cet ami des jeunes, grand organi-sateur d’événements horspairs qui aimait faire la fête, l’attitude était inconcevable. L’ex-organisateur de soirées récréatives, bombardé ministre par un Dadis plus que nostalgique était jusque-là absent des répertoires officiels des tueurs. L’ONU vient de lever le voile sur cet ancien Ministre de la jeunesse et du sport. Son implication, selon le document, est en relation avec le nettoyage du stade et la destruction subséquente des preuves du massacre.
Fatou Sikhe Camara
Ou comment violer le Serment d’Hippocrate ?
L ’actuelle directrice de l’hôpital Donka, confirmée à ce poste dès après l’avènement de la troisième République est nommément citée dans le rapport Onusien. Il lui est reproché, entre autres, d’avoir ignoré le Serment d’Hippocrate et, selon l’ONU« en relation avec la prise de contrôle militaire de son hôpital, à diverses dissimulations des faits médicaux des cadres civils du CNDD en particulier en relation avec la dissimulation des faits. »
Colonel Chérif Diaby
L’illustre inconnu
Ministre de la Santé sous la junte, le colonel Chérif Diaby est aussi nommément cité dans le rapport d’experts, qui lui attribue une éventuelle responsabilité pénale directe, voire aussi une responsabilité de commandement. La Commission d’enquêtes a admis « que les traitements médicaux et l’accès aux soins ont été refusés aux victimes blessées, et qu’il y a eu de surcroît manipulation de la documentation médicale pour dissimuler l’origine des blessures et des décès. » Faits graves s’ils étaient confirmés, après enquêtes judiciaires, l’ONU avance que : « Le ministre de la Santé a été vu à l’hôpital alors qu’il agressait verbalement le personnel soignant, leur demandant « qui vous a donné l’ordre de soigner ces gens? », donnant un coup de pied à un blessé, fermant la pharmacie et confisquant les médicaments sur les patients qui en ressortaient. »
Général Sékouba Konaté
L’héritier parricide
C ’est l’homme par qui la controverse sur les rôles et responsabilités des ténors de l’ex-junte dans le massacres a pris corps. Depuis l’extradition de Toumba, Konaté, le Général « en attente », a cru bon de sortir de sa réserve pour porter, le premier, l’estocade à ses anciens amis. Dans un discours à l’emporte-pièce, haché, l’ex-homme fort de la junte dénonçait certains de ses anciens collaborateurs de responsabilités graves dans le massacre. Mais l’homme est connu pour ses revirements. 48 heures plus tard, face au tollé suscité par sa sortie retentissante et la rage de ses anciens alliés, le Général a cru bon de jeter l’éponge. Soupçonnant quelques mains rancunières derrière la diffusion des extraits sonores de sa propre sortie. Absent de Conakry au moment des faits, Sékouba Konaté a, disent les mauvaises langues, précipité la mise à mort du CNDD. Dès son retour à Conakry, il s’est livré à un violent réquisitoire contre son ex-ami Dadis, l’accusant ouvertement d’avoir trahi les idéaux originels du CNDD. Mais l’homme est connu pour son opportunisme, surtout, disent ses détracteurs, pour ses frasques légendaires. En raison de son ascendance accrue sur ses ‘‘gendarmes’’, et en sa qualité de ministre en charge de la Défense, Konaté ne peut récuser les accusations l’impliquant, via ses troupes dans les tueries, le déplacement des cadavres, et dans les autres événements qui ont eu lieu dans les camps de Samory Touré et de Koundara. Mais le rapport de l’ONU veut bien croire que seule « une enquête approfondie sera nécessaire pour déterminer le degré de leur implication et d’envisager une responsabilité individuelle découlant de leurs actions. »
Source : Le Populaire