En Guinée, on le pense, la négation de soi et de l’autre est un exutoire. Ici, on pense qu’il faut se nier pour défendre l’unité nationale, pour être un citoyen model.
Ceux qui se font les chantres de la citoyenneté, se fourvoient. Absence de pédagogie oblige ! Quid de mauvaise compréhension de la question de citoyenneté ? Sinon, comment le Ministre de l’Unité nationale et de Citoyenneté peut-il oser déclarer : «La citoyenneté veut dire qu’il n’y a pas de communautés, ni d’ethnies en Guinée. Il n’y a que des Guinéens, il n’y a pas de soussou ; ni de peulh, ni de malinké ni de Kissi, etc. Il n’y a même pas parfois d’hommes ou de femmes parce que les hommes et les femmes ont les mêmes droits aux yeux de la loi ?»
Notre société scotomise, nie l’évidence, se nie et se ment. Comment peut-on enseigner aux enfants que la citoyenneté veut dire qu’on n’est pas ce qu’on est et doit être un autre ? Est-ce que s’assumer, assumer son identité culturelle est anti-citoyen ? Est-ce qu’être de telle ethnie veut dire qu’on est supérieur à l’autre ou qu’on doit avoir plus de droits que lui ou sinon qu’on en a moins ?
On n’a pas le courage d’attaquer frontalement nos maux. Nos inconséquences et négations du fait historique ont encore raison de nous. On pense ainsi que la meilleure façon de résoudre la problématique de l’ethnocentrisme est de se nier et de nier l’autre pour promouvoir une autre identité factice. De l’erreur de compréhension due à notre refus de nous assumer, l’erreur d’analyse a triomphé de nous. Débordés par les problèmes causés par notre manque de courage, aujourd’hui, on se nie et l’on veut enseigner aux enfants des notions qui feront, sans nul doute, d’eux des adultes manqués, des mauvais citoyens.
A Monsieur le Ministre, je dis : on ne peut défendre l’unité nationale ou enseigner la citoyenneté en niant l’ethnie. Nier l’ethnie, c’est nier la richesse culturelle qui va avec et c’est appauvrir la Guinée. Se nier, nier l’autre, conduit à l’impasse. S’affirmer, c’est montrer son identité, pas sa supériorité ou son infériorité : c’est faire comprendre aux autres membres de la société le sens de l’altérité.
Dire que je suis de telle ethnie, n’est pas ethnocentriste. Mais dire que mon ethnie est supérieure, ou même l’insinuer, à une autre, c’est cela la mauvaise démarche à condamner. Juger les autres à l’aune de mes valeurs culturelles, en faisant montre d’un nombrilisme ethnique, voilà l’ethnocentrisme à combattre.
Dire que je suis d’une telle ethnie, revêt deux aspects fondamentaux : informatif et performatif. L’aspect informatif est que je dis aux autres, de la Guinée, d’ailleurs, au monde tout entier ce que je suis et ce que je ne suis pas. Je leur dis aussi, implicitement, qu’ils existent d’autres entités ethniques, d’autres groupements humains et que j’appartiens et vis dans une société de diversité et de richesse. L’aspect performatif est que je conditionne en bien le comportement des autres. Car par ma communication, j’exhorte les autres à la reconnaissance de la différence, à son respect et à sa valorisation.
A Monsieur le Ministre : peut-on tolérer une différence qu’on ne reconnaît pas ? Qu’on nie ? Votre communication est dangereuse et je la condamne. Elle conduit à l’intolérance. Et je crois, comme moi, vous condamnez l’intolérance.
L’unité nationale ne peut pas être vraie, la citoyenneté non plus, si l’on ne promeut l’identité ethnique ; lorsqu’on se nie, nie l’autre. Les deux notions ne seront bien enracinées dans nos esprits et dans nos comportements que lorsqu’on aura enseigné que s’assumer, assumer son ethnie n’est pas un crime et qu’on est ni inférieur ni supérieur aux autres, mais qu’on est leur complément. Et, qu’on a les mêmes droits et devoirs. Mais est-il que l’Etat prouve à tous que tous les Guinéens ont les mêmes droits. Sinon que de vaines paroles !
Je suis ce que suis parce que je ne suis pas l’autre, cet autre n’est ni moi, ni le néant. Il me permet d’être, en voulant me définir, il se définit lui-même. Il est mon miroir à travers lequel je sens ma singularité, ma richesse. Il n’est ni mon ennemi, ni mon adversaire mais un fragment de notre richesse collective.
En me niant, je fais l’imbécile. En niant les autres, je m’appauvris, j’appauvris l’ensemble de la société car l’autre est un éternel révélateur. Sans l’altérité, il n’y a ni moi, ni vous.
On doit enseigner cela partout, que s’accepter n’est pas un problème, une erreur, un crime à condamner. Ce qu’on doit répudier des crânes est cette bêtise selon laquelle : une telle communauté serait supérieure à une autre et que telle autre est plus civilisée qu’une autre. Cela demande de la pédagogie. Pour l’heure vous en manquez, acceptez-le ! Vous voulez faire des citoyens à galop de cheval, en une semaine. Quelle gageure ! Vous avez le droit de vous nier, mais n’enseignez pas cela à nos frères et sœurs, ce n’est pas cela la citoyenneté ! Du moins, ce n’est pas notre entendement républicain du concept.
Commencez à enseigner à vos collègues ministres que la citoyenneté, c’est dire : la vérité, que le pays se porte mal. Que Conakry est sale et que le gouvernement guinéen est autiste, arrogant et n’écoute personne, ne prête l’oreille à aucune idée salutaire. Que la citoyenneté, c’est de ne pas conduire à contresens et forcer la circulation par le truchement des sirènes. Enfin, votre gouvernement peut-il enseigner la citoyenneté ? Votre institution est un gadget politique et la morale n’est pas le fort de votre gouvernement.
Les exemples prosaïques valent mieux que les discours creux. Ne vous fourvoyez pas pour autant. On ne fera pas des citoyens en une semaine. La paix n’est pas un vain mot, mais un comportement. La tolérance ne se prêche pas, mais se cultive. On ne devient pas tolérant en se niant et en niant les autres. Les questions d’unité nationale et de citoyenneté sont transversales et requièrent des approches holistiques.
Ibrahima SANOH,
Ecrivain et auteur,
Citoyen guinéen.