Censure

La chronique de Mamadou Dian Baldé/Curée anti-Bolloré, la classe politique joue la prudence

Le directeur de publication de L’Indépendant-Le Démocrate, Mamadou Dian Baldé a consacré sa chronique de ce  dimanche, à la mise en examen de l’homme d’affaires français Vincent Bolloré pour des faits de « corruption ». Avec la prudence affichée par nos politiques, dans la curée anti-Bolloré. L’interpellation de Mohamed Touré, leader du Pdg-Rda, a été aussi passée au crible dans cette chronique. Chronique qui vous est servie tous les dimanches sur City fm, en avant-première de l’émission « A vous de convaincre ».   

Talibé Barry: Mamadou Dian Baldé, votre chronique d’aujourd’hui est intitulée ‘’curée anti-Bolloré, la classe politique joue la prudence’’. L’affaire Bolloré est justement un cas épineux. En quoi est-ce que la classe politique joue-t-elle la prudence dans cette affaire ? 

Mamadou Dian Baldé : On voit que la  classe politique guinéenne se garde de prendre part à la curée anti-Bolloré, après la mise en examen de l’homme d’affaires français, par la justice de son pays, pour ‘’corruption d’agent public étranger’’, ‘’complicité d’abus de confiance’’ et ‘’faux et usage de faux’’. Craignant sans doute de se mettre à dos le patron de l’empire Bolloré, qui est un dur à cuire. Dont l’influence s’étend au-delà du monde des affaires sur le continent.

N’est-il pas d’ailleurs rattrapé par ses accointances avec les chefs d’État guinéen et togolais ! Selon les enquêteurs, Faure Gnassingbé et Alpha Condé auraient ‘’bénéficié des conseils en communication de l’agence Havas, filiale du groupe Bolloré, alors qu’ils se présentaient à la présidentielle en 2010’’. Des prestations ‘’sous facturées’’ dont la note a été réglée par l’entreprise SDV, devenue depuis 2015 Bolloré Logistics.

En clair, on soupçonne Vincent Bolloré d’avoir favorisé l’élection des présidents togolais et guinéen. Ce que le milliardaire dément, d’après nos confrères du journal le Monde.

L’opposition guinéenne qui est prompte à jouer les profondeurs anti-corruption, en pareils cas, fait preuve de prudence dans ce dossier. De peur certainement de se frotter à M. Bolloré et de s’y piquer. Quand on sait que l’industriel breton a la réputation de ne pas faire dans la demi-mesure, dans tout ce qu’il entreprend.

Vincent fait même ‘’peur aux journalistes’’.

On se souvient encore de son bras de fer judiciaire avec France 2, qu’il avait attaqué en diffamation, après la diffusion de l’émission ‘’complément d’enquête’’, qui levait un coin du voile sur ses affaires africaines.

À Conakry, ceux qui se hasardent à commenter cette affaire, le font à mots couverts. C’est le cas du chef de file de l’opposition. Cellou Dalein Diallo a, dans un entretien accordé à RFI, déclaré que « M. Alpha Condé avait assuré, en disant que c’est son ami et qu’il préférait ses amis. Parlant de l’attribution de la convention portuaire au groupe Bolloré, au détriment de Getma International. Mais, malheureusement, c’est la même pratique qui continue, maintenant qu’il est au pouvoir, avec l’octroi des grands marchés à ses amis. Il n’y a jamais eu d’appel d’offres », déplore l’opposant.

Dr Ousmane Kaba, leader du parti Pades qui, au moment des faits, faisait partie du cercle des intimes du président guinéen  en 2011, et qui a viré depuis, dans l’opposition, lui, invoque le principe de présomption d’innocence.

Pour cet ancien fonctionnaire du FMI, il revient à la justice française de faire la lumière sur cette affaire.

Dr Fodé Oussou Fofana, une autre tête d’affiche de l’opposition guinéenne, président des Libéraux Démocrates à l’assemblée nationale, exige pour sa part une enquête parlementaire sur cet épineux dossier.

Même s’il faut s’attendre à ce que la procédure qui s’ouvrirait au niveau du parlement, finisse par faire flop. Vu le surnombre des députés de la majorité présidentielle, dont l’obséquiosité à l’endroit du pouvoir exécutif est sans commune mesure.

En attendant de connaître l’épilogue de ce feuilleton judiciaire, la classe politique guinéenne se garde de prendre part à la curée anti-Bolloré. Une prudence qui frise la pusillanimité.

Seule la presse  privée en fait les gorges chaudes. C’est dire que vis-à-vis des puissants du Nord, nos politiques souffrent encore du complexe du Kangourou.

L’Art de cacher la poussière sous le tapis

Justement, vous  avez sculpté les réactions du gouvernement. D’abord, on a entendu le ministre porte-parole du gouvernement, M. Albert Damantang, ensuite le ministre de la Justice Me Cheick Sako s’exprimer et promettre que la justice guinéenne allait coopérer à la manifestation de la vérité dans ce dossier. Et pour vous, cela n’est qu’une  volonté  de dissimuler ou de cacher la poussière sous le tapis? 

Après avoir voulu faire le dos rond face à la mise en examen de Vincent Bolloré, le gouvernement guinéen s’est dit disposé finalement à coopérer avec la justice française, dans le cadre des enquêtes, qui mettent en cause l’industriel pour des faits de corruption. C’est le ministre de la Justice, Me Cheikh Sako qui a fait cette annonce, mercredi. Après que ce dernier ait été interpellé par la presse. Les autorités de Conakry qui sont promptes à grimper aux rideaux, à la moindre critique, ont dans la foulée, pris les devants, pour « blanchir » Alpha Condé et jeter l’opprobre sur Getma international.

L’entreprise dont la convention fut résiliée au profit du groupe Bolloré, après l’élection du président Alpha Condé.

À la manœuvre, on a vu une commission dite d’enquête administrative, constituée à la va vite. Et dont la composition pourrait nous amener à prendre avec des pincettes, ses conclusions.

C’est le ministre conseiller du président de la République, chargé des relations avec les institutions, Mohamed Lamine Fofana qui préside la dite commission. Le staff est composé de l’ancien agent judiciaire de l’État, Me Alfred Mathos, ainsi que de l’ancien directeur général adjoint du port autonome de Conakry, Sory Camara et d’Alpha Ibrahima Keira, ancien hiérarque du système Conté, et ministre conseiller à la présidence de la République. Tous ont été coptés pour éteindre l’incendie.

Face à la presse jeudi, cette opération déminage  lancée par le   gouvernement avait pour but de se dédouaner, tout en lançant une bouée de secours à Vincent Bolloré. Cela s’appelle faire d’une pierre deux coups.

Avec ce pouvoir, qui est sur la défensive, il ne faut pas s’attendre à de la transparence, dans les contrats passés avec les entreprises proches du palais. Tout se gère selon le bon vouloir du prince qui serait un vrai control freak.

Devant  ce que certains observateurs qualifient déjà de « cataclysme », parlant de  l’affaire Bolloré, le pouvoir essaie comme à son habitude de cacher la poussière sous le tapis. Mais le peuple n’est pas dupe.

Poursuivi par la justice américaine, l’avenir en pointillé de Mohamed Touré

Et de l’affaire Bolloré, vous nous transportez dans une autre affaire, celle concernant le fils du premier président de la Guinée indépendante Sékou Touré, Mohamed Touré, secrétaire général du PDG-RDA, et qui aujourd’hui, est poursuivi par la justice américaine. Et vous titrez, ‘’poursuivi par la justice américaine, l’avenir en pointillé de Mohamed Touré’’ 

D’un scandale à l’autre. Sauf que cette fois, il s’agit d’un fait divers sordide, impliquant le secrétaire général du Pdg-Rda, Mohamed Touré. Le mis en cause n’est pas n’importe qui. Il s’agit  de  l’héritier du président Sékou Touré, pour être plus précis. Les faits reprochés à Mohamed Touré et son épouse sont assez graves, pour ne pas dire hallucinants.

En effet, le couple est accusé de traite de personne, et inculpé pour « travaux forcés », par la justice texane. Leur victime est une adolescente de 16 ans. Cette dernière fut  adoptée à l’âge de 5 ans par cette famille, à partir de la  Guinée où elle vivait avec ses parents. Elle aura passé, selon les enquêteurs américains chargés de ce dossier, 11 ans dans la résidence du couple, à exercer des tâches domestiques. Et à subir des abus propres aux maîtres de maison oppressifs et cruels.

L’affaire est très grave, puisqu’en cas de condamnation, les Touré pourraient connaître une longue période de privation de liberté. La peine encourue en pareil cas serait de 20 ans, selon le code pénal de cet état dont les juges ont la réputation d’avoir la main lourde.

Avec l’épouvantail de la justice qui plane au-dessus de sa tête, le secrétaire général du Pdg-Rda, doit avoir du mouron à se faire. Car son avenir politique est désormais en pointillé. Et ça serait dommage, pour cet homme qui n’a que 57 ans de se retrouver derrière les barreaux, pendant au moins deux décennies.

 

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