– En 20 ans, la qualité moyenne de l’enseignement a baissé de 80%.
Monsieur le Premier Ministre,
Je me permets de vous interpeller, en ma qualité de citoyen guinéen et de produit de l’école publique guinéenne, sur la situation de notre système éducatif qui devient de plus en plus catastrophique. Des mesures urgentes devraient être prises pour endiguer ce problème structurel, sinon l’existence même de notre Nation est menacée à long terme, car ce sont des cadres bien formés, éduqués et outillés qui pourraient relever les nombreux défis auxquels notre pays est confronté. Au-delà de toute appartenance politique ou idéologique, les guinéens devraient être capables de se rassembler autour de l’essentiel. En 20 ans, la qualité moyenne de l’enseignement a baissé de 80%. Les raisons de cette dégringolade sont multiples : instabilité socio-politique, manque d’infrastructures, de moyens financiers, de personnels qualifiés et motivés, absence de réformes structurelles, politisation de l’administration publique, inadéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché, etc. Les résultats au Baccalauréat Unique de ces dernières années en sont une parfaite illustration :
En 2016 : Sur un total de 87 010 candidats ayant composé, 36 781 ont été déclarés admis, soit un taux de réussite de 42,27%.
En 2017 : Sur un total de 87 125 candidats ayant composé, 23 656 ont été déclarés admis, soit un taux de réussite de 27,15%.
En 2018 : Le taux de réussite est historiquement bas : 26,04 %, ce qui signifie que près de 3 candidats sur 4 ont échoué, soit 61 127 élèves sur 82 653.
Pourtant, le diagnostic a déjà été posé et certaines mesures curatives ont été apportées, mais les résultats escomptés ne sont toujours pas au rendez-vous. Dans son discours du 30 mars 2016 lors du lancement de la plateforme de dialogue social U-Report au Palais du Peuple, le Président Alpha Condé a affirmé : « L’Éducation guinéenne est malade, elle forme des chômeurs… ». Dans votre déclaration de politique générale devant l’assemblée nationale le 27 juin 2018, vous avez aussi posé un diagnostic accablant de cette situation : « L’École guinéenne a besoin d’investissements, mais aussi de réformes. Le Gouvernement se donne pour objectif d’affecter 15% de dépenses budgétaires aux secteurs de la santé et de l’éducation, pour construire des infrastructures, former les enseignants et les personnels de santé et assurer une couverture médicale de base pour les populations les plus vulnérables ».
L’année 2018 a été particulièrement perturbée, notamment par les grèves, journées villes mortes et marches récurrentes de l’opposition républicaine et du syndicat des enseignants. Je souhaite de tout mon cœur que les élèves et étudiants guinéens puissent étudier « normalement » en 2019. Tout ce qui constitue une menace au déroulement normal de l’année scolaire et universitaire est à écarter. Dans l’émission « Guinée Actu » de la Radio-Télévision-Guinéenne (RTG) du 6 septembre 2018, vous avez déclaré que « 8 millions de francs guinéens comme salaire de base des enseignants n’est pas envisageable ». Je crains que cette affirmation ne soit un obstacle aux prochaines négociations avec les syndicats de l’éducation. Vous êtes pourtant cohérent dans vos propos conformément à votre déclaration de politique générale, dont certains passages expliquent sans ambiguïté la position de votre Gouvernement : « L’intérêt général, ce n’est pas l’addition des intérêts particuliers. L’intérêt général transcende les intérêts particuliers ». Plus loin, vous ajoutiez : « Mais il conviendra aussi que, en gestionnaires responsables, que nous comprenions toute la complexité de l’action de l’État, qui ne saurait en aucun cas se résumer à la satisfaction des revendications catégorielles ». Pour poser les bases d’une vraie réforme structurelle, je pense que les négociations ne devraient pas se focaliser que sur les 8 millions comme salaire de base. Toutes choses étant égales par ailleurs, la question qui se pose est de savoir comment fait-on pour reformer l’école guinéenne en profondeur tout en améliorant les conditions de vie de nos braves et nobles enseignants ?
Garant du dialogue social, il vous revient, monsieur le Premier Ministre, de trouver l’équilibre entre autorité, fermeté et conciliation d’une part, et d’autre part de faire preuve de pédagogie et de méthode pour que tous les acteurs impliqués comprennent que la rémunération est un vecteur déterminant de motivation parmi tant d’autres. La théorie des deux facteurs a été développée par Frederick Herzberg (1923-2000, professeur et auteur américain) qui stipule que « la satisfaction au travail et l’insatisfaction au travail agissent de manière indépendante. Ainsi, le contraire de la satisfaction n’est pas l’insatisfaction mais l’absence de satisfaction. De même, le contraire de l’insatisfaction est l’absence d’insatisfaction. Il est donc possible pour un employé d’être à la fois satisfait et insatisfait dans son travail ».
Excellence Monsieur le Premier Ministre, permettez-moi de vous soumettre la vision stratégique que j’ambitionne pour le Système Éducatif Guinéen ainsi que les actions à mettre en œuvre pour traduire cette vision en résultat :
- Se fixer comme objectif stratégique pour les quinze prochaines années d’amener la Guinée parmi les 10 premiers pays de l’Afrique et les 100 premiers dans le monde par la performance globale de son système éducatif. Les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux qui conjuguent qualité et équité. Il n’y a donc pas de raison que nous n’y arrivions pas.
- Faire passer progressivement le budget du secteur de l’Education de 4% du PIB (de nos jours) à 20% comme recommandé par les ministres africains de l’éducation. Ceci est un prérequis à toute réforme structurelle et ambitieuse. La volonté seule ne suffit pas, il faut des moyens.
- Construire des infrastructures de dernière génération (centres d’excellence, écoles modernes et polyvalentes, laboratoires de recherche et d’innovation en réalité augmentée, intelligence artificielle, robotique, Big Data, blockchain, Internet of Things (IoT), des salles ‘’multimédia’’, des bibliothèques, des terrains et aires de jeux, des toilettes salubres, des espaces verts, etc.), améliorer l’accès au numérique, mettre en place une couverture sociale universelle et réhabiliter les infrastructures existantes qui pour la plupart sont aujourd’hui dans un état de délabrement avancé (ex : l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, le lycée 28 septembre de Kindia, le collège Sangoyah de Matoto, l’école primaire de Sangoyah Cité, le lycée Wouro de Labé, le lycée Kankou Moussa de Siguiri, le lycée Amilcar Cabral de Mamou, etc.).
- Reformer le processus de recrutement du corps enseignant. L’enseignement ne devrait plus être un choix par défaut pour trouver un emploi, mais devrait être le premier choix des meilleurs étudiants. Impliquer les experts des différents ministères et autres services de l’Etat dans l’enseignement (ex : Primature, Présidence de la République, Ministère des Finances, etc.).
- Professionnaliser l’enseignement (plan de carrière) et valoriser le métier d’enseignant en améliorant leur traitement, image et condition de vie.
- Créer un système d’évaluation objectif des enseignants, élèves et étudiants.
- Organiser une vaste et itérative opération de remise à niveau et de formation des formateurs (tous les intervenants du système éducatif, de l’école maternelle jusqu’aux universités) avec notamment un appui financier, technique et institutionnel de l’UNESCO, de l’Organisation Internationale de la Francophonie, de l’Agence Française de Développement, de l’Unicef, du PNUD, de Plan International, de la Banque Africaine de Développement, etc.
- Rendre l’école obligatoire pour tous les enfants, à partir de 6 ans jusqu’à l’âge de 16 ans révolus ainsi que la gratuité des fournitures et manuels scolaires (jusqu’en 10ème année).
- Garantir à chaque enfant les moyens d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture afin qu’il dispose d’une formation adéquate, des savoirs et des compétences le rendant capable de s’adapter rapidement aux exigences changeantes de son environnement futur. Mettre un accent particulier sur l’école primaire car c’est la fondation de l’édifice pour que chaque élève qui arrive en 7ème année puisse s’exprimer, compter, lire et écrire des phrases simples et correctes (sujet + verbe + complément).
- Créer une adéquation entre le contenu des formations et les besoins du marché de l’emploi (actualisation des contenus pédagogiques) tout en répondant aux défis de la mondialisation (langues étrangères, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, etc.). L’initiative récente de la mise en place d’un répertoire opérationnel des métiers et emplois que vous avez présidée le 30 août 2018 à Conakry est salutaire.
- Créer un partenariat Public-Privé très fort en associant le secteur privé dans la conception et l’enseignement des programmes pédagogiques de spécialité. Par exemple, la collaboration entre le Groupe Airbus et l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile (ENAC) de Toulouse permet aux ingénieurs d’Airbus de proposer et enseigner des modules aéronautiques aux étudiants. En contrepartie, Airbus accueille les étudiants de l’ENAC pour des stages pratiques et de pré embauche.
- Dépolitiser l’administration publique en faisant la promotion du mérite et non du militantisme politique. Je me réjouis que vous ayez abordé ce sujet dans votre discours de politique générale en ces termes : « Bien entendu, les fonctionnaires ne sont pas des citoyens spéciaux. Ils ont, comme l’ensemble des citoyens, des droits civils et politiques. Mais tout fonctionnaire souhaitant exercer sa liberté politique au-delà des limites de son obligation de réserve et de neutralité devra se mettre, temporairement, en disponibilité de l’Administration.»
- Enseigner l’histoire de la Guinée à tous les niveaux du système éducatif (école primaire, collège, lycée et université) pour inculquer en chaque guinéen l’amour de la Patrie, le goût du travail bien fait, du beau, du bien, de l’honnêteté, du courage, de la cohésion sociale, du civisme et de la citoyenneté. La Guinée est, et demeure une République unitaire, indivisible, laïque, démocratique et sociale.
- L’Etat devrait cartographier, inspecter et fermer toutes les écoles qui ne respectent pas les normes requises. En effet, des écoles privées ne respectant aucune norme ont poussé comme des champignons à travers le pays, sans aucune maitrise des autorités compétentes, des maisons ont été transformées en écoles et universités privées. Conakry, 1ère ville universitaire guinéenne, compte plus de 40 universités, tandis que Toulouse, 2ème ville universitaire de France en compte 3 grandes (Toulouse 1, Toulouse 2 et Toulouse 3) et quelques écoles d’ingénieur et de commerce (INSA, ENSIACET, ENAC, Toulouse Business School, etc.). Le système LMD (Licence – Master – Doctorat) a été très mal introduit dans les universités guinéennes. L’enseignement d’élite a été remplacé par un enseignement de masse. Des étudiants diplômés se retrouvent sur le marché de l’emploi sans avoir acquis les compétences comportementales, morales, techniques, scientifiques et littéraires requises.
- La facilitation du retour et la sollicitation de l’aide de la diaspora guinéenne pour participer à la qualification du système éducatif. L’initiative récente du Ministère de l’enseignement supérieur est salutaire et s’inscrit dans le bon sens. Il a transmis à l’A.C.T.O.G. (Association des Cadres et Techniciens d’Origine Guinéenne), son projet de recrutement de professeurs de la diaspora guinéenne, pour enseigner dans les universités de Guinée. L’objectif étant de former 1000 PhD (doctorats) et 5000 masters (cf. https://www.guineenews.org/communique-urgent-a-lattention-de-la-diaspora-guineenne/)
Dans l’espoir que vous serez sensible à ma démarche citoyenne et que des réformes structurelles seront menées, je vous prie de croire Monsieur le Premier Ministre à mon sentiment de patriotisme. Que Dieu bénisse la Guinée et les Guinéens. Amen !
Diarra DOUMBOUYA |PMP certified Project Manager| Paris, Toulouse, London| diarra.doumbouya@outlook.com |