Censure

Le parlement européen demande à l’UE d’inscrire à l’ordre du jour, un débat sur « des cas de violation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit » en Guinée

Le Parlement européen,

– vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948

– vu la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole de 1967,

– vu le pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques,

– vu la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981,

– vu la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée par l’Union africaine en janvier 2007,

– vu les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion de mai 2017 de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP),

– vu les lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique de mars 2017 de la CADHP,

– vu les principes de base des Nations Unies de 1990 sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois,

– vu la déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies de mars 1999 sur les défenseurs des droits de l’homme,

– vu la troisième session du dialogue politique Union européenne – Rép. de Guinée

–  vu ses précédentes résolutions sur la Guinée Conakry,

– vu le protocole de la CEDEAO A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance,

–  vu l’article 144 de son règlement intérieur,

A.  Considérant que la Guinée traverse une crise politique majeure ; considérant que depuis la mi-octobre 2019, à l’initiative d’une coalition de partis d’opposition et de groupes de la société civile, des manifestations massives se multiplient en Guinée Conakry contre le projet de nouvelle constitution qui pourrait permettre à Alpha Condé de briguer un 3ème mandat ; considérant que depuis le début des mobilisations, le gouvernement a réprimé la liberté d’expression, arrêté et emprisonné des acteurs de la société civile s’opposant au troisième mandat et utilisé une force meurtrière lors des manifestations;

B. considérant qu’entre 26 et 36 civils et un gendarme auraient été tués depuis la mi-octobre et plus de 70 personnes auraient été gravement blessées (dont 30 par balles) ; considérant que selon Amnesty International plus de 70 manifestants ou passants auraient été tués depuis 2015 lors de rassemblements ; considérant l’impunité quasi totale des forces de sécurité malgré les promesses d’enquêtes du gouvernement ; considérant qu’en juin 2019 l’Assemblée Nationale a adopté une loi sur l’emploi de la force par la gendarmerie qui peut être utilisée pour protéger de toute poursuite judiciaire les gendarmes usant d’une force excessive ;

C. considérant qu’au moins sept personnes du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) ont été arrêtées du 12 octobre au 28 novembre 2019 pour avoir manifester contre le troisième mandat d’Alpha CONDE, considérant qu’ils ont été poursuivis pour actes ou manœuvres de nature à troubler l’ordre public et à compromettre la sécurité publique pour avoir appelé à manifester contre le projet de nouvelle constitution et finalement acquittés à la suite de pressions internationales ;

C. Considérant que depuis novembre 2019, le gouvernement, sous la pression de la CEDEAO et d’autres acteurs internationaux, a quelque peu assoupli les restrictions imposées aux opposants à une nouvelle constitution, autorisant les manifestations et libérant certains dirigeants de la société civile arrêtés pour avoir déclenché des manifestations ; considérant que la plupart des observateurs politiques prévoient un pic de bouleversements politiques et de violences en 2020 , une situation qui mettrait à mal l’unité nationale et pourrait constituer une menace pour la stabilité de la sous-région;

D. Considérant que le 4 février 2020, le président Alpha Condé a pris un décret mardi convoquant un référendum pour l’adoption d’une nouvelle constitution ; considérant que selon le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) celui-ci permettrait au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat ; considérant que le porte-parole du FNDC Abdoulaye Oumou Sow, a appelé à combattre un « coup d’État constitutionnel » ; considérant que le 6 février 2020, une grâce présidentielle a été accordée à plus de 200 personnes condamnées;

E. Considérant que des élections législatives ont initialement été prévues le 28 décembre 2019, puis reportées au 16 février 2020 avant d’être fixées au 1er mars 2020 afin de faciliter le couplage avec le référendum ; considérant que ces élections sont rejetées par les principales forces de l’opposition et une grande partie de la société civile qui dénonce la corruption du fichier électoral, la violation de la loi électorale, l’inféodation de la Commission Electorale Indépendante et de la Cour Constitutionnelle;

F. Considérant que les victimes et les proches du massacre du stade du 28 septembre 2009, par les forces de sécurité guinéennes, qui ont tué plus de 150 personnes manifestant, des centaines de blessés et durant lequel plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles, attendent depuis plus d’une décennie l’ouverture d’un procès ;

G. Considérant que plusieurs ONG locales dénoncent les conditions de détention en Guinée Conakry et notamment « de graves inadéquations sur le plan de la surpopulation, de la nourriture, de la nutrition, ainsi qu’une carence au niveau de la formation dispensée à la plupart des gardiens de prison » (selon le rapport de Human Rights Watch); considérant que si ces conditions sont inquiétantes dans l’ensemble du pays, elles sont particulièrement graves dans la Maison Centrale de Conakry, considérant que celle-ci a été construite par les colons français en 1915 et était à l’origine prévue pour accueillir de 240 à 300 prisonniers ; considérant qu’aujourd’hui elle serait occupée par près de 1500 personnes ; considérant que le 21 janvier 2020, lors de l’examen périodique universel (EPU) de la  Guinée au Conseil des droits humains des Nations unies, le ministre de la justice, Mamadou Lamine Fofana, a publiquement indiqué que les officiers de police judiciaire (OPJ) ne disposaient pas de moyens techniques appropriés pour enquêter sur les morts par balles lors des manifestations ; que des officiers de police judiciaire (OPJ), pourtant formés aux nouvelles techniques d’enquêtes judiciaires manquent de moyens matériels pour enquêter efficacement ;

H. Considérant que les deux tiers des 12,5 millions de Guinéens vivent dans la pauvreté. La pandémie d’Ébola, qui a sévi entre 2013 et 2016, a affaibli considérablement l’économie du pays ; considérant que les jeunes de moins de 25 ans, qui représentent plus de 60 % de la population, sont particulièrement touchés par le chômage ;

I. Considérant que depuis 2018, les citoyens de cet État d’Afrique de l’Ouest, ancienne colonie française, se sont même hissés au deuxième rang de la demande d’asile en France, derrière l’Afghanistan, avec 8 433 demandes de protection. Les Guinéens représentent aussi la première nationalité parmi les mineurs non accompagnés, soit près du tiers d’entre eux, avec 5 227 mesures de protection en 2018.

J. Considérant que l’article 325 du Code pénal guinéen dispose que tout acte indécent ou contre nature commis avec une personne du même sexe est puni d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 francs guinéens ; considérant qu’étant donné que l’homosexualité est illégale, la discrimination à l’encontre de ces personnes est permise ; considérant que le Gouvernement exprime ouvertement sa désapprobation quant aux relations homosexuelles ;

K. Considérant que les sociétés minières exproprient des terres agricoles ancestrales sans fournir d’indemnisation adéquate, menaçant les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes ; considérant que les dommages causés aux ressources en eau et l’augmentation de la demande due à la migration de la population vers les sites miniers réduisent l’accès des communautés à l’eau pour boire, se laver et cuisiner ; considérant que l’environnement est de plus en plus détruit en Guinée du fait de l’exploitation minière avec des conséquences aussi bien sur la pluviométrie que sur les activités agropastorales dans les zones concernées ;

L. Considérant qu’à partir de 2015, la Guinée a commencé à développer plus rapidement son immense potentiel hydroélectrique, renforçant ainsi l’accès à l’électricité mais déplaçant des milliers de personnes dans des plaines susceptibles d’être inondées par les barrages ; considérant que les communautés déplacées jusqu’à présent n’ont pas reçu de dédommagement adéquat ;

M. Considérant qu’entre février et mai 2019 le Gouvernement guinéen a expulsé de force plus de 20 000 personnes des quartiers de Conakry afin de fournir des terrains pour des ministères, des ambassades étrangères, des entreprises et d’autres travaux publics

N. Considérant qu’ accusé depuis une dizaine d’années de corruption pour l’obtention de la concession du terminal à conteneurs du port de Conakry, le groupe français Bolloré a vu son dossier classé sans suite par la Cour d’appel de Paris en juin 2019, malgré l’existence d’un « pacte de corruption » reconnu par les juges entre le président Alpha Condé et le groupe français dans l’obtention de la concession du port, en échange de l’aide apporté par Havas, la filiale de communication du groupe Bolloré, à Alpha Condé, en vue de son élection présidentielle de mars 2011 ;

O. considérant la mise à jour du nouvel accord UE-ACP, qui, conformément au mandat approuvé par le Conseil, doit inclure la consolidation de l’État de droit et la défense des droits humains, est en cours de négociation.

1. Est extrêmement inquiet par la situation de crise que traverse la Guinée Conakry ces dernier mois ; condamne la répression et toutes les violences et assassinats qui ont lieu dans le pays ; exprime sa solidarité avec les mobilisations populaires ;

2. Se déclare particulièrement préoccupé par les atteintes massives aux droits de l’Homme dans le pays concernant notamment les libertés d’expression, de manifestation, de réunion et l’intimidation des défenseurs des droits de l’Homme, journalistes, ONG, opposants au régime ; dénonce l’utilisation d’armes à balles réelles sur des manifestants ;

3. Exige le respect du droit à la liberté de manifestation, de réunion, d’association et d’expression garantis par les normes internationales et les traités et conventions des Nations Unies ratifiés par la Guinée Conakry ;

4. Accueille positivement la grâce accordées le 6 février 2020 à plus de 200 manifestants et demande la libération immédiate et sans condition de tous les prisonniers politiques, journalistes et défenseurs des droits de l’Homme emprisonnés depuis la mi-octobre ; se déclare particulièrement préoccupé par la situation dans les prisons ;

5. Demande au gouvernement guinéen à respecter strictement les principes des Nations unies sur le recours à la force et les armes à feu et à créer une équipe spéciale (ou unité) de juges pour enquêter sur la conduite des forces de sécurité et d’autres personnes impliquées dans des actes illégaux lors des manifestations ;

6. demande aux autorités de Guinée d’enquêter et de poursuivre, conformément aux normes internationales, les membres des forces de sécurité contre lesquels il existe des preuves de responsabilité pénale pour des exactions passées et actuelles ; souligne la nécessité d’ouverture immédiate du procès du massacre du stade en 2009, des viols et des autres exactions, et d’apporter tout le soutien politique, technique et financier nécessaire à un procès crédible pour ces crimes, et de mettre en congé administratif les personnes occupant des postes gouvernementaux qui ont été accusées de crimes graves, notamment du massacre du stade en septembre 2009, et qui sont en mesure d’influencer ou semblent influencer toute enquête ou poursuite criminelle ;

7. demande la tenue d’une enquête immédiate, indépendante et impartiale sur toutes les allégations de recours excessif à la force contre des manifestants, ainsi que sur les mauvais traitements et de surpopulation dans les prisons; insiste pour que les conclusions de cette enquête soient rendues publiques et les responsables soient déférés en justice devant un tribunal indépendant et impartial ; souligne que toute information présumée recueillie à la de mauvais traitements ne devrait jamais être admissible en tant que preuve dans une procédure judiciaire ;

8. Suggère une réforme des lois existantes en vue d’abroger toutes les dispositions accordant l’immunité judiciaire aux agents de l’État et garantissant des garanties telles que l’accès rapide et sans équivoque aux proches et aux avocats de toutes les personnes détenues ;

9. Invite les autorités guinéennes à adopter une législation détaillée requérant des sociétés minières et hydroélectriques qu’elles indemnisent équitablement les personnes et les communautés qui perdent des terres au profit de l’exploitation des ressources naturelles; souligne la nécessité d’améliorer et d’assurer effectivement l’accès des communautés touchées et des organisations de la société civile aux évaluations de l’impact environnemental et social, aux plans de gestion et aux autres données du Gouvernement et des entreprises concernant les droits de l’homme et les incidences sociales et environnementales de l’exploitation minière et des autres projets relatifs aux ressources naturelles ;

10. Demande en particulier à la Guinée Conakry de lancer une enquête indépendante sur les normes sociales et environnementales appliquées par les entreprises multinationales, en particulier dans le secteur des ressources naturelles et du port de Conakry ainsi que sur les liens que ces entreprises peuvent avoir avec la corruption, l’élection et le maintien au pouvoir de l’actuel président ;

11. Réaffirme la nécessité de garantir le droit de la Guinée Conakry à la souveraineté alimentaire, qui comprend le droit des paysans à produire les aliments permettant la nourriture de la population, en mettant fin à l’accaparement des terres et en assurant l’accès des agriculteurs à la terre, aux semences et à l’eau ;

12. Demande instamment à l’UE et à ses États Membres de suspendre tout financement et de fourniture de matériel de sécurité et de répression aux forces de sécurité de Guinée Conakry ;

13. Demande instamment aux États Membres de l’UE et en premier lieu à la France, de respecter le droit d’asile et les conventions internationales en la matière ; demande instamment à ce que l’aide au développement ne soit pas instrumentalisée pour limiter ou contrôler les frontières ou assurer la réadmission des migrants;

14. Invite l’Union européenne et ses États membres à accroître leur soutien financier ainsi que leur aide humanitaire afin de répondre aux besoins urgents de la population de Guinée Conakry et notamment des personnes déplacées; demande que l’aide de l’Union et des États membres soit fournie sous forme de subventions plutôt que sous forme de prêts afin de ne pas alourdir la charge de la dette; déplore que la majorité des États membres de l’Union n’aient pas atteint l’objectif consistant à consacrer 0,7 % de leur RNB à l’aide publique au développement et que certains aient même baissé leur pourcentage d’aide au développement ; déplore la non-participation de certains États membres aux programmes d’aide alimentaire;

15. Réaffirme que les activités des entreprises européennes présentes dans les pays tiers doivent pleinement respecter les normes internationales en matière de droits de l’Homme ; invite les États membres à veiller à ce que les entreprises qui relèvent de leur droit national restent tenues de respecter les droits de l’Homme ainsi que les normes sociales, sanitaires et environnementales qui leur sont imposées si elles établissent ou mènent leurs activités dans un pays tiers; appelle la Commission et les États membres à prendre les mesures qui s’imposent contre les entreprises européennes qui ne respectent pas ces normes ou qui n’indemnisent pas de manière satisfaisante les victimes de violations des droits de l’Homme relevant directement ou indirectement de leur responsabilité ;

16. Demande l’Union européenne à tenir compte de ses propres obligations en matière de démocratie et de droits humains dans les négociations pour le renouvellement de l’accord de Cotonou ; demande à l’UE et à ses États Membres de prendre en compte toutes les considérations de cet accord dans le cas spécifique de Guinée.

17. Charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au président de la Guinée Conakry, au président du Parlement de Guinée Conakry et à l’Union africaine ainsi qu’à ses institutions.

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