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Coronavirus en Guinée : Quels impacts et solutions juridiques pour les entreprises ?

Avec la pandémie du Covid 19 ou Coronavirus, les entreprises sont durement touchées par le ralentissement de l’activité économique. Au moment où le 2e cas de Covid 19 est confirmé en Guinée, les entreprises doivent adapter leurs opérations aux problèmes de trésorerie, faire face aux risques liés à la propagation de la maladie qui pourrait mettre en danger la santé de leurs salariés et surtout à l’éventuelle suspension ou rupture de leurs contrats d’affaires. L’arsenal juridique guinéen prévoit des dispositifs qui peuvent être utilisés par les entreprises afin de réduire l’impact économique de la crise en cours et répondre aux attentes de leurs salariés. Il s’agit par exemple :

  1. de mettre en place un accompagnement pour un chômage technique ou économique ;
  2. d’analyser les impacts des clauses de force majeure dans l’exécution de leurs contrats soit en tant que donneurs d’ordres ou prestataires ;  et
  3. de renforcer les normes en matière d’hygiène, de santé et de sécurité des travailleurs.

Une mise en place cohérente de ces mesures peut réduire les risques juridiques notamment de contentieux judiciaires et des pertes financières pour les entreprises.

  1. En matière de contrat de travail : penser aux mesures de chômage économique et à la consultation des délégués syndicaux

Le Code du travail guinéen prévoit les modalités de suspension du contrat de travail notamment pour les cas de maladie non professionnelle d’un salarié ou d’interruptions collective de travail résultant de causes conjoncturelles. Il s’agit par exemple de difficultés économiques passagères, un sinistre, une interruption de la force motrice ou une pénurie des moyens de transport. Dans ces situations, les entreprises peuvent mettre en place des plans temporaires de chômage technique ou économique pour tout ou une partie du personnel, que le contrat soit à durée déterminée ou indéterminée.  Ces plans ont pour but d’éviter des licenciements pour motif économique ou des causes temporaires. Il s’agit donc de mesures temporaires qui permet de sauvegarder les emplois.

Si la chaîne de production et les salariés d’une entreprise sont significativement touchés par le Covid 19, l’entreprise pourrait décider de mettre tout ou une partie des salariés en chômage technique. Si une convention collective ne précise pas le régime du chômage technique (ex : Mines et carrières et hôtellerie), l’entreprise et les salariés doivent préciser d’un commun accord la durée de la mesure et l’indemnisation dû aux travailleurs durant cette période. Le chômage technique ne peut excéder une période de 6 mois, renouvellement y compris.

En outre, en cas d’impacts financiers significatifs dû à la situation du Covid 19, les entreprises peuvent aussi opter pour le dispositif de chômage économique pour une durée maximale de 3 mois au cours d’une même période de 12 mois. Dans ce sens, les employeurs ne verseront aux salariés qu’une indemnité mensuelle qui ne peut être inférieure à 30% du salaire de base. Les employés concernés bénéficieront aussi de ses prestations de sécurité sociale.

Dans la mise en place du chômage technique ou économique, les employeurs doivent informer les délégués syndicaux, s’il en existe au sein de l’entreprise et l’inspection du travail. Si la santé économique de l’entreprise se détériore, des mesures de licenciements pour motif économique peuvent être envisagées.

  • En matière de contrats d’affaires : analyser au plus vite vos contrats prioritaires et les impacts des clauses de force majeure

Le Covid 19 pourrait poser des difficultés temporaires ou définitives pour l’exécution des contrats d’affaires. La pandémie en cours désorganise les unités et chaînes de production des entreprises et impacte négativement les économies nationales et internationales. Les conséquences du Covid 19 sur les activités des entreprises pourraient donc être considérées comme des cas de force majeure qui peuvent empêcher l’exécution de certains contrats d’affaires. Ainsi, il est important de signaler qu’un manquement aux obligations contractuelles justifié par un cas de force majeure exonère en principe le contractant défaillant du paiement de dommages et intérêts à son co-contractant.

Pour l’analyse spécifique des cas de force majeure et plus généralement des clauses de suspension et de cessation des contrats en Guinée, il conviendrait de classer les contrats susceptibles d’être impactés en deux catégories : d’une part, les contrats régis par les Codes civil guinéen de 1983 ou de 2019, et d’autre part, les contrats régis par les règlementations spécifiques notamment l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit commercial général (L’Acte Uniforme) qui encadre les contrats de vente de marchandises entre commerçants et les baux à usage professionnel.

Définition et effets de la force majeure :

A titre de rappel historique, il convient de noter que le Code Civil guinéen de 1983 ne définissait pas la force majeure. Il est donc revenu à la jurisprudence de le faire avec la formule suivante « la force majeure est un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ». Toutefois, le Code civil de 2019 définit la force majeure contractuelle de manière plus précise. L’article 1104 du Code civil de 2019 prévoit que la force majeure contractuelle est « un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». La différence dans les deux définitions résulte du fait que le nouveau Code civil de 2019 retient quatre critères pour la force majeure qui sont cumulatifs. Comme en droit français (art. 1218 du Code civil français), il s’agit de « l’extériorité (dont la définition est précisée) de l’événement, l’imprévisibilité de l’événement au jour de la conclusion du contrat, l’inévitabilité des effets de l’événement et l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter son obligation ». L’article 1104 du Code civil guinéen est identique à l’article 1218 du Code civil français issu de la réforme du droit des obligations du 10 février 2016.

Concernant les effets de la force majeure, il est prévu qu’en cas d’empêchement temporaire, l’exécution des obligations du contrat est en principe suspendue. Si l’empêchement est impossible ou définitif, le contrat est résolu, c’est-à-dire anéanti rétroactivement de plein droit. L’effet résolutoire du contrat est une nouveauté introduite dans le Code civil guinéen de 2019.

Si la définition et les effets de la force majeure selon le Code civil de 2019 ne doivent être appliquer qu’aux contrats signés postérieurement à son entrée en vigueur, il pourrait exister un risque d’application des nouvelles dispositions aux contrats régis par le Code civil de 1983 par les juridictions guinéennes.

Le cas des contrats de vente de marchandises entre commerçants et baux à usage professionnel :

Les contrats de vente de marchandises entre commerçants et baux à usage professionnel sont encadrés par les dispositions de l’Acte Uniforme, dont l’interprétation uniforme est contrôlée par la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA. Par exemple, pour l’analyse d’un cas de force majeure relatif à un contrat de vente de marchandises entre commerçants régi par l’Acte uniforme, l’on doit se référer à l’article 294 dudit Acte uniforme. Ce dernier prévoit une définition de la force majeure similaire du Code civil guinéen 2019. En effet, il est précisé que la force majeure est « tout empêchement indépendant de la volonté et que l’on ne peut raisonnablement prévoir dans sa survenance ou dans ses conséquences ». Les critères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité sont donc à prouver pour qualifier un événement de force majeure au titre de l’Acte Uniforme.

Il conviendrait donc pour les entreprises d’engager un audit juridique de leurs contrats prioritaires afin d’identifier et d’évaluer les risques liés à leur suspension, résiliation ou résolution et envisager des solutions pratiques.

  • En matière de santé et d’hygiène : renforcer vos dispositifs de prévention et former vos salariés aux politiques d’hygiène et de santé

Le Covid 19 est une pandémie qui se transmet principalement par voie respiratoire. Il y a donc un risque de propagation de la maladie au sein des salariés d’une même entreprise si l’un d’entre eux est infecté. En ce sens, il convient de signaler que le Code du travail guinéen pose le cadre juridique pour les mesures d’hygiène et de santé au travail applicables à toutes les entreprises. Ces dernières doivent prendre les précautions utiles afin d’éviter les accidents et maladies dans les lieux de travail. Avec cette pandémie, il revient aux entreprises d’édicter de nouvelles mesures en lien avec les guides et conseils fournis par les autorités sanitaires. Ce travail peut être réalisé par le Comité d’hygiène, de santé et de sécurité (HSS) qui doit être obligatoirement mis en place dans les entreprises d’au moins 25 salariés. Le Comité HSS a pour mission d’étudier, d’élaborer et de veiller à la mise en œuvre des mesures de prévention et protection dans les domaines de la sécurité et santé au travail. Par ailleurs, les employeurs sont tenus de former leurs salariés en poste ou nouvellement embauchés sur les politiques d’hygiène, de santé et de sécurité liées aux conditions du travail. L’organisation du service de médecine du travail est une autre obligation des employeurs, qui doivent mettre à disposition des salariés de façon permanente ou temporaire un médecin du travail ou un infirmier selon le nombre d’employés.  

La violation de ces obligations en matière HSS expose les entreprises fautives à des sanctions de la part des autorités de contrôle comme l’inspection générale du travail et des procès qui pourraient être engagés par les salariés dont la santé est affectée par cette situation.

Conclusion :

En conclusion, les impacts juridiques de la pandémie du Covid 19 ne doivent pas être sous-estimés par les entreprises afin d’éviter des contentieux judiciaires et des pertes économiques considérables. Les directions générales des entreprises appuyées par leurs conseils juridiques internes et/ou externes doivent préparer un plan de gestion des risques liés à cette maladie qui devra aborder notamment la gestion des contrats de travail et d’affaires ainsi que les normes de HSS.

Sur un plan global, l’État en concertation avec les représentants du secteur privé pourrait envisager des mesures d’exonérations fiscales et d’aides aux sociétés guinéennes notamment les petites et moyennes entreprises.

Me Hamidou Dramé,

Avocat aux Barreaux de Guinée et de France (Lyon)

Email : hdrame@guilex-avocats.com

Guilex Avocats, cabinet d’avocats d’affaires

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