En prélude de la commémoration du 5ème anniversaire des massacres du 28 septembre, l’avocat du capitaine Moussa Dadis Camara, Maître Jean Baptiste Jocamey Haba s’est confié à votre semainier dans un entretien exclusif. La convalescence du capitaine à Ouaga, ses rapports avec Alpha Condé, les événements du 28 septembre, sont entre autres les points abordés dans cet entretien à bâtons rompus, que nous vous invitons à lire.
Bonjour Maître Jean Baptiste Jocamey Haba. Est-ce que vous pouvez nous dire dans quel état se trouve aujourd’hui votre client qui poursuit sa convalescence dans la capitale burkinabè où il a atterri après son séjour médical au Maroc où il avait été évacué, suite à une altercation avec son ancien aide de camp « Toumba » Diakité, qui a mal tourné?
Me Jean Baptise Jocamey Haba: Merci Monsieur Baldé. Je suis très content et mon client serait également content que des journalistes viennent voir son avocat pour apporter un éclairage sur tout ce qui s’est passé. Vous me demandez son état, je vais vous dire ceci. A chaque fois que j’ai vu mon client à Ouagadougou, à chaque fois que je me suis entretenu avec lui au téléphone, et cela arrive plusieurs fois par jour, moi j’ai toujours remarqué un homme disponible. Un homme disponible, qui est prêt à servir son pays, ses amis, ses compatriotes. L’homme vraiment qui a toujours aimé la Guinée. Qui aime la Guinée, et j’ose vous le dire clairement, je le crois, je pense qu’il aimera toujours la Guinée. Bref comme on le dit chez nous, un humain. La deuxième chose, j’ai toujours remarqué sur lui, un homme sincère, un homme énergique, avec un franc parlé, dont-il est le seul à posséder le secret. Tout le monde l’a vu dans son franc parlé. Je vois surtout un patriote nationaliste, parce qu’il a confiance aux institutions de son pays. La confiance à son peuple et la confiance à tout ce qui se passe dans son pays. Mais ça c’est vraiment du bon côté. Je remarque aussi un homme soucieux. Qui a le souci de la situation de sa Guinée natale pour avoir été un chef d’Etat. Il a apporté des choses à la Guinée. Des bonnes choses il faut le reconnaître. Et il peut toujours servir la Guinée, même en étant un ancien président. Donc quand il voit comment va son pays aujourd’hui, j’avoue qu’il ne dort pas. J’avoue qu’il a un grand souci, voila comment se présente aujourd’hui l’état du président Dadis Camara.
Le président Dadis Camara vit au Burkina depuis quatre ou cinq ans, vous aller le préciser, dans quelles conditions matérielles se trouve-t-il aujourd’hui. Est ce qu’il reçoit des subsides de la part de l’Etat guinéen, ou bien c’est l’Etat burkinabé à travers le président Blaise Compaoré qui le prend en charge. Puisqu’il est quand même dans un environnement où il a besoin de quoi vivre, ayant une famille aussi ?
Je ne vais pas moi citer de nom. Mais je vais être très clair avec vous, si je tiens à être très clair avec vous, c’est avec l’aval de mon client lui-même. Et je vous dis que concernant les conditions de vie de mon client, il ne bénéficie d’aucune aide de l’Etat guinéen. J’ose vous dire que s’il vit, c’est grâce aux maigres privilèges qui lui sont accordés par son statut de militaire, en tant que fonctionnaire de l’Etat. Il ne bénéficie que de cela. S’il a d’autres sources de revenus, ce sont bien les aides, les dons qui lui sont accordés par l’Etat burkinabè. Cela n’honore pas la Guinée. Ça affecte l’image de notre président d’aujourd’hui, l’image de toutes les institutions, de tous les Guinéens, que de penser qu’un ancien chef d’Etat qui officiellement se trouve en convalescence dans un autre Etat, soit une charge pour cet Etat hôte. Qu’il soit une charge pour lui-même. Nous vivons dans un Etat de droit où tout est réglementé. Il y a une disposition de la constitution qui est claire, et la constitution, c’est quand même l’acte fondateur de la République. C’est quand même la Loi Suprême du pays selon l’article 44. Cet article 44 dit ceci : « Les anciens présidents de la République prennent rend protocolaire immédiatement après le président de la République dans l’ordre d’ancienneté de leurs mandats, et avant le président de l’Assemblée nationale. Ils peuvent être chargés de mission spéciale par le président de la République. Ils bénéficient d’avantages matériels et d’une protection dans les conditions qu’une Loi Organique détermine. Le président Dadis a posé des actes pour les Guinéens. Je vois vraiment mal qu’un tel président, qu’un tel ancien chef d’Etat ne puisse pas bénéficier de cela. C’est une honte pour la Guinée. Cela ternit l’image de la Guinée devant le Burkina qui est le pays hôte du capitaine. Et ça n’honore pas nos institutions, ça n’honore pas notre président qui, lui même président aujourd’hui, demain, deviendra ancien président. Je parle selon les principes d’une démocratie. Je sais que lui-même, il est démocrate, et je sais que la même constitution fixe le nombre de mandats à deux. Le président doit prendre des dispositions. Le président Dadis a fait quatre ans hors du pays, il faudrait que l’on pense en Guinée, à l’honorer. Si l’on ne veut pas l’honorer, il faudrait quand même que nous respections nos textes de Loi, pour lui accorder ce privilège. Il faudra qu’il en bénéficie. Nous allons entamer des démarches dans ce sens, car trop c’est trop. Ça n’a que trop duré, et nous entamerons des démarches. Je pense que des personnes éclairées, des personnes habilitées à régler une telle situation seront bientôt saisies. Je sais qu’elles sont déjà saisies. Elles ne devraient même pas attendre d’être saisies, car c’est un droit acquis. Le président Dadis a servi son pays. Il a refusé de se servir lui-même, alors qu’il avait toutes les possibilités d’amasser comme les autres le font.
Donc vous-avez déjà entamé des démarches comme vous le dites, et quelles sont les personnes que vous-avez touchées dans ce sens ?
Pour le moment c’est une démarche officieuse. Je sais que lui même en discute avec le président de la République. Moi même j’ai discuté avec lui, et avec le premier président de l’Assemblée nationale de cette question. Si pendant quatre ans, rien ne se profile à l’horizon, alors que ce sont des questions qu’on ne devait pas poser, qu’elles devaient suivre d’elles mêmes, nous sommes dans l’obligation de poser désormais des actes officiels, des actes qui laisseront des traces. Et si rien n’est fait, nous connaissons les voies de recours qu’il faut.
Le séjour du capitaine Moussa Dadis Camara en dehors de son pays ne fait que se prolonger, ce qui donnerait une connotation purement politique à la chose, à en croire certains observateurs. Avez-vous la même lecture que ces gens en tant que son conseil ?
Je réponds non. Pas du tout. Si je dis, pas du tout, c’est avec l’aval de mon client. C’est avec l’accord de mon client, que nous ne partageons pas la même lecture de son séjour hors de la Guinée avec ces observateurs dont vous faites cas. Mais je voudrais quand même préciser ceci : mon client et moi nous ne sommes pas contre le fait que des gens réfléchissent comme ils veulent. Mon client et moi nous ne sommes pas contre le fait que des gens aient une position différente que nous vis-à-vis de la question. Nous ne sommes pas contre que des gens interprètent comme ils le veulent. Nous sommes plus de douze millions de Guinéens, nous ne pouvons pas réfléchir de la même façon. Mais ce que je voudrais que tout le monde comprenne, c’est mieux avant de penser que le séjour du président Dadis est politique ou qu’on le garde là, contre son gré, d’aller quand même le voir, et de lui demander monsieur le président êtes vous empêché de rentrer dans votre pays ? En ma connaissance, et en ce jour, il ne m’a jamais dit cela. En ma connaissance, il n’a jamais décidé de venir un seul jour et qu’il ait été empêché. Je ne suis pas en train de défendre les autorités en place, non. Je vous assure que le jour où le président Dadis voudra rentrer en Guinée, il rentrera. Si l’Etat guinéen s’oppose, si l’Etat burkinabé s’oppose, ils nous diront pourquoi ils s’opposent à son retour dans son pays. Il y a la Cour de la CEDEAO qui existe. Je vous le garantis déjà que nous saisirons cette juridique, et qui imposera ou qui ordonnera que le président Dadis rentre en Guinée. Mais pour le moment, nous n’en sommes pas là. Les politiciens peuvent trouver des connotations politiques à son séjour, là ce sont des politiciens mais encore une fois, il serait mieux de voir l’intéressé lui-même, et de le lui demander. Je ne suis pas en train de dire qu’il n’aime pas son pays, il aime son pays comme tout bon guinéen. Et comme tel, il veut vivre parmi les Guinéens.
Nous allons à présent aborder le volet des massacres survenus au stade du 28 septembre en 2009. Une expédition punitive attribuée à la junte militaire qui était à l’époque aux commandes du pays, avec à sa tête Moussa Dadis Camara. Pouvez-vous nous dire si votre client a été entendu dans le cadre de cette affaire, par le pool de juges constitué pour diligenter le dossier ?
Je voudrais bien avant de vous répondre, vous dire ce que mon client a toujours dit, aussi bien dans les médias, que partout où il se trouve comme moi d’ailleurs. Le président Dadis regrette ce qui est arrivé au stade du 28 septembre. Et en son nom, il a toujours dit qu’il continue de demander pardon, il continue de regretter. Il présente ses condoléances les plus attristées, les plus sincères aux différentes familles qui ont été endeuillées suite à ces malheureux événements. Il présente ses condoléances à tout le peuple de Guinée, étant convaincu que plus jamais cela ne se reproduira en Guinée, mais surtout, en fervent défenseur de la justice, il tient à ce que justice soit rendue dans cette affaire.
Le président Dadis a été effectivement entendu dans le cadre de cette affaire à titre de témoin. Il a été entendu le 28 février 2014 au Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou par le doyen des Juges d’instruction. Mais préalablement le pool en charge du dossier mérite une confiance. Peut être d’aucuns vous diront que les événements se sont produits en 2009 mais pourquoi c’est seulement le 28 février 2014, soit plus de trois ans après que le président a été entendu. La justice est un domaine très compliquée qui demande des règles de procédure très strictes. Lorsque vous avez dans un dossier plus de 500 ou 1000 personnes dans une affaire aussi internationalisée, je pense qu’il faut aller avec minutie. La procédure suit son cours normale. Il ne s’agit pas d’une seule personne qu’on veut suivre. Je le dis clairement, dans cette affaire il y a Aboubacar Sidiki Diakité dit « Toumba », et autres qui sont poursuivis pour ‘’assassinats, meurtres, viols, pillages, incendie, vols à main armés,
détention illégale de matériels de guerre de première catégorie, coups et blessures volontaires, outrage à agent de la force publique, torture, détention arbitraire, non assistance à personne en danger, enlèvement, séquestration, violence sexuelle, attentat à la pudeur, y comprit la complicité, des charges qui sont prévues et punies par les articles 282 et suivants 321, 481, 477 et suivants 295 et suivants 287,333, 556 et suivants 340, 505, du 52 du Code pénal et les articles 1, 2, 17, 22 de la loi L/96/OO8 du douze juillet 1996’’.
Vous allez comprendre que non seulement il y a pluralité d’infractions pour approfondir l’instruction dans chaque cas, et que cela prend du temps parce qu’il faut éviter de faire du mal à un innocent, mais il faut faire en sorte que ceux-là qui sont concernés ne se baladent pas encore dans la nature. Si tout n’était lié qu’au pool d’instruction, le président Dadis serait entendu très longtemps. Je le dis clairement ces juges sont à pied d’œuvre depuis 2011 pour qu’il soit entendu. Le président Dadis est dans un pays, alors il faut un moyen et ce moyen est la commission rogatoire. Le président Dadis a toujours demandé à être entendu. Il l’a dit à travers ses avocats, il a écrit au pool de juges chargés d’instruire le dossier, il y a longtemps de cela. Il a confiance à cette justice. Je vous rassure que les juges en charge du dossier sont en train de faire un travail formidable. La justice comme vous le savez elle est lente mais elle va sûrement. Mais une autre réponse à votre question puisque vous parlez d’expédition punitive dont serait responsable la junte militaire au pouvoir à l’époque des faits, il faut qu’on fasse très attention avec les mots. Je le dis en pesant moi aussi mes mots. Qui vous a dit que cette junte militaire est responsable de cela ? Mais si les responsabilités sont déjà situées, mais pourquoi la justice fait son travail ? Il faut distinguer cette junte militaire avant d’arriver au pouvoir et l’arrivée au pouvoir de la junte militaire, en l’occurrence dénommée le CNDD, qui avait prit le pouvoir le 23 décembre 2008. Cette junte n’est pas la seule qui avait la destinée du pays. Le président Dadis qui, au départ était le chef de la junte, par finir était le président de tous les Guinéens. Il n’y avait pas cette junte seule qui était là pour diriger la Guinée. Un gouvernement composé de civils avait été mis en place. Il y avait un Premier ministre civil en fonction. Vous aviez une administration qui fonctionnait. Un seul homme ne peut pas diriger un Etat. Lorsque nous parlons de la junte, parlons de junte avant la prise effective du pouvoir. Mais au moment où les choses entraient dans l’ordre, au moment où il y avait un gouvernement, au moment où il y avait une administration civile qui gérait le pays, ce n’est plus la junte militaire qui gérait, mais ce sont des Guinéens qui occupaient les fonctions au sein de l’administration de l’Etat. Je peux accepter par rapport à cela, qu’on peut dire que le président Dadis étant le premier magistrat de la Guinée était bien concerné. Mais encore rien ne dit que cette junte est responsable de cela. Parmi les personnes qu’on est en train d’entendre, il y a des civils. Ce n’est pas seulement des militaires. La justice est en train de travailler avec l’apport des juges expérimentés du pool. Quand on vous parle de la commission rogatoire, ce n’est qu’une délégation du pouvoir.
Les Nations Unis avait publié un rapport au lendemain de ces massacres dans lequel elles avaient pointé du doigt la responsabilité de certains chefs militaires dont le capitaine Dadis, le colonel Claude Pivi, Moussa Tiégboro et bien d’autres. A votre avis cette démarche est-elle juste aux yeux de la loi ?
Avec tout le respect que j’ai pour les Nations Unies, les Nations Unies ne constituent pas une juridiction. Pas du tout. Mais je leur donne raison. Pourquoi ? Les Nations Unies ne vous définissent pas de quelle responsabilité s’agit-il. Le président Dadis avait reconnu à la télévision nationale sa responsabilité morale, dans cette affaire en tant que premier responsable de la Guinée. Personne ne peut fixer la responsabilité pénale pour le moment. Si les Nations Unies pensaient peut être à une responsabilité purement morale, le président Dadis a été le premier à en parler. Il a même été le premier à instituer une commission d’investigation nationale. Nous avons les rapports de cette commission avec nous et nous connaissons les résultats de cette commission. Il a été le premier à instituer une commission d’investigation internationale. Je dis c’est totalement contre les règles du droit. Tout le problème de Dadis c’est d’avoir été le chef de l’Etat pendant les événements du 28 septembre. Je vous le dis, que le président Dadis ne peut même pas faire du mal à une mouche, à plus forte raison faire du mal à un individu. C’est Dieu qui l’a gardé, pour ne pas qu’il meurt dans le silence. S’il avait été enterré dans le silence, ses ennemis seraient contents, ses ennemis allaient danser. Tous les Guinéens seront un jour éclairés sur ce que cet homme a été pour la Guinée. Ce qu’il est et serait pour la Guinée…
Il y a quelque semaines, le général Sékouba Konaté, qui fut ministre de la Défense au moment des faits, a jeté un pavé dans la marre, en disant détenir une liste des présumés auteurs et commanditaires des événements du 28 septembre 2009, et qu’il serait même allé déposer au niveau de la Cour pénale internationale (CPI), ainsi qu’au niveau de l’institution de la Commission de l’Union Européenne. En tant qu’avocat du capitaine Moussa Dadis Camara, l’ancien président, que pensez-vous de cette démarche de celui qui était l’un des maillons forts du CNDD ?
Monsieur Baldé, c’est un non événement. C’est un non événement. Je répète encore que c’est un non événement.
Pourtant cela avait fait grand bruit dans la presse…
Je vous le dit, c’est un non événement. Je vais vous dire pourquoi. Moi même je l’ai lu sur la toile. Je vous rappelle que ça n’a aucun rapport avec l’audition du président Dadis. La déclaration du président par intérim le Général Sékouba Konaté a été faite en fin avril ou mi-mai. Je vais vous dire le contenu de cette déclaration. A suivre.
In L’Indépendant, partenaire de Guinee7.com