Comment lutter contre la pandémie de Covid-19 en Guinée ? Un groupe de réflexion composé de jeunes médecins rompus à la tâche a soumis un document aux structures en charge de la pandémie en Guinée dont le conseil scientifique. Ce document, s’il est bien exploité, pourrait aider à vaincre la maladie.
Zénab Cissé, médecin épidémiologiste et coordinatrice du groupe de réflexion a bien voulu se prêter à nos questions. Interview…
Pourquoi avoir créé ce groupe de réflexion ?
Nous nous sommes tous sentis préoccupés et interpellés par la situation de crise sanitaire qui prévaut en Guinée. Nous avons donc décidé de nous constituer en un groupe pour réfléchir à des solutions pouvant sortir notre pays de cette situation. Il était de notre devoir de citoyens de contribuer à l’effort national de lutte contre la COVID-19.
Nous avons comme nom : GROUPE DE REFLEXION ET D’ACTION CONTRE LA COVID-19 EN GUINEE. C’est un groupe constitué de médecins de différentes spécialités dont l’épidémiologie et un géologue membre de la Croix-Rouge Guinéenne. Nous avons jugé nécessaire de mettre nos compétences en synergie pour produire un document dans lequel nous avons fait des propositions pour la riposte contre la COVID. Nous espérons que ces recommandations associées à celles déjà existantes permettront une sortie rapide de crise.
Vous avez parlé de groupe de réflexion et d’action, comptez-vous mener des actions sur le terrain ?
Oui effectivement, le groupe ne voudrait pas se limiter qu’à une réflexion, nous voulons mener des actions contre la COVID-19 sur le terrain orientées vers les populations vulnérables que sont les personnes âgées (de plus de 65 ans), les personnes atteintes d’une maladie chronique ou fragilisant leur système immunitaire (comme les diabétiques, les hypertendus, les personnes obèses, les femmes enceintes…), les personnes avec des maladies respiratoires chroniques telles que l’asthme…. Nous allons inévitablement entrer dans la phase de levée des mesures restrictives, il faudrait protéger ces personnes dites « à risque» qui sont susceptibles de développer les formes graves de la maladie et ses complications. Nous souhaitons aussi mener des actions au-delà de la COVID afin d’améliorer notre système de santé. Nous en profitons donc pour lancer un appel à toutes les personnes intéressées par ces actions de se joindre à nous pour mener ce combat. Nous prônons la synergie d’actions et il faut un peu de tout pour faire un monde.
Nous allons à présent parler du document que vous avez transmis aux autorités sanitaires. Vous avez fait un constat de la situation actuelle de la riposte contre la COVID-19 et avez émis des propositions. En quoi sont-elles pertinentes ?
C’est une bonne question. Il faut savoir que nos propositions découlent d’une évaluation du dispositif de riposte à travers des informations recueillies au niveau des différentes structures impliquées dans la lutte mais également à travers le témoignage d’anciens patients pris en charge dans les centres de traitement. Parmi ces témoignages, celui d’un monsieur qui ayant été testé positif et pris en charge à Donka, nous a été d’une grande utilité car il a pu détecter les faiblesses dans le système de dépistage, de prise en charge et de suivi des patients COVID, du fait de son expérience dans la gestion de l’épidémie à Ebola.
Elles sont pertinentes dans le sens où nous nous sommes basés sur l’expérience de certains d’entre nous qui sont confrontés quotidiennement à ce virus dans leur pratique médicale dans différents pays notamment en France, au Sénégal, à Genève, tout en la réadaptant au contexte guinéen mais également sur des recommandations de l’OMS et d’autres sociétés savantes.
Pouvez-vous nous faire un résumé de ces propositions ?
Il faut savoir que nos propositions s’orientent sur 8 axes stratégiques :
-La coordination, la planification, le suivi à l’échelon intranational : Nous avons proposé la mise en place d’une cellule nationale de gestion de crise avec une implication des acteurs à tous les niveaux dans les prises de décision concernant la riposte. Une action coordonnée de tous les organismes de gestion de la crise sanitaire est nécessaire pour éviter des dysfonctionnements dans le dépistage et la prise en charge des cas. Il faut également une évaluation des capacités et analyses des risques par le recensement des personnes vulnérables que j’ai évoquées avec la mise en place d’indicateurs clés de suivi pour évaluer l’impact et l’efficacité des mesures prises.
-La communication sur le risque et l’engagement communautaire : Permettez-moi d’insister sur ce point car il s’agit d’un axe clé dans la riposte d’une épidémie. En effet, la communauté devient simultanément actrice, responsable face au risque et cible des interventions. C’est pour cela qu’il faut faire une sensibilisation participative en prenant en compte les inquiétudes, les perceptions et les fausses rumeurs pour que la communauté ou la population ait conscience du danger de la COVID. Il est important de rétablir la confiance entre les autorités de gestion et la population par une communication transparente, cohérente, homogène, dans toutes les langues locales à travers le témoignage d’anciens patients guéris de la COVID-19, en utilisant tous les canaux de diffusion fiables, en formant et responsabilisant les jeunes leaders d’opinion de quartiers, les leaders religieux, les médias. Selon l’OMS, une population responsabilisée et bien informée se protège mieux en prenant des mesures au niveau individuel et communautaire pour éviter le risque de transmission.
-La surveillance, équipes d’intervention rapide et investigation des cas pour rompre la chaîne de transmission communautaire : c’est pour cela nous avons proposé une identification rapide des cas suspects et de leurs contacts en vue de les isoler le plus rapidement possible grâce aux brigades sanitaires mixtes pouvant être constitués d’étudiants en médecine et d’agents communautaires.
-Points d’entrée : il s’agit de renforcer les points de contrôle sanitaire aux barrages et frontières avec une bonne communication sur les risques
-Laboratoires nationaux : mise en place de laboratoires mobiles de dépistage par commune et par chef-lieu dans les régions avec une augmentation des capacités de dépistage et le rendu rapide des résultats.
–Prévention et le contrôle des infections :
Un autre point important dans la riposte et sur lequel nous insistons. Le premier point comprend le déplacement des cas suspects : la mise à disposition de véhicules centralisés par les centres de traitement habilités limiterait la transmission communautaire. Il faut aussi savoir que le personnel soignant peut être également vecteur de propagation du virus au sein de la population et vice-versa. C’est pour cela qu’il faudrait renforcer les mesures de prévention et de contrôle au niveau des communautés et des établissements de soins ; cela en rendant les méthodes barrières (masques et gels hydroalcooliques) accessibles à tous mais aussi les kits de protection pour le personnel soignant. Il serait aussi indiqué d’inclure dans les formations de prise en charge de la COVID le personnel soignant surtout ceux ne se trouvant pas dans les centres de traitement pour qu’ils puissent avoir une meilleure réactivité devant des cas suspects avant de les référer aux centres de traitement habilités.
-Prise en charge des cas : La mise en place de centre de traitement par commune à Conakry et par chef-lieu à l’intérieur du pays. Prendre en charge également toute personne COVID positive avec hospitalisation des patients symptomatiques et à risque mais priorité aux patients à risque. Nous insistons également sur le renforcement de la cellule de prise en charge psychologique car la COVID peut être source d’angoisse aussi bien pour les patients que pour le personnel soignant.
-Support logistique et opérationnel : Cibler des entreprises pour la production de masques. Cette production doit être encadrée par le gouvernement ; disposer d’un stock de produits suffisants et de kits de protection pour la prise en charge des patients COVID
Pensez-vous que ces propositions puissent être adaptées ?
Pour le moment nous pouvons dire que nos propositions sont adaptées à la situation. Une crise sanitaire évolue de jour en jour. Les propositions doivent être adaptées en fonction de l’évolution de la situation.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontés lors de l’élaboration de ce document ?
Je vous avoue que cela n’a pas du tout été facile d’allier le projet avec nos différentes occupations. Depuis mi-avril nous avons commencé à travailler sur le projet. Vous savez, nous vivons dans des endroits différents. Donc nous avons dû faire les réunions à des heures pas possibles parfois. Nous étions dans un dilemme, l’urgence sanitaire était là, il fallait faire quelque chose vite mais le faire bien également. Et pour faire les choses bien parfois avec nos occupations ça demande du temps. Grâce à Dieu et à notre volonté commune nous avons pu élaborer ce modeste document, que nous espérons pourra apporter un plus à la riposte contre la COVID en Guinée.
Beaucoup de Guinéens pensent que le confinement c’est trop leur exiger. Selon vous comment l’Etat doit-il gérer cette situation au moment où la maladie continue son expansion en Guinée ?
Le confinement est difficilement réalisable dans nos contrées quand on sait que le secteur informel est le plus développé. Cependant il y va de tout un chacun de faire des efforts pour cette lutte et donc de limiter ses mouvements à des strictes nécessités. Nous optons plutôt pour le confinement des personnes vulnérables précédemment abordées.
Après bien sûr pour ceux qui sont testés positifs et leurs contacts, l’isolement et le confinement sont de rigueur pour éviter la propagation de la maladie et dans ces cas, il serait intéressant que l’Etat puisse apporter des denrées alimentaires à ces familles pour leur éviter de sortir le temps de la quarantaine.
Vous avez fait des propositions pertinentes. Mais le port obligatoire du masque fait toujours débat entre les scientifiques. Pensez-vous que cette autre solution est un passage obligé pour éviter de contracter la maladie ?
Le port de masque a longtemps fait débat depuis l’apparition de la maladie sur notre continent. Au début, on ne voyait son intérêt que pour le personnel soignant et les personnes testées positives. Mais vu qu’actuellement à travers le monde nous sommes dans une phase de déconfinement et dans une optique de vivre avec le virus, le port du masque est une mesure qui est applicable tant soit peu que les masques soient accessibles à toute la population avec une éducation sur leur mode d’utilisation, l’hygiène, … La distribution des masques à toute la population aiderait à faire respecter cette mesure qui n’est pas à négliger étant donné que nous sommes à la phase de transmission communautaire, on ne saurait différencier les personnes atteintes des personnes saines. Le port du masque permet de se protéger et de protéger son entourage. Ceci étant dit, le port du masque n’exempte en rien des autres mesures barrières à savoir la distanciation physique et le lavage régulier des mains avec de l’eau et du savon ou une solution hydroalcoolique.
A votre avis, telle que la lutte est menée contre la COVID-19 en Guinée en ce moment, avez-vous espoir que la courbe sera inversée de sitôt ?
Nous pensons que les mesures déjà effectives sur le terrain, associées à nos propositions et toutes autres recommandations, en mettant à disposition les moyens et la main d’œuvre nécessaire pour réaliser ces actions, auraient un impact significatif sur cette pandémie et pourquoi pas une inversion de la courbe épidémique. C’est ce que nous espérons tous.
On tend probablement vers un assouplissement des mesures restrictives. Pendant ce temps, beaucoup de citoyens violent déjà les mesures barrières sécuritaires. Que proposez-vous au conseil scientifique ou à l’ANSS pour bloquer l’expansion de la maladie ?
Nous sommes conscients que les mesures peuvent être contraignantes pour la population. Mais quand nous évaluons toutes les conséquences que cette pandémie peut avoir sur le plan sociétal, économique, sanitaire, nous pensons que plus vite on s’en débarrassera mieux cela sera. Et pour ce faire, il faudrait consentir à des sacrifices à tous les niveaux. C’est pour cela que nous insistons sur la communication sur les risques et l’engagement communautaire pour que la population puisse adhérer au mieux aux consignes sanitaires. Nous proposons également de tester le maximum de personnes pour l’identification rapide des cas et le suivi des contacts mais aussi la mise à disposition de moyens de transport adéquats pour le déplacement des cas suspects ou positifs de leur domicile vers les centres de prise en charge en vue de rompre le plus rapidement possible la propagation du virus.
Croyez-vous que la Guinée puisse vaincre cette maladie en 60 jours comme l’a dit l’ANSS à travers sa nouvelle campagne de lutte dénommée »Stop Covid-19 en 60 jours » ?
Il est très difficile de répondre à cette question, c’est le souhait de tout le monde de sortir rapidement de cette crise. Si l’ANSS estime le faire au bout de 60 jours, ils doivent se baser sur des paramètres qu’ils maîtrisent et nous leur accordons le bénéfice du doute tout en espérant que cet objectif soit atteint. A côté, il faudrait juste préciser que de notre côté, nous avons proposé des mesures et nous pensons qu’avec leur prise en considération, nous pouvons espérer une diminution des cas et nous acheminer vers une sortie de crise.
Quel message avez-vous à passer aux autorités et à la population guinéenne ?
La COVID-19 est une pathologie complexe qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Il serait bien que tout un chacun participe à ce combat avec comme maîtres mots, l’unité et la solidarité dans le seul but de vaincre cette pandémie. Malgré tous les efforts déployés par nos autorités pour gérer au mieux cette situation, la tâche ne sera pas aisée. Nous apportons notre contribution à cette lutte sous forme de recommandations et pensons que l’avis de tout Guinéen dans ce genre de crise compte. D’autres citoyens ont et feront sûrement le même effort car finalement nous sommes tous des fils et des filles de ce pays et nous voulons en finir avec cette pandémie sans subir trop de préjudices. Dans ce document, les idées sont celles de spécialistes de la santé et c’est le volet sanitaire qui est mis en exergue mais n’oublions pas que d’autres volets sont à considérer notamment le volet économique. Nous espérons que nos dirigeants feront tout pour mettre en œuvre les mesures adéquates pour sortir la Guinée au plus vite de cette pandémie et éviter la crise qui semble s’annoncer un peu partout dans le monde. Nous espérons vraiment que ce document aura une utilité entre les mains des autorités de gestion de cette pandémie.
Votre mot de la fin…
Je commencerai d’abord par remercier toute l’équipe du groupe de réflexion d’avoir permis à ce projet de voir le jour. Remercier également toutes les personnes qui, de près ou de loin nous ont accompagnés tout le long de ce travail et ont cru en nous. Nous espérons que tout cela portera ses fruits et que cette pandémie sera bientôt un souvenir.
ENSEMBLE NOUS VAINCRONS. Que Dieu bénisse la Guinée ! Amen.
Source : Mediaguinee