Censure

Guinée : La fin d’un cycle politique (Par Bah Oury)

Les élections présidentielles projetées pour le 18 octobre prochain marquent une étape importante du tournant politique qui s’engage en Guinée. En dépit d’une forte résistance contre la volonté du Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat, ce dernier arc-bouté dans une logique d’une fuite en avant est parvenu à sa fin en éliminant les obstacles qui se sont dressés devant lui. Adepte de Machiavel, il a usé de tous les moyens pour plonger la Guinée dans le « syndrome de la pathologie de la présidence à vie ».

La négation de la primauté du droit comme mode de gouvernance

La violation des dispositions d’intangibilité qui stipulent « La forme républicaine de l’Etat, les principes de la laïcité, de l’unicité, la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne peuvent être l’objet d’une révision ».  a été la clé de voûte du détricotage des instruments juridiques dont la Guinée s’était dotée. Le changement constitutionnel qui en a découlé est l’ultime objectif pour remettre en cause l’article 27 de la constitution à savoir « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». La cour constitutionnelle qui doit s’assurer de la conformité des actes gouvernementaux et législatifs avec la constitution a préféré en maintes fois cautionner les violations des textes. Est-ce par cécité intellectuelle ou tout simplement par docilité ?

Ainsi neuf juges, ultimes verrous pour protéger la constitution ont abdiqué devant leur mission et leur responsabilité pour ruiner les sacrifices de plusieurs années de lutte démocratique ramenant ainsi la Guinée vingt ans en arrière. En effet en 2001 aussi, le gouvernement du Général Lansana Conté s’était évertué à changer la constitution au terme des deux mandats pour briguer un bail supplémentaire à la tête du pays. Cette période inaugura les bouleversements sociaux et politiques qui impactèrent douloureusement la société et l’Etat pendant toute une décennie.

La banalisation du droit au profit d’une gouvernance qui sous couvert de « dialogue inter-guinéen » a mis les accords politiques entre mouvance présidentielle et opposition politique au-dessus des lois de la République. La recherche d’un consensus mou entre les différents protagonistes électoraux s’est en réalité muée en des arrangements entre partis politiques pour se partager des privilèges et des positions. En fin de compte un système politique oligarchique a émergé au bout de ces dix années de pouvoir de M. Alpha Condé dont le ciment est la préservation du caractère néo-patrimonial de l’Etat.

Tout au long de ces dix années, les lois ont été ignorées dans le cadre de la gouvernance politique. Il en est ainsi de la mise en place des délégations spéciales pour administrer les communes du pays. Dès 2011, afin de mettre sous la tutelle de l’administration territoriale la gestion des collectivités locales des délégations spéciales inféodées au parti du pouvoir essaimèrent partout. Les autorités gouvernementales conservèrent ces structures délibératives jusqu’en 2015 pour les partager entre les deux fractions politiques dans le cadre d’un accord politique établi à la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2015. Elles demeurèrent jusqu’en mai 2018. Pourtant la législation guinéenne a prévu les modalités spécifiques de création des délégations spéciales ainsi que leur durée de vie qui ne doit pas excéder six mois.

Il n’est guère surprenant de constater que la cour constitutionnelle en dépit de la flagrance que cela génère, remet en cause le principe de la hiérarchie des normes en tolérant l’application du code électoral qui est en maints articles en contradiction avec la « constitution ».C’est dans la même logique que la disposition du parrainage pour être candidat à l’élection présidentielle a été suspendue par les magistrats constitutionnalistes pour contourner l’opposition entre le code électoral et la « ‘constitution ». Dans cet imbroglio juridique les contentieux électoraux seront juridiquement ingérables.

A l’aune de la durée, le style de gouvernance du Président Alpha Condé a davantage contribué à affaiblir voire à anéantir les principes juridiques sur lesquels se fondent la primauté de la loi dans le cadre d’un Etat de droit.

Les racines du syndrome de la présidence à vie en Guinée

En 62 ans d’indépendance, la Guinée n’a jamais connu une alternance démocratique apaisée. Son histoire est rythmée par des violences récurrentes et sanglantes dont les origines sont essentiellement politiques. La dévolution du pouvoir a toujours été au cœur de ces tragédies. Dans le cadre du parti unique, les multiples purges étaient justifiées par l’existence de série de complots permanents, réels ou imaginaires qui masquaient en réalité les contradictions et les antagonismes au sein des groupes dirigeants. Des purges de type staliniennes en résultaient pour instiller la terreur et la soumission dans chaque foyer guinéen.  A partir de 1984, les conflits politiques prennent une tournure de type communautaire. Le multipartisme est perçu sous l’angle du prisme ethnique. Le premier magistrat du pays est considéré avant tout comme le représentant d’une communauté ethnique. La construction nationale est battue en brèche par la propension maladive de consolider le pouvoir en « ethnicisant à outrance les piliers du pouvoir régalien : l’administration publique, les forces de défense et de sécurité et les régies financières de l’Etat. Dans ce contexte seul compte la loyauté au pouvoir politique. L’efficacité et la compétence ne sont plus de mise. A la longue des féodalités et des réseaux de captation des ressources publiques se sont installés pour évoluer de manière autonomes Le chef de l’exécutif est aujourd’hui un fondé de pouvoirs de cette oligarchie vivant des rentes et de la prédation des ressources publiques. Maintes fois le Président Alpha Condé a montré son impuissance à se débarrasser de certains de ses collaborateurs qui étaient soutenus par leurs clans familiaux, régionaux ou ethniques. La privatisation de l’appareil d’Etat est devenue plus manifeste.

La rigidité sociale accentuait par l’instinct de survie des groupes dirigeants génère une crispation politique pour la conservation du pouvoir par tous les moyens. Les élections, les textes constitutionnels et les principes démocratiques clamés deviennent alors que des alibis oratoires pour masquer la face hideuse de la bave pavlovienne de l’esprit de lucre et d’enrichissement illicite. Les répressions qui ont atteint des niveaux préoccupants tentent d’étouffer la soif de justice, d’équité et de progrès des populations

A l’aune d’un examen approfondi des évolutions sociologiques de notre pays, plusieurs décennies d’indépendance nationale ne reflètent que l’histoire tragique d’un Etat néo-patrimonial dont l’ultime objectif est l’accaparement des richesses publiques au service d’un réseau de clientèle politique qui peut s’apparenter à un groupe familial, ethnique ou régional.

Ce système fondamentalement injuste, est porteur de la  négation des principes essentiels de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance. Il n’’engendre que violences, pauvreté endémique et souffrances collectives. Un tel système survit grâce à l’économie de rentes qui lui permet d’entretenir ses réseaux prédateurs. Une longue crise économique et les mutations mondiales liées à la révolution numérique et à l’affaiblissement structurel de l’Etat ont accéléré l’atteinte de ses limites. Aujourd’hui il faut réformer ou périr. La Guinée atteint ce seuil critique :la fin d’un cycle politique et le début de la renaissance

Il y a des signes qui ne trompent pas. Le RPG-arc-en-ciel est entré dans sa phase de déclin. La récente démission d’une de ses figures emblématiques El hadj Sékou Savané ancien député de Siguiri illustre le malaise profond qui couve au sein de la formation qui a porté M.Alpha Condé au pouvoir. La base politique traditionnelle du parti gouvernemental s’est fortement rétrécie. La contestation récurrente ces dernières semaines des jeunes de la Haute-Guinée pour protester selon eux contre les fausses promesses du pouvoir marque leur désaffection vis-à-vis de celui qui naguère était leur champion. Désemparé, le Chef de l’Etat guinéen tente en distribuant des avantages et des privilèges à ces anciens compagnons qui jugent avec défiance son orientation politique. Dans le reste du territoire des mouvements de protestations se multiplient pour des revendications portant sur des demandes sociales insatisfaites.

La crise de la représentation qui affecte aussi bien les espaces politique que social est perceptible dans la société guinéenne. Celle-ci a été mise en exergue par la non constance et dés fois par les incohérences récurrentes des dirigeants politiques de toutes les tendances. Dès lors aucune force politique et sociale n’est épargnée par ce désamour et cette perte de confiance.

Dans ce contexte délétère l’organisation des élections présidentielles le mois prochain jette un éclairage inédit sur la situation politique de notre pays. La nature néo-patrimoniale de l’Etat ou la manifestation de la « politique du ventre » est apparue avec beaucoup plus de netteté. En effet la gouvernance du Président Alpha Condé a comme finalité le maintien et la consolidation du système dont les caractéristiques riment avec mauvaise gouvernance, prédation des ressources publiques au profit de réseaux clientélistes et pauvreté des populations. L’exacerbation des contradictions ethniques sous-jacentes au sein de la société est l’arme favori que le candidat Alpha Condé tente de manier pour occulter les vraies réalités du pays. Toutefois cette forme de gouvernance a montré ses limites et ne peut plus perdurer. Nous assistons, alors à la fin d’un cycle politique qui a dominé la Guinée des décennies durant.  Les forces dites de l’opposition également ne sont pas épargnées par cette remise en cause. En réalité l’espace politique est entré dans une zone de fortes turbulences et de secousses. Les logiciels politiques qui ont gouverné peu ou prou la Guinée sont devenus obsolètes. La période de « décantation » qui précède « la recomposition politique » est amorcée. Quel que soit l’issue des élections du 18 octobre ; une page sera tournée.

Le défi qui sous-tend notre action est désormais notre capacité collective à faire émerger une véritable alternative démocratique afin que le changement longtemps désiré, devienne une réalité.  

BAH OURY

Ancien ministre de la réconciliation nationale

Président de l’Union des Démocrates pour la Renaissance de la Guinée

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