La lutte contre la corruption suppose une volonté politique sans équivoque de la plus haute autorité du pays. Monsieur le Président de la République de Guinée doit aujourd’hui, plus que jamais, prendre conscience de l’ampleur et de la gravité du phénomène de corruption en Guinée, corruption qui nécessité d’être combattue par un cadre institutionnel et juridique à la hauteur du mal qui est très profond.
Une lutte structurée, méthodique et adéquate est indispensable pour freiner le phénomène de corruption qui a atteint des proportions inquiétantes. Il est important de rappeler que, de tout temps, l’initiative de lutter contre la corruption en Guinée a constitué un élément majeur dans les politiques des différents gouvernements avant même l’avènement de la troisième République. Cependant, cette lutte n’a jamais été couronnée de succès.
L’analyse objective que nous essayons de faire du phénomène de corruption en Guinée, repose sur des données statistiques issues de l’enquête réalisée par l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC).
Il est évident que le succès de toute lutte contre la corruption dépend d’abord de la volonté politique exprimée par le chef de l’Etat et ensuite l’examen critiques des causes des échecs par le passé, pour définir les efforts à fournir afin d’éviter la répétition des mêmes erreurs. Cette proposition que nous sommes en train de faire, permettra certainement la mise en œuvre du programme de Monsieur le Président de la République, « …gouverner autrement… ».
En effet, il ressort des résultats de l’enquête réalisée sur l’étendue du territoire national, par l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC) que les causes les plus importantes favorisant la corruption en Guinée sont :[1]
1 – L’absence de sanctions contre ceux qui pratiquent la corruption : 94,9% selon les entreprises enquêtées et 92,5% selon les ménages enquêtés ;
2 – Le mauvais fonctionnement de l’administration publique : 94,9% selon les entreprises et 89,9 % selon les ménages ;
3 – Le manque de transparence dans les affaires du Gouvernement, 91,8% selon les entreprises et 88,9% selon les ménages ;
4 – Le fait que le gouvernement ne se penche pas suffisamment sur le problème de corruption, 86.9% des ménages.
5 – Et le désir d’enrichissement personnel, 83,9% selon les ménages.
L’interprétation de ces données démontre explicitement le niveau très élevé de la corruption et la gouvernance approximative en Guinée, car tous les indicateurs sont largement au-dessus de 50 %. En d’autre terme, deux (2) guinéens sur trois (3) reconnaissent que la corruption est devenue un véritable fléau dans le pays.
Malgré ce résultat peu flatteur, l’espoir est permis avec la nouvelle mandature du Pr Alpha CONDE car celle-ci est orientée vers la moralisation de la gestion économique et financière des deniers publics et la lutte contre la corruption et infractions assimilées en Guinée. Une fois de plus, ce combat peut se gagner, si et seulement si, la volonté politique de Monsieur le chef de l’Etat se manifeste réellement.
Monsieur le Chef de l’Etat rencontrera dans cette lutte un écho favorable de la part des populations qui sont prêtes à l’accompagner et à le soutenir dans ce combat contre ce fléau, car 97,6% des guinéens sont disposés à lutter contre la corruption, ce qui constitue un atout qu’il devrait exploiter avec son gouvernement pour enclencher une véritable lutte contre la corruption. Par ailleurs, Monsieur le Chef de l’Etat doit savoir qu’une analyse transactionnelle de la corruption d’Etat nous amène à démêler les relations corruptrices pouvant exister entre autorités politico-administratives et les entreprises (minières, commerciales, de BTP…) ou leurs filiales.
La corruption d’État est définie comme une transaction entre deux parties, d’un côté, les fonctionnaires et membres du gouvernement et de l’autre, les firmes ou entreprises étrangères donnant lieu à un échange d’argent, de cadeaux ou de faveurs contre un ou plusieurs services octroyés par la puissance publique. Il est important de préciser que dans cette définition, la corruption n’est pas limitée aux seuls versements d’argent, pots-de-vin et autres largesses financières telles que l’attribution gratuite d’actions ou l’octroi d’une part du profit de la filiale locale de la firme étrangère ou encore le versement de dons à des associations. Cela peut prendre également des formes non-monétaires telles que des cadeaux ou des emplois réels ou fictifs offerts à la parentèle ou à des amis des fonctionnaires corrompus.
Notons qu’en Guinée, le statut de fonctionnaire est régit par une loi qui interdit à tout agent public de solliciter ou de recevoir directement ou par personne interposée, même en dehors de ses fonctions, des dons, gratifications ou avantages quelconques[2].
Après l’élection présidentielle de 2020, le 1er Président de la 4ème République de Guinée a déclaré je cite : « …je serais impitoyable face à la corruption… ». Mais au paravent, il avait déclaré lors d’une de ses interventions fustigeant la corruption que : « …des têtes vont tomber… ». C’est alors le lieu de rappeler au nouveau promu, qu’il doit accorder une attention objective et soutenue à la lutte contre la corruption et doit être pragmatique et inébranlable dans l’application de la loi, pour ne pas tomber dans les effets d’annonce comme cela l’a été à l’occasion de l’installation du président et des membres du Comité National d’Audit le 07 juin 2011, quand il déclarait : « on ne peut pas lutter contre les détournements et la corruption, si on ne lutte pas contre l’impunité. C’est pourquoi j’ai créé cette structure qui dépend uniquement de la présidence. Cela veut dire que c’est une structure qui a les mains libres de contrôler toute la gestion de qui que soit ».
Pour lutter contre la corruption et ses assimilées et dans l’optique de moralisation de la gestion publique et de la promotion de la bonne gouvernance, Monsieur le Président doit s’appuyer sur l’Agence Nationale de Lutte Contre la Corruption qui est un organisme spécialisé rattaché à la Présidence de la République et à compétence nationale selon le Décret D/2012/132/PRG/SGG du 12 décembre 2012 et mis en place par le Décret D/2018/241/PRG/SGG, , portant attributions, organisation et fonctionnement de l’Organe chargé de la lutte contre la corruption et de la promotion de la bonne gouvernance du 04 Octobre 2018.
Rappelons, que la lutte contre la corruption a commencé en Guinée depuis les années 2000 par la création du Comité National de Lutte contre la Corruption (CNLC) institué par le Décret N° D/2000/017/PRG/SGG, du 04 Février 2000, et remplacé par l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC) qui est créée par le Décret D/241/PRG/SGG du 04 Octobre 2018, portant attributions, organisation et fonctionnement de l’organe chargé de la lutte contre la corruption et de promotion de la bonne gouvernance.
L’adoption de la loi N° L/041/ AN / 2017 du 04 juillet 2017 portant détection, prévention et Répression de la corruption et infractions assimilées par l’Assemblée Nationale et sa promulgation le 17 août 2017 par Monsieur le Président de la République et enfin sa publication au Journal officiel de la République par le N° 08 d’août 2017 son correspondent à une manifestation de l’autorité d’amorcer la lutte contre la corruption et infractions assimilées.
A cet effet, ANLC dispose d’un personnel compétent ayant accumulés une expérience de près de vingt (20) ans dans le domaine de la lutte contre la corruption. Les cadres qui y sont ont fait des formations spécialisées à l’étranger, dans plusieurs Centre de Formation spécialisé, tel qu’en Egypte, au Nigéria, au Botswana, au Ghana à Doha et dans la plupart des Etats de la CEDEAO notamment au Sénégal, au Mali, en Côte d’ivoire, en Mauritanie…
Ces cadres (personnes ressources) n’attendent que le soutien de l’autorité politique en la personne de Monsieur le Chef de l’Etat pour faire des résultats tangibles dans le domaine de la lutte contre la corruption. Car parler de la corruption dans l’administration guinéenne, c’est toucher au clandestin administratif, aux parties marécageuses de la bureaucratie. Nous n’en connaissons que celles qui ont émergé. Explorer ces domaines nécessite donc des méthodes éprouvées ainsi que des spécialistes de la lutte contre la corruption car ils comportent nécessairement beaucoup de pièges.
Ibrahima Mouhidine DIANE – Doctorant
Enseignant chercheur à l’UGLCS – Conakry
[1] Rapport 2012, Indice National de corruption et de Gouvernance (INCG), enquête sur la perception des ménages et des entreprises sur la corruption et la gouvernance en Guinée, p50, donnée qui sont toujours d’actualité.
[2] Loi L/ 028/AN/2001portant organisation, fonctionnement et structure des services publics.